J’avais lu le texte « Le divers et la diversité : quelle différence pour l’Acadie et pour la francophonie nord-américaine? Réflexions autour d’un essai de Joseph Yvon Thériault » de Clint Bruce au moment de sa parution en version électronique dans la revue Francophonies d’Amérique. Je m’étais promis d’y répondre. Par politesse d’abord, Bruce me proposait d’engager un débat autour de l’un de mes textes et je me devais d’y répondre moi qui croit à la fertilité des débats d’idées. Par l’importance des propos qui y sont tenus d’autre part, Bruce avance dans ce texte des thèses qui sont importantes tant pour l’Acadie et l’acadianité que pour le vivre-ensemble des sociétés modernes en général.
Voilà que je ne sais pour quelles raisons, les aléas de Poste Canada, la version papier de Francophonies d’Amérique m’est arrivée tout récemment, plus de deux ans après sa lecture électronique. J’ai réalisé que je n’avais pas réagi au texte. Avec cette distance, je le fais maintenant. Il en est peut-être mieux ainsi. La distance atténue les tensions, sépare le superflu de l’essentiel. Je me propose ainsi moins de réfuter les thèses avancées par Bruce qu’à essayer de redire qu’elles relèvent d’un autre paradigme qui n’est pas celui de l’ère culturelle du Canada français ou de l’Acadie du Nord.
Ma mère me l’aurait dit
Au bénéfice du lecteur, je rappellerai l’enjeu du débat, les pièces à conviction si on peut dire. J’ai publié en 2016 dans l’indispensable revue Astheure un texte intitulé « Je ne suis pas Métis…ma mère me l’aurait dit ». J’y défendais alors l’idée que les communautés d’histoire, notamment l’Acadie, étaient des communautés appuyant le lien social sur une mémoire commune, transmise par filiation, d’où l’analogie avec la mère (j’étais conscient du lourd fardeau que mon analogie faisait reposer sur le dos de ma mère…sur le dos de nos mères).
L’idée d’une identité collective transmise par un récit mémoriel est une idée fort répondue en sociologie; elle s’oppose à, ou accompagne dira-t-on, une autre idée selon laquelle l’identité s’autoconstruirait, par autopoïèse. Cette deuxième idée de l’autoconstruction des identités, quoique présente dans toutes les sociétés individualistes est particulièrement présente dans la pensée pluraliste contemporaine (postmoderne). J’argumentais, dans ce texte, que si la pensée pluraliste, diversitaire, pouvait nous faire comprendre le bricolage identitaire, l’auto-identification comme métis par exemple, elle ne saurait nous faire comprendre, les communautés d’histoire (acadienne, métis, autochtone, etc.).
C’est à ce texte, de moins de cinq pages, qu’il me fait l’honneur de qualifier d’essai, que Bruce réagit dans un long texte de plus de trente pages. Il faut dire, à sa décharge, qu’il ne se limite pas à ce texte, mais à plusieurs reprises fait référence à mes travaux plus substantiels. J’avais moi-même enrichi ce petit texte dans ma communication au colloque L’Acadie plurielle (« Le sujet est-il le commun du pluriel ») dont le texte se trouve dans le même numéro de Francophonies d’Amérique. Bien qu’il fasse référence à nos discussions lors de ce colloque, il ne commente pas directement la version écrite de ma communication qui ne fut disponible qu’à la parution de nos textes respectifs.
Pour réfuter mes propos, Bruce procède à un long éloge de la diversité. Il commence son propos en rappelant comment le sociologue américain W. E. B. Dubois « militant afro-américain » en réponse à la ségrégation raciale, rêvait d’une vaste fusion des races. Dans les pages de conclusions, il aborde longuement les propos du philosophe martiniquais Édouard Glissant qui distingue les cultures composites (le créole, le divers) et les cultures ataviques (homogène, héréditaire). Le melting pot américain et la créolisation martiniquaise devenant ainsi l’avenir de l’humanité, du moins pour Bruce.
