Envisager l’avenir et faire main basse sur l’Université de Moncton? – Mourad Ali-Khodja

Le 15 octobre, Astheure publiait un texte de Mario Thériault, président du Comité organisateur des conférences Acadie 2020 de l’Université de Moncton intitulé «Vers un nouveau départ pour l’Université de Moncton».

Sans commenter les nombreuses «propositions» qui, sous forme de questions, suggèrent la voie vers laquelle l’Université de Moncton et ses composantes pourraient s’engager, limitons-nous plutôt à l’essentiel.

Que penser de ce texte sinon qu’il est à tous égards une insulte faite à l’intelligence de la communauté universitaire, et ce, quand bien même son auteur dit se réclamer des avis qu’il aurait recueillis auprès de plusieurs de ses membres. En effet, il est une insulte à la communauté dans la mesure où tous les clichés qu’il assène sur la désuétude de l’institution et sur sa supposée stagnation, font non seulement fi du travail et des réalisations de tous ses membres – corps professoral, étudiant et de soutien réunis –, mais ils trahissent surtout sa méconnaissance de son passé récent et de ce qui l’inspire aujourd’hui.

Pour mémoire rappelons justement que l’Université de Moncton est soumise depuis au moins 20 ans à d’incessantes initiatives – heureuses et malheureuses – de modifications de ses programmes et de changements de ses structures administratives ; sans parler des évaluations dont ses unités font périodiquement l’objet.

Autant dire que ce constat en stagnation tient plus du procès que fait une personne qui finalement n’a jamais œuvré dans le milieu universitaire – sinon à titre d’étudiant – et qui, drapé de la seule légitimité que lui confère sa fonction honorifique, ose porter de l’extérieur de l’institution, une série de jugements plus que tendancieux et éminemment contestables sur ce qu’elle doit être ou ne doit pas être. Évoquons seulement deux «propositions». L’une, aussi risible que farfelue, envisage la conversion du Centre d’études acadiennes en un «Centre d’études sur les populations déplacées». «[N]e serait-ce pas là, ajoute, sans rire, l’auteur du texte, une option d’actualité qui rallierait l’histoire de l’Acadie à celle similaire à la nôtre?»…

La deuxième idée évoquée lors de l’entrevue qu’il a accordée le 16 octobre à l’émission Le Réveil, consiste à déplorer l’un des principes qui est au fondement même de la liberté académique et qu’aucun universitaire n’ose contester aujourd’hui : la permanence d’emploi.

À vrai dire, ce texte rabaisse l’institution universitaire au rang d’une organisation à vocation mercantile, malléable à volonté, et par-dessus tout, ignorante et irrespectueuse des savoirs qu’elle dispense, se limitant finalement à n’être qu’une simple pourvoyeuse de biens et de services et forcément ouverte à tous les «arrangements» et à tous les «marchés» possibles. À cet égard, bien des valeurs évoquées – notamment l’incontournable «flexibilité» chère au milieu des affaires – attestent à l’évidence d’une conception qui revient finalement à vouloir faire main basse sur l’université.

Pour conclure, rappelons que l’Université de Moncton ne fait pas exception aux mutations de grande ampleur que connaît dans son ensemble l’institution universitaire occidentale, et ce depuis au moins trois décennies et dont le texte que nous critiquons en est, à notre échelle, l’un des symptômes probants.

Toutefois, il est important de préciser que ces mutations remettent en question toutes les traditions scientifiques, intellectuelles, politiques et culturelles dont l’institution universitaire a héritées, et qui, dans la redéfinition des savoirs qui se dessine, exigent impérativement de nous un travail d’imagination et de créativité qui soit autre chose qu’un simple exercice technobureaucratique imposé «de l’extérieur», «par le haut» et inspiré par «l’urgence».

C’est pourquoi, il ne revient ni à une coterie – aussi légitime qu’elle se prétende –, ni à une organisation sociale et culturelle comme L’alUMni qui se dit soucieuse de l’avenir de l’Université de Moncton, de dicter les voies possibles qu’il lui faudrait prendre. C’est à la communauté universitaire elle-même – corps professoral et étudiant réunis – à laquelle il revient donc de procéder à un examen rigoureux de l’état actuel de l’Université de Moncton et d’en penser, en connaissance de cause, l’avenir.

À propos…

Mourad Ali-Khodja est professeur titulaire au Département de sociologie et de criminologie de l’Université de Moncton. Dès son arrivée au Nouveau-Brunswick, il a étudié les rapports entre l’identité acadienne et la construction sociale des savoirs en milieu minoritaire. Par ailleurs, il travaille également sur les questions relatives à l’interculturalité. Il est aujourd’hui responsable du secteur « Sociologie » de son Département et directeur du Groupe de recherche interdisciplinaire sur les cultures en contact (GRICC) de la Faculté des arts et des sciences sociales.

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