Emoji, etc. : magnum opus bilingue – Thibault Jacquot-Paratte

Le livre

Emoji, etc./Émoji, etc., c’est le titre du plus récent recueil de Daniel H. Dugas, paru cette année aux Éditions Basic Bruegel, à Moncton. Le livre est en deux volumes : un bleu, en anglais, et un jaune, en français ; les deux sont composés de poèmes originaux (il ne s’agit pas de traductions). Les deux volumes sont similairement divisés en sections, et suivent des thèmes similaires, ou complémentaires. Si les thèmes sont proches, voire parfois se touchent, les deux volumes restent distincts ; si j’ai moi-même lu les deux volumes en même temps, ils peuvent être lus séparément.

En pensant préciser jusqu’au bout

le sentiment ressenti,

en tentant de décrire l’état, la manière d’être,

le fond de l’âme, devenons-nous nous-mêmes

presque l’émoi des icônes? (p. 63, volume jaune)

La technologie et les communications sont les thématiques principales du livre. Le livre ne peut cependant pas être réduit à ces simples thématiques puisqu’on y aborde plusieurs autres sujets : thèmes du quotidien, sociaux, écologistes, politiques… Ou, encore, d’autres textes sont au croisement de tout cela et peuvent résonner différemment chez chaque lecteur (c’est pour cette raison que je pense que tout le monde peut y trouver quelque chose d’accrocheur), tel que dans la dernière section du livre bleu, par exemple, 7 days in a call center («7 jours dans un centre d’appels»).

Avant de poursuivre, je tiens à préciser que je connais quasiment rien à la technologie, et même si parfois j’en apprends un peu plus dans le domaine, je ne m’y intéresse pas particulièrement. Ceci dit, j’ai absolument adoré ce livre. L’auteur a réussi à rendre les poèmes, notamment sur le thème des technologies, divertissants, intrigants, inspirants et stimulants ; c’est-à-dire que même une personne comme moi, qui a un attrait fonctionnaliste/utilitariste aux technologies, trouvera dans ce recueil des textes hautement appréciables.

Pas un simple recueil

De plus, si le livre est principalement un recueil de poèmes, il ne l’est pas uniquement. Il contient de courts passages en prose (p. 23-24, volume bleu et volume jaune), mais surtout, il contient un grand nombre de notes, d’explications, et/ou de réflexions. Parfois ces notes servent à clarifier un élément du poème ou son contexte, parfois elles servent à partager une anecdote ou un fait amusant.

L’idée d’ajouter des notes était bien pensée, d’après moi. Déjà, sans les notes/explications, j’ai trouvé un sens à presque chaque poème («presque» – même dans un recueil aux thématiques plus simples, il est rare que le sens d’absolument tous les poèmes nous atteignent, sans compter que celui-ci fait presque 280 pages, les deux volumes combinés). Les poèmes sont habiles; même si on ne connaît pas un terme spécifique, on peut deviner ou sentir une signification dans le poème. Un bon exemple serait HEX :

A bald eagle in a pine tree

looks down at us in the cemetery

The old headstones push their #808080

against the #FFFF00 of the surrounding flowers (p. 49, volume bleu)

La note qui suit indique que HEX est un code à six signes par lequel la couleur peut être indiquée en informatique. Si on ne le sait pas forcément (c’était mon cas), on peut le discerner. Les «fleurs environnantes» ont très peu de caractéristiques en commun avec des pierres tombales ; on peut déterminer qu’il doit être question de couleur ou, du moins, on comprend qu’un code a été inséré dans notre quotidien. De là, on peut interpréter le poème. Même sans savoir ce qu’est un code HEX, j’ai pu apprécier le poème en question. Les notes peuvent donc ajouter à notre appréciation ou notre compréhension du poème, sans que notre compréhension totale en dépende.

