Parlez, parlez, pis (sic) on vous jugera après – Rosella Melanson

La semaine passée, je lisais tranquillement dans ma gazette du matin un bon entretien avec une artiste de Grande-Digue qui semblait ben benaise :

«J’adore l’automne. À la plage, le sable durcit. Tous les coquillages sont plus faciles à ramasser parce que ça ne cale pas. Mon mode de vie, c’est go with the flow…je choisis les couleurs, puis le reste c’est intuitif… Le reste est arrivé par adonnance (sic) parce que je ne voulais pas gaspiller.»

«Sic»?

Sic, c’est le professeur qui t’arrête quand t’as enfin pris la parole, pour corriger une conjugaison, ou ton accent. C’est ceux qui me corrigent encore aujourd’hui, comme s’ils avaient plus d’éducation que moi, comme si ma façon de parler n’était pas un droit et un choix.

J’étais saisie par ce sic. Ce qui m’a fait aller chercher qu’est-ce que c’est que ce sic. C’est-y comme siquer son chien après quelqu’un? C’est-y pointer quelqu’un du doigt?

Les livres nous disent que «sic» veut dire «tel que cela a été dit ou écrit, aussi étrange ou incorrect que cela paraisse.»

Donc, c’est pointer du doigt.

J’ai voulu en savoir plus long sur son usage en Acadie. Les ressources électroniques du site des bibliothèques publiques aidants, j’ai rapidement pu trouver d’autres exemples dans l’Acadie Nouvelle et le site web de Radio-Canada (voir les exemples à la fin du texte).

J’ai vu que c’est utilisé par les médias lorsque quelqu’un fait une faute de français, en parlant ou à l’écrit. J’ai vu que (sic) pour «adonnance», un mot acadien comme il faut, venant d’une expression marine «vent d’adon», le sic était donc abusif, tant qu’à moi. En passant, pourquoi pas sic à «go with the flow» dans ce même exemple?

Mais l’usage de sic en Acadie me dérangeait.

Dans une citation qui est entre guillemets, on sait bien que c’est la personne citée qui parle, hein?

Donc, quoi, en disant «sic», on fait semblant de corriger la dictée de la personne?

Si oui, fuckez ouère off (gros sic, même si je cite un poète acadien).

S’il faut absolument souligner un mot ou une expression à l’intérieur d’une citation, pourquoi pas des guillemets à l’intérieur des guillemets?

Je ne m’invente pas linguiste. Misère si jamais je publiais ce que j’ai écrit ci-dessus, mon texte serait graillé comme un arbre de Noël avec des sic. Pardon. Serait truffé de [sic] et rapporté à l’Académie française.

Je ne veux pas discuter de linguistique ou de grammaire. Je parle de pratique journalistique et de la dignité du citoyen qui s’exprime.

Parce que ça semble vouloir dire que bientôt, si jamais on accorde un interview aux journalistes radio ou télé, on devrait parler comme il faut ou s’attendre au son d’un gong après nos mots «mal choisis»?

Nos médias participent-ils à notre insécurité linguistique?

Ça me rappelle une expérience pas mal pareille au printemps 2021, encore une fois en lisant mes médias acadiens avec mon café du matin.

Je copie-colle mon envolée cette fois-là :

Tôt un matin dernièrement, Radio-Canada Acadie a publié sur son site internet un texte sur la pêche aux pétoncles. Une journaliste avait parlé à des pêcheux acadiens du Nouveau-Brunswick. Le texte commence avec un pêcheux qui répond aux questions de la journaliste, qui le cite et ajoute, «dit-il, avec son sympathique accent acadien».

Un Acadien se lève un beau matin, en Acadie, va travailler, et si Radio-Canada «Acadie» lui parle, on nous rapporte qu’il parle «avec son sympathique accent acadien».

On est en Acadie, on parle Acadien.

Radio-Canada Acadie cherche-t-il à confirmer l’impression qu’ils rapportent sur nous et qu’ils sont pas à nous, pas un service où on se parle entre nous? On sait qu’on est l’équipe junior de Montréal, qu’on est les limbes des jeunes journalistes qui attendent l’appel rédempteur – comme quelqu’un m’a dit, c’est mieux qu’être le purgatoire de Montréal – mais de nous trouver cute est déplacé. Et en passant, il n’y a pas «un» accent acadien.

On se moque de nous. On sique les (sic) sur nous.


Quelques exemples :

«Justin Trudeau prépare son équipe pour les élections au printemps et nous devons faire le même (sic)», peut-on lire.

«Maintenant, les districts [scolaires] disent que ce symbole universel de solidarité et de respect leur semble offensif (sic)» ajoute-t-il.

La boîte vocale de l’entreprise propose toutefois un message préenregistré : «Nos employés, les pêcheurs et la communauté sont primordial (sic) pour nous.»

«On a été très agressive [sic] pour encourager le gouvernement à agir davantage et intervenir en matière d’économie. On voit que si le gouvernement ne vient pas en aide aux petites et moyennes entreprises et au secteur économique peut-être que le déficit sera plus grand.»

Il refuse d’accorder une entrevue sur le sujet et se contente de répondre en une seule phrase par courriel : «C’est important que nous continuons [sic] à suivre les consignes du bureau de la santé publique».

Dans la version officielle diffusée, il assure pourtant que la situation est maîtrisée. «Je suis confiant [sic] que nous allons réussir à traverser cette période difficile.»

«Beaucoup d’entre nous sommes [sic] privés de voir notre famille», peut-on lire sur la page.

«Moi, je suis globaliste», a-t-il affirmé. «Je veux voir une planète ouvert [sic]».

«Il y a des gens de tous les partis qui essaient de se faire du capital politique [sic], en essayant de projeter des inquiétudes sur la population», soutient-il.

«Bien que le changement ne soit pas facile, il est nécessaire et nous sommes prêts à faire ce qui [sic] faut dans l’intérêt de tous les Néo-Brunswickois.»

«Je pense qu’on pourrait même, en faisant certains changements, améliorer la qualité et la sécurité des services et bien sûr l’efficience [sic] qui nous permettrait de composer avec notre pénurie de main-d’oeuvre.»

«Quelques administrateurs nécessitaient (sic) une petite pause, afin de se ressourcer», a-t-il répondu.

«Les fonctionnaires doivent pouvoir comprendre les nouveaux arrivants, même s’ils parlent la même langue [sic]», a-t-il fait remarquer à propos des différences culturelles.

Il l’accuse d’avoir fait des «commentaires destructeurs» de «style Trumpien (sic)», lors d’un point de presse.

«Au Nouveau-Brunswick, 51% des participants sont d’accord ou fortement d’accord avec le fait que le public [sic] puisse craindre des représailles», ont écrit les auteures

«Je pense que le monde font [sic] quand même attention, mais c’est sûr qu’il y a des petits relâchements ici et là», ajoute-t-elle.


À propos…

Rosella Melanson est Acadienne, blogueuse et activiste. Elle a une formation en travail social, en journalisme et en technologie de l’information. Elle a surtout été à l’emploi du Conseil consultatif sur la condition de la femme au Nouveau-Brunswick. À la retraite, elle voyage et écrit, et quand elle est au Nouveau-Brunswick, elle est commentatrice politique.

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Une réponse à “Parlez, parlez, pis (sic) on vous jugera après – Rosella Melanson

  1. Pingback: De l’arrogance linguistique dans les pratiques médiatiques en Acadie : une réponse (en forme d’appui) à Rosella Melanson – Laurence Arrighi | Astheure·

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