Il sépare ces deux commentaires théoriques par deux histoires de vie, manières de démontrer que la diversité (la créolisation du monde) comme l’autoconstruction identitaire ne sont pas des lubies, mais des réalités concrètes. L’histoire de Pierre-Adolphe Huhard né dans une famille de « gens de couleurs libres » à la nouvelle Orléans en 1868 qui s’identifia tour à tour comme Créole, Noir et finalement comme Blanc. Et puis, l’histoire plus récente d’Alex Da’Paul Lee né Noir en 1988, dans un milieu cadien à Beaumont Texas, il devint Créole à 19 ans (sa mère lui aurait alors dit) et, en fouillant sa généalogie, reconnaîtra des ancêtres cadiens blancs, ce qu’il tend de plus en plus à devenir.
Tout cela pour affirmer que je professe l’idée d’une Acadie « atavique », peu ouverte à la diversité. Il propose aux Acadiens, voire aux Canadiens dans l’ensemble dans la foulée de John Saul (Mon pays métis : quelques vérités sur le Canada), d’assumer leurs origines métisses, de fluidifier l’identité de manière à accueillir de manière plurielle les couleurs et les accents du monde.
Et les quiproquos
Avant de préciser l’essentiel de ma réponse à l’analyse de Bruce, j’aimerais souligner quelques quiproquos qui éclaireront, je pense, sa démarche. On l’aura noté, l’auteur puise l’essentiel de ses remarques pour appuyer sa thèse dans la société américaine, et plus précisément louisianaise. Mon texte portait sur l’Acadie du Nord que je dissocie habituellement de l’Acadie du Sud (les Cadiens) ou de la diaspora. Bruce prend prétexte, pour me ramener dans le sud, à un commentaire que je fais au début du texte à propos du site People of color of Acadian descent, qu’Alex Da’Paul Lee fréquente par ailleurs. Je vous cite le paragraphe en entier, c’est la seule référence que je fais de la Louisiane.
Je vois défiler sur mes pages Facebook les propos de ce site principalement Cajun (je dis Cajun car il s’écrit principalement en anglais) People of color of Acadian descent qui nous somment, impérativement, de se penser dans la pluralité. Non seulement aujourd’hui, dirais-je, mais depuis toujours. J’y trouvais récemment cette formule un peu étrange parlant des Acadiens de la dispersion : « Our Acadian / Metis / Native ancestors who were deported to Maryland by the British in 1755 would be proud to know their history has been acknowledged ». Non seulement serions-nous métissés aujourd’hui, mais déjà en 1755 nos ancêtres étaient racialisés : indistinctement Acadiens, Noirs, Autochtones. Et, moi qui pensais qu’ils étaient principalement Français et catholiques.
J’écrivais ce paragraphe en préambule de mon texte pour rappeler comment il y a aujourd’hui une sorte d’injonction morale, une sommation quasi juridique, à adopter le point de vue la diversité. Bruce conclut de ce passage que je refuse le souhait de Créoles de « faire partie de la diaspora acadienne au même titre que les Cadiens blancs ». Je ne suis pas sûr qu’il comprenne bien le sens du verbe sommer que j’utilise ici à la troisième personne du pluriel de l’indicatif présent « les propos de ce site nous somment », car il y met après un gros (sic) comme si je m’étais trompé entre être (nous sommes) et sommer (ils somment). Mais, il en conclut aussi que je fais « preuve ici d’une profonde méconnaissance de l’histoire et de la culture franco-louisianaise » (p.123) ce qui me vaut le récit de vie d’Alex Da’Paul Lee, né noir, devenu Créole et espérant devenir Cadien.
À bien regarder mon propos, je ne conteste nullement cela, je ne conteste pas l’idée que des Créoles puissent être des Cadiens, mais l’idée qu’en 1755, avant la rencontre d’Acadiens avec les esclaves louisianais, les Acadiens étaient créolisés : « Our Acadian / Metis / Native ancestors who were deported to Maryland by the British in 1755 ». Il n’y avait pas de Créoles en Acadie en 1755, pas non plus de communautés métisses (que du métissage individuel) et les Autochtones n’ont pas été déportés, on a plutôt voulu les massacrer. J’ai peut-être une profonde méconnaissance de la créolité louisianaise, mais pas de celle des habitants de l’Acadie française déportés au Maryland.