D’autres notes n’apportent pas de précisions spécifiques aux poèmes ; on y trouve des anecdotes autobiographiques ou des faits intéressants/divertissants. Un bon exemple serait à la page 57 du volume bleu, où on apprend quelques faits intéressants sur l’emoji aubergine, notamment. Ce sont ces notes qui contribuent à la forme multiple de ce recueil poèmes-prose-réflexions. Ces notes contribuent énormément au ton du livre.

Certains passages sont plus sérieux, certains passages sont plus humoristiques – ou très humoristiques, tel que fenêtre-pub (p. 70, volume jaune), où l’auteur décrit «Des bateaux à la Monet» qui «voguent sous les couches / de la nécessité économique». Même si les thématiques des poèmes que j’ai trouvés hilarants sont sérieuses, j’ai trouvé beaucoup de poèmes hilarants. L’ambiance créée dans le livre, notamment grâce aux notes, aide à faire ressortir l’humour.

Finalement, certaines notes nous font découvrir (si on ne les connaît pas déjà) des choses simplement intéressantes, telles que l’existence du point exclarrogatif.

En somme, les poèmes peuvent totalement être appréciés sans l’apport de ces notes. Par contre il est vrai qu’elles contribuent à donner une autre dimension au recueil.

Trop de choses à dire!

Il serait facile de parler de ce double recueil pendant encore longtemps. Il est riche en thèmes, en images, en contenu ; les poèmes sont d’un style simple et élégant (dans une langue comme dans l’autre), et on ne sent aucune répétition, aucune longueur. Le recueil se renouvelle perpétuellement, garde l’attention du lecteur. Ce n’est pas pour autant un recueil qu’on peut lire d’un trait, comme c’est le cas pour certains. Ce recueil a trop de qualités pour qu’on puisse le lire vite. J’ai relu des poèmes 4-5 fois, trouvant, à chaque relecture, autre chose sur quoi réfléchir. Relire des vers en boucle pour les laisser s’imprégner en moi faisait une pause pour respirer (réfléchir, ressentir, les deux) ; pause qu’il faut faire lorsqu’on lit un texte fort, qu’on veut continuer d’apprécier un moment, de la même façon que, si on fait une randonnée en nature, nous devons nous arrêter pour contempler le paysage trop sublime pour être ignoré.

Ce recueil est original dans ses thèmes, et dans sa façon de les traiter, en plus d’être très actuel. Le lecteur retrouvera beaucoup de notre quotidien dans ce livre, et encore, cela ne me surprendrait pas que les lecteurs dans 50 ans s’y retrouvent encore ; cela ne me surprendrait pas que ce livre soit lu dans 50 ou 70 ans, voire plus.

De plus, ce recueil m’a frappé comme faisant involontairement (à ce que sache) partie d’une mouvance au niveau mondial, décrit notamment par le poète ukrainien Mykola Istyn comme le «Nextmodernisme». Dans cette mouvance, on retrouve une sorte de confiance envers l’avenir et envers les technologies tout en restant conscient de leurs risques, de leurs dangers, de leurs inconvénients, etc.

Dans le grésillement et l’éclat numérique

nous voilà devenus la lumière

et l’aveuglement (p. 38, volume jaune)

Chose certaine, ce livre devrait figurer dans la bibliothèque de n’importe quel amateur de poésie ; pour moi, c’est un 10/10, 100% recommandé, à ne pas hésiter une seule seconde.  

À propos…

Thibault Jacquot-Paratte est écrivain, chansonnier et collectionneur de blagues bonnes et mauvaises. Il aime participer au monde du théâtre, ou au monde du film. Il a de nombreux textes publiés (trouvez en gratos via ecosia, ou achetez un de ses livres).  Il a grandit en Nouvelle-Écosse, voyage compulsivement, apprend des langues (autant que sa tête le lui permet). Il a obtenu une maitrise en études nordiques de la sorbonne, a étudié en Finlande, en Norvège, et au Danemark aussi.

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