Rares sont les organisations environnementales qui réalisent en grande partie la principale raison d’être de leur mise sur pied. À bien des égards, c’est le cas pour Sentinelles Petitcodiac Riverkeeper (SPR) et son travail acharné depuis 1999 afin de corriger le déclin catastrophique de la rivière Petitcodiac dont le débit naturel a été étouffé par un pont-chaussée (1967) qui est maintenant en voie d’être remplacé par un nouveau pont (2021). À cela s’ajoute l’amélioration significative de la qualité des eaux recyclées par TransAqua grâce à la mise à niveau et la modernisation au niveau du traitement secondaire avancé et du traitement biologique des eaux usées du Grand Moncton.
L’ampleur des sommes engagées avoisinant 200 millions $ et le fait que les deux projets sont à quelques mois de leur achèvement font en sorte que nous assistons aussi en ce début de 21e siècle au plus grand projet de restauration d’une rivière au Canada. Tout un cheminement et revirement de situation lorsqu’on considère qu’en 2003 la rivière Petitcodiac avait été identifiée par Earthwild International and Wildcanada.net comme la rivière la plus menacée au Canada attirant du coup une grande attention médiatique régionale, nationale, voire internationale.
Ces réalisations exceptionnelles ne signifient pas que la rivière Petitcodiac est à l’abri des effets néfastes des changements climatiques, de l’érosion, des inondations ou des problèmes d’origine humaine. La montée en popularité de l’écotourisme et de l’utilisation récréative de notre rivière offre des bienfaits au développement économique local, mais peut aussi créer des problèmes, et doit se faire de manière responsable afin d’assurer le bien-être de notre rivière et du public.

D’où le changement d’optique proactif de SPR afin de favoriser une vision commune de l’utilisation réfléchie de la rivière et de son écosystème. Sentinelles Petitcodiac Riverkeeper a donc été l’hôte (Place Resurgo, Moncton) d’un Symposium historique le 28 octobre 2019 réunissant des entreprises, municipalités, villes et villages, organismes de protection et de restauration de la faune et de la flore, universités, artistes, organismes de développement économique, gens qui vivent et travaillent le long de la rivière Petitcodiac, et autres personnes désireuses d’exploiter de façon responsable le potentiel de cette rivière et favoriser un plan d’action régional. Le résultat du Symposium de la Petitcodiac aidant à établir le sens de cette dynamique collaborative et partenariale, non comme finalité mais processus ouvert que tous estiment important de mettre en route et de nourrir. La suite a toutefois été ralentie par la crise sanitaire qui a aussi beaucoup à voir avec l’urgence climatique et écologique signalant à nouveau l’importance de poursuivre et de transitionner vers une plus grande écologisation de nos activités.
Comme organisation de défense de l’environnement, il faut toujours au besoin affirmer et poser des jalons clairs à ne pas dépasser. Ce fut notamment le cas du rôle déterminant de SPR dans l’opposition au projet controversé du restaurant Skipper Jack’s qui demandait un rezonage et une modification du plan municipal (de zone protégée/services communautaires à usage commercial) à la faveur de l’agrandissement de leur stationnement augmentant du coup les dommages bien connus au ruisseau menacé Rabbit Brook. À la suite d’un important travail de réseautage de SPR mené par Krysta Cowling, une trentaine de lettres d’opposition ont été livrées à l’Hôtel de ville et huit présentations ont été livrées au Conseil municipal du 21 octobre 2020 qui a ensuite rejeté majoritairement la motion. Il ne s’agit pas ici d’une petite victoire mais d’une étape majeure indiquant clairement un nouveau paramètre écologique dans la gestion municipale souhaité par SPR et significativement par un nombre croissant de fonctionnaires de la municipalité qui avaient aussi exprimé leurs réserves.

Sentinelles Petitcodiac Riverkeeper est aussi engagé dans la réalisation d’un projet majeur «Évaluation préliminaire des options de viabilité à long terme du pont-chaussée de la rivière Memramcook» visant l’engagement communautaire et le renforcement des capacités d’adaptation et de résilience dans un projet de trois ans (2019-2022), financé par le Fonds de la restauration côtière du Ministère de Pêches et Océans et développé en collaboration avec Fort Folly Habitat Recovery (FFHR) et Petitcodiac Watershed Alliance (PWA) qui eux s’occupent des volets biophysiques et écologiques de la restauration environnementale. Lors de rencontres publiques bien remplies à Dorchester et à Memramcook durant l’hiver 2020, les communautés environnantes ont été très réceptives à considérer nos trois options (1. Réparations – le Statu Quo ; 2. Reconstruction partielle ; 3. Démantèlement et nouveau pont) et ont laissé savoir une très forte préférence pour l’option 3, un peu à l’image de ce qui se passe pour la restauration de la rivière Petitcodiac. Des évaluations plus poussées sont en cours en vue d’évaluer l’impact culturel des options sur les communautés acadienne, autochtone et anglophone ainsi que les effets négatifs reliés aux changements climatiques, tout en cherchant à mieux cerner le potentiel écotouristique de la région en vue de favoriser les meilleures conditions positives de la rivière et son écosystème.
Socialement, politiquement et pour la postérité, il importe que les artisans de cette transition écologique historique dans le Sud-Est du Nouveau-Brunswick soient aussi reconnus à leur juste valeur. Rappelons que Sentinelles Petitcodiac Riverkeeper dès sa fondation en 1999 a consciemment cherché à réunir Acadiens, Anglophones et Premières nations dans ce grand effort environnemental commun et a aussi récemment fait la demande officielle au Gouvernement provincial de nommer le nouveau pont – Pont Petigodiag Bridge – (dans le langage Mi’kmaq les «g» se prononcent comme «k»). Il y est ainsi question de reconnaître toute la valeur de cet important travail écologique et historique des trois communautés culturelles du sud-est du Nouveau-Brunswick.
Une annonce publique de Sentinelles Petitcodiac Riverkeeper à été faite le 22 avril 2021 (Jour de la Terre) en vue de solliciter le plus grand nombre d’appuis publics pour ce nom inclusif et représentatif. Les citoyennes-citoyens et diverses organisations de la communauté du Sud-Est du Nouveau-Brunswick sont toujours cordialement invités à faire partie de cette dynamique historique en laissant savoir au Gouvernement du Nouveau-Brunswick leurs appuis pour ce nom du nouveau pont.
À propos…
Ronald Babin est président de Sentinelles Petitcodiac Riverkeeper. Il est également professeur de sociologie environnementale et des mouvements sociaux à la retraite.