Plus loin, dans son texte, Bruce revient sur ma « regrettable incompréhension de la dynamique raciale » (p.143) des États-Unis. Comme mon texte initial ne faisait référence au sud de la frontière que dans un petit paragraphe, il se réfère cette fois au chapitre de mon livre, Sept leçons sur le cosmopolitisme, qui traite effectivement de l’Amérique états-unienne. Le chapitre auquel il fait référence s’intitule « Le cosmopolitisme s’est trouvé une patrie : l’Amérique ». Ma « regrettable incompréhension » provient cette fois-ci du fait que j’associerai la dynamique multiculturelle américaine de l’Amérique à « une des sociétés blanches issues du colonialisme britannique », que l’esclavagisme disparaîtrait quasiment de mes propos, que le négationnisme n’apparaît que dans les moments « nativistes » de l’Amérique (par opposition à des moments plus cosmopolites). Et enfin, « chose absurde et hautement insultant » pour les Afro-Américains, que j’associerai l’identité contemporaine des Américains à un « bricolage identitaire », « individualiste ». Je plaide coupable de ces « absurdités », à l’exception de l’affirmation que j’inclurais le mouvement des droits civiques dans ce bricolage individualiste (nous y reviendrons).
En fait, ces « absurdités » proviennent du récit américain dominant que je retrace dans ce chapitre. Un récit qui à travers ses variantes, depuis le début du 19e siècle, a perçu l’Amérique comme une société blanche, au départ protestante, par la suite multiculturelle, toujours blanche, et enfin cosmopolite (le bricolage identitaire). Un récit pluriel, d’une Amérique démocratique et accueillante dont l’angle mort fut la question de l’esclavagisme et qui aujourd’hui camoufle son nationalisme sous le couvert du cosmopolitisme. D’où le titre du chapitre « Le cosmopolitisme s’est trouvé une patrie ».
Je pense avoir fait mes devoirs et reproduit correctement dans ce chapitre le récit américain et sa mouvance historique. L’affirmation si « insultante » d’une identité bricolée, avec l’exemple d’Alex Haley (l’auteur du grand roman afro-américain Roots) qui aurait choisi comme filiation sa mère (encore la mère) noire et non son père blanc irlandais, est directement puisée de David Hollinger (Post Ethnic America, 1995), professeur à Berkeley et qui fut président de l’Organization of American Historians (je dis cela comme indice d’autorité) et, l’un des grands penseurs du récit postmulticulturel, postmoderne. Ce républicanisme cosmopolite (Lind, The Next American Nation, 1995) croit que le multiculturalisme (les années soixante, les droits civiques) est dépassé. La nouvelle identité américaine est dorénavant une identité individualisée, une ethnicité sans groupe ethnique. Bruce voudrait que je réécrive le récit américain avec sa sensibilité, pas celle des auteurs du récit américain.
Le fait que je ne partageais pas cette idée d’une individualisation aboutie de l’identité moderne, mais essayais plutôt de saisir le récit américain était pourtant évident. La trame de Sept leçons sur le cosmopolitisme est un scepticisme en regard de l’affirmation cosmopolite selon laquelle la communauté (politique) est obsolète. Quand j’enseignais, j’avais l’habitude de dire aux étudiants en réaction à l’affirmation d’Hollinger : « aller demander à un noir américain si le fait d’être noir est un choix personnel? ». Je persiste toutefois à croire que la « passion généalogique » d’Alex Da’Paul Lee ou son acadianité sont du « bricolage identitaire », pas beaucoup de communs, si ce n’est le réseau Facebook.
Ces quiproquos ne sont pas anodins. Bruce a cette tendance, qu’il partage avec le paradigme diversitaire, à dire que ceux qui ne pensent pas comme lui sont « ignorants », disent des « absurdités », commettent des « erreurs » factuelles, etc. Ou encore, qu’ils sont moralement suspects en tenant des « propos insultants » en proposant une éthique de fermeture. Il ne lui vient pas à l’esprit que les autres pensent différemment de lui, qu’ils regardent un ailleurs, qu’ils partagent un autre paradigme qu’il serait peut-être bon d’essayer de comprendre avant de condamner moralement.
Je donnerai un dernier exemple de cette tendance à dévier le propos de l’autre de manière à lui imputer une faute, un peu à la manière de celui à qui on pointe la lune du doigt et qui ne voit que le doigt. Dans la première leçon de Sept leçons sur le cosmopolitisme, j’essaie de démontrer comment au tournant des années 1492, une foule d’évènements vont donner à la représentation de la terre une certaine finitude qui sera au centre du cosmopolitisme moderne (occidental). « La conception ancienne d’une plaque terrestre entourée d’océans dont les extrémités se transformaient en abîme, en ténèbres, prit fin. La terre était un globe, on avait fait le tour. ». Je conçois que cette affirmation puisse être douteuse, elle est plutôt un préjugé moderniste. Peut-être pas si douteuse en fait, la conception de la terre plate est une représentation populaire encore jusqu’à aujourd’hui et Galilée a bien été condamné parce qu’il invalidait la conception géocentrique, la terre au centre de l’univers.
