L’exercice est un peu bizarre : adulte, je me suis plongée dans la lecture de livres destinés à un public de six ans ou plus. Il s’agit de Riette l’assiette, un texte rédigé et illustré par Anne-Marie Sirois et publié aux Éditions Bouton d’or Acadie, ainsi que de Qui est le plus fort ?, la réédition d’une fable (transcrite en 1973) pour enfants d’origine cadienne, rendue en texte et en musique (le livre est accompagné d’un CD) par le Louisianais Barry Jean Ancelet, accompagnée des nouvelles illustrations de Joël Boudreau et coédité par Bouton d’or Acadie et Les Éditions Tintamarre (Louisiane). Que peuvent en retenir des lecteurs de six ans? Que peut-on en retenir comme adultes?
Résolument Anne-Marie Sirois
Bien connue de la communauté artistique du Nouveau-Brunswick, l’artiste visuelle nous offre ici un quatrième livre jeunesse. Riette l’assiette est destiné aux enfants à partir de six ans. Ceux qui connaissent le travail artistique de Sirois reconnaîtront son style et son rapport aux objets de la vie quotidienne, la joie avec laquelle elle s’amuse à donner vie et personnalité à son environnement matériel. La protagoniste, Charlotte, est une bricoleuse à toute épreuve qui répare et transforme elle aussi les objets de son quotidien. Le texte rime parfois, mais son intérêt est surtout rythmique. Certains mots sont mis en valeur, écrits dans une couleur différente et illustrés à chaque apparition dans le texte, à la manière des livres jeunesse de Geronimo Stilton. Il doit être facile pour l’enfant qui apprend à lire de laisser s’imprimer en son œil ces mots clés qui reviennent de page en page. De plus, l’histoire saura peut-être insuffler quelques projets dans l’imaginaire de certains enfants bricoleurs, qui sait?
« C’est toi qu’es si fort que ça ? »
Dès les premières pages de la fable louisianaise Qui est le plus fort ?, rendue par Barry Jean Ancelet, me revient en mémoire une comptine que l’on chantait, enfants, autour du feu de camp, celle sur une Biquette obscure qui ne veut pas sortir de son chou. Alors on fait venir le chat pour la croquer et, quand celui-ci refuse, on envoie le chien, puis le loup, et ainsi de suite jusqu’au diable en personne. Le conte suit le questionnement d’une petite fourmi qui se demande quelle force de la nature, quel objet ou quel animal est la cause de sa patte cassée, et donc qui est le plus fort. Racontée à la manière d’une ritournelle, cette fable nous rappelle le cycle des causalités naturelles, là où les éléments se succèdent et se bousculent pour influencer la suite des choses de près ou de loin, comme le battement d’aile d’un papillon produisant des tornades dans l’hémisphère opposé.
On comprend la pertinence de la réédition devant les nouvelles illustrations qui accompagnent le texte. En ressort le côté sculpteur de Joël Boudreau, qui semble s’amuser ici à jouer des textures et des contrastes. Le CD qui accompagne le livre propose une lecture des paroles par Ancelet, accompagnée d’une trame de percussions de Glen Deveau. La simplicité de l’accompagnement musical est un rappel bien mesuré au côté organique du conte.
Certains pourront trouver problématique la grammaire volontairement adaptée de la fameuse phrase qui revient à chaque page du livre, c’est-à-dire le fameux « c’est toi qu’es si fort que ça ». Plutôt, j’ai trouvé que cela contribue à la poésie du texte, tout comme les ellipses récurrentes qui permettent à la rythmique des phrases de s’installer.
Prêcher pour notre paroisse
L’effort des auteurs, cadiens comme acadiens, qui s’appliquent à l’écriture de livres pour la jeunesse doit être souligné. Combien de livres de la sorte les générations précédentes de petits Acadiens et de petites Acadiennes ont-elles connus? Outre les traductions de livres anglais et les publications québécoises et françaises, probablement fort peu. C’est notamment en ce sens qu’on peut situer l’intérêt de Riette l’assiette et de Qui est le plus fort ? Sans faire usage de la langue locale (sinon quelques tournures de phrases), la musique qui se dégage de ces deux textes a un petit quelque chose d’acadien/de cadien. Est-il jamais trop tôt pour commencer à reconnaître et à s’identifier à l’identité de son peuple ? Est-il jamais trop tard non plus ? Car c’est avec une petite pointe de fierté que j’ai offert les deux bouquins à mes voisins, un couple de jeunes parents québécois.
- Ancelet, Barry Jean [texte], Joël Robichaud [illustrations]. Qui est le plus fort?, Moncton / Shreveport (Louisiane), Bouton d’or Acadie / Les Éditions Tintamarre, 2014 [1999, Bouton d’or Acadie].
- Sirois, Anne-Marie [texte et illustrations]. Riette l’assiette, Moncton, Bouton d’or Acadie, 2014.
À propos…
Hélène-Eugénie Roy a grandi dans le village de Cap-Pelé, Nouveau-Brunswick. Elle a fait des études au département de théâtre de l’Universitéde Moncton et demeure présentement à Québec. Elle y baigne dans une constante mer de touristes venus batifoler dans le Vieux-Québec pour crouler sous les gaufres au sucre d’érable et les fromages du terroir.
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