Bruce me prend virulemment à partie pour cette affirmation qui à proprement parler n’a rien à voir avec l’objet de son texte, la diversité. Elle conforte, précise-t-il, mon ethnocentrisme, car je me limite au monde occidental, je ne parle pas des conceptions arabes du monde, de l’imaginaire africain, etc. Je sais pourtant bien qu’une légende autochtone d’Amérique du Nord affirme que nous habitons sur le dos d’une tortue, je n’en ai pas parlé, car mon propos visait le récit cosmopolite en Occident. Bruce pense que de ne pas adopter son récit diversitaire démontre de « curieuses lacunes et de drôles d’entorse à l’histoire » p.142.
Le diversitaire et le commun
Qu’aurait-il vu s’il avait regardé la direction où je pointais et non le bout de mon doigt?
Je commencerai par un petit rappel théorique qui traverse mes travaux et qui est au centre de Sept leçons sur le cosmopolitisme ainsi que du texte « Je ne suis pas Métis…ma mère me l’aurait dit ». Il concerne les modalités d’intégration propres aux sociétés modernes. La modernité a ébranlé les évidences sur lesquelles reposaient le vivre en société. Dorénavant, les cadres sociaux (la famille, le village, la communauté de voisinage, la communauté des croyants) ne sont plus perçus comme des communautés de faits, des évidences, allant de soi, ataviques; ils sont plutôt perçus comme le résultat de l’action sociale, quelque chose de plus contractuel, réflexif, voire délibératif. Les identités sont alors soumises à rude épreuve, elles subissent l’épreuve de la modernité.
Quelle est cette épreuve de la modernité? On l’a souvent résumée par l’individualisation des parcours de vie qui pose l’individu comme sujet autonome, il ne serait plus le sujet de ses communautés d’appartenance. Mais le fait social a besoin de communalisation, de lien social, de vivre-ensemble. Dans le monde moderne, il tend à les recomposer de manière plus artificielle, la société civile remplace la communauté, les communautés en soi, religieuses, ethniques, deviennent plus contractuelles, délibératives, civiques, nationales. Une épreuve, une tension naît alors entre l’individu qui croit construire sa propre identité à partir des fluidités du monde qui l’entoure, et des nouveaux cadres sociaux qui veulent englober cette fluidité. Une tension naît si l’on peut dire entre les adhérents à une sorte de paradigme de la diversité, un monde d’individus en autopoïèse, de métissage, d’hybridité et la permanence de lieux communs qui prétendent de manière réflexive et contractuelle englober cette diversité.
Je ne voudrais pas faire un traité de sociologie ici, mais souligner que Bruce et moi ne partageons pas ici le même paradigme. On peut en effet tenter d’étudier la société à partir de multiples sujets individuels ou collectifs. La société devient ici plus fluide, la rencontre en quelque sorte de ses sujets constituants. Une société qui émane d’en bas. J’appellerai ce paradigme diversitaire. On peut par ailleurs étudier la société à travers la permanence, des groupements collectifs, notamment les classes, les nations, voire la société. Selon le vieil adage sociologique, la société créerait l’individu et la pluralité de ses sujets. Un principe d’en haut qui fait société. J’appellerai celui-ci le paradigme du commun.
On trouve cette distinction dans plusieurs dichotomies : Société/individu, républicanisme/libéralisme, nationalisme/cosmopolitisme, laïcité/diversité, institution/organisation. L’un des paradigmes n’est pas faux et l’autre vrai. Il s’agit de deux conceptions du monde qui sont à l’œuvre et en tension dans la modernité. J’essaie habituellement de dégager leur tension. Je pense que Bruce ne le fait pas. Mais, en plus, chose importante, il ne s’agit pas de simples conceptions du monde, de points de vue différents. Il s’agit aussi de modalités d’intégration sociétales différentes. C’est-à-dire, que certains lieux, certaines sociétés, certains pays font société de façon différente, soit plus diversitaire, soit plus à partir du commun.
Le commun acadien
J’insisterai pour terminer sur une de ces dichotomies qui nous intéresse particulièrement ici, nation/ethnie. La nation se veut un principe transcendant, construite à partir d’un récit historique (un commun). L’ethnie est une réalité plus immanente construite à partir d’un sentiment d’appartenance des individus en raison d’une filiation généalogique (relationnelle). C’est aux États-Unis, terre d’immigration par excellence, que l’intégration s’est réalisée principalement par l’ethnie. On participait à la société américaine par l’intermédiaire d’un groupement mémoriel (la mémoire d’une immigration récente) ou encore à travers son exclusion/inclusion radicalisée (les Noirs, les Autochtones). Une intégration d’en bas, l’Amérique est la terre de prédilection du libéralisme, par étonnant que le paradigme diversitaire y trouve sa terre de prédilection.
L’Europe, on l’a dit souvent, fut l’Europe des nations. C’est à travers la référence nationale que l’intégration se réalisa principalement. C’est par la coexistence sur son territoire de différentes nations et langues nationales que le pluralisme s’exprima. L’intégration se réalisa principalement à travers le récit national, une sorte d’intégration d’en haut, par une culture lettrée. La laïcité y est plus présente que le multiculturalisme, c’est la terre de prédilection du républicanisme. En France, par exemple, l’État ne récolte pas les données sur l’ethnicité. Les difficultés actuelles de l’Union européenne proviennent pour beaucoup de la prégnance de ses nations qui résistent à la cosmopolitisation du monde.
J’aime à rappeler cette affirmation de François-Xavier Garneau, premier historien du Canada (Français) qui, dans les pages préliminaires de son œuvre Histoire du Canada (Tome 1,1845), disait qu’à la différence des multiples communautés culturelles qui se sont établies en Amérique du Nord, seuls les Français d’Amérique avaient résisté à l’assimilation (a noté que les Autochtones ne sont pas des migrants et les Afro-Américains n’ont jamais fait partie du récit pluralisme de l’Amérique). Les habitants français d’Amérique avaient, en autres mots, adopté une autre forme d’intégration sociétale que la forme ethnique diversitaire. C’était pourquoi il voulait écrire le récit national de cette singularité.
J’ai trouvé que l’expression « faire société » était la meilleure manière d’exprimer cette modalité particulière d’intégration qui caractérise les francophonies d’Amérique du Nord (notamment le Québec et l’Acadie). Non pas que le paradigme diversitaire n’y soit pas présent, mais ici, en ce lieu, l’Acadie du Nord, il est dans une tension toute particulière avec le paradigme du commun, la modalité nationale d’intégration.
C’est ce lieu que mon doigt pointait (le commun) et que Bruce n’a pas vu, s’intéressant plutôt aux malformations de mon doigt. Nulle part, il s’intéresse dans ce texte à l’Acadie du commun, du récit historique, de l’Acadie nationale, à l’idée de faire société en français en Amérique du Nord. Il y a angle mort ici. Absence. S’il parle de la nation acadienne c’est pour rappeler sa (ou ma) fermeture au pluralisme, son (ou mon) atavisme, sa (ou ma) fermeture à la diversité, son (ou mon) besoin d’une poétique du divers. La nation comme l’État-nation sont des projets désuets à repenser dans le divers. Nulle tension ici.
Son Acadie est généalogique, ethnique, tout simplement plurielle. Son rêve, la rencontre des ethnies ou du divers. Bruce est sympathique au néo-métis (individualisation du métis), sceptique du jugement Powley qui reconnaît uniquement le métis comme une personne issue d’une communauté historique. Ce jugement freinerait la créolisation à la Glissant, l’hybridation, le métissage acadien. J’oserai, en terminant, non pas dire que Bruce est dans l’erreur, qu’il connaît des fautes morales, mais bien que l’absence dans son propos de l’intention acadienne de faire société, d’être un commun, m’apparaît terriblement américain.
À propos…
Joseph Yvon Thériault est professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal.
The Acadian people are evolutionary products of their environments. They have only fifty eight French female ancestors, the others were Migamagi or Maliseet. It is easy to find our complete genealogical ancestors. NO we are not just French, Acadians are direct descendants of the survivors of a genocide and need no one to tell them who they are, where they came from, and how they got to where they are today.