J’ai toujours respecté les gars de Radio Radio. Jacques Doucet et Alexandre Bilodeau sont originaires de mon coin de la Nouvelle-Écosse, donc j’ai connu leur musique en grandissant. Je suis devenu un fan assez vite : c’était de la musique de par chez nous qui était cool et non traditionnelle.
Par contre, tout le monde n’était pas aussi enthousiaste que moi à propos de ce nouveau rap acadien. Certains pensaient que leur musique était vide, qu’il s’agissait de textes à propos de rien (la chanson « Jacuzzi » était souvent citée comme exemple). Mais nous trouvions un sens à leurs paroles, notamment à celles d’Alexandre Bilodeau : en plus d’être DJ, il avait des choses intéressantes à dire.
Au fil des ans, Bilodeau s’est lentement séparé de Radio Radio. Ses versets de rap devenaient de plus en plus rares et il ne partait plus en tournée avec le groupe, choisissant de performer seulement lors de grands évènements. Il a aussi commencé à faire beaucoup de musique avec d’autres artistes. Bilodeau s’intéressait plus à l’expérimentation, tandis que le reste du groupe cherchait à raffiner son style électro-pop. Cette différence de visions a enfin mené à son départ de Radio Radio.
« Jsu reinque trois quarts f*ké tight »
Finalement, c’est à l’été 2014 que parait le premier album solo de Bilodeau, qui porte maintenant le nom d’artiste Arthur Comeau. En écoutant l’album ¾ pour la première fois, j’étais un peu bouleversé. Je ne suis pas le seul à avoir eu cette réaction. Il s’agit encore de musique électronique, mais le style et l’ambiance diffèrent fortement de ses créations précédentes.
La musique de Comeau, maintenant solo et libre de contraintes créatives, comporte une variété de sonorités, comme l’arrangement funk de ¾, la présence de guitare et de piano sur plusieurs chansons et les extraits de chant dans « Rounce (_Sabbatical) » et « Se wailer (Merci Bondjeu) ». Certaines des chansons rappellent toutefois l’électro qu’il produisait pour Radio Radio, quoiqu’avec une nouvelle intensité, comme « Gouvernement du Moment » et « Es-tu Paré? ».
Malgré mon bouleversement initial, les chansons me restaient en tête. J’ai fini par bien aimer l’album, même si le son est moins soigné que ce à quoi je m’attendais. D’ailleurs, Comeau nous en avertit lui-même dans la chanson « Gouvernement du Moment » : « ça feel comme un démo », dit-il.
Paroles
Beaucoup des paroles – ainsi que leur élocution – sont particulièrement bizarres et peuvent donner l’impression d’être n’importe quoi. Voici quelques exemples qui me viennent en tête : « Avec les raisins pis les grapes / c’est une grape raisin fusion situation » et « Pis les plus gros poissons / ils aviont ils aviont / ouellement de chandelles pis du huile ». Ce n’est qu’en voyant Arthur Comeau en concert intime que j’ai découvert le génie de ses paroles qui sont, en grande partie, improvisées.
Il est facile de conclure que les paroles ne disent pas grand-chose, mais il ne faut pas s’arrêter à leur absurdité, qui n’est que façade. Dans certaines lignes de la chanson « ¾ », Comeau semble parler du fait qu’il ne dit rien (ou que Radio Radio ne dit ou ne disait rien) : « J’ai reinque cheuk lignes pour dire ça que j’avais à dire pis [paroles incompréhensibles] ». Cette idée se trouve aussi dans « Allergic à la jinxx » : il mentionne qu’« il faut parler about des affaires ».
Et ce n’est pas la première fois qu’il aborde le sujet. Dans la chanson de Radio Radio « Nouvelle affaire », enregistrée à l’époque de Belmundo Régal mais seulement rendue publique cette année, on peut entendre dans le premier verset : « Parce que parler pour rien dire, tu sais que ça m’excite… ej joke même pas, dire rien pour la fun ».
Comeau explore peut-être le fait que la musique devrait (ou non) « dire quelque chose », véhiculer un message. En fait, Herménégilde Chiasson a abordé cette question par rapport à la musique acadienne lors d’une conférence qu’il a donnée au Congrès mondial acadien 2014, faisant même référence à Radio Radio (voir la section « J pour Jeu » de sa conférence).
Une autre remarque sur les paroles : « Allergic à la jinxx », une des chansons les plus fortes de l’album, fait plusieurs fois référence aux membres de l’ancien groupe de Comeau. Si vous écoutez bien, vous entendrez des paroles qui sont tirées de textes de Jacobus et de Gabriel Malenfant. Il semble même imiter leurs styles pendant certains versets. À vous d’écouter et d’interpréter ces messages cryptiques!
Langue et culture
L’utilisation de la langue et des références culturelles est intéressante. Comeau rap avec un accent acadjonne full-blast. Contrairement à beaucoup de productions artistiques de par chez nous, il n’y a pas d’embellissement de la langue, aucune poétisation de la Baie Sainte-Marie. Il exagère même certains aspects de l’accent, s’en moquant quasiment – écoutez seulement la chanson « Warrior » pour vous en apercevoir.
Le vidéo de « Meteghan » représente bien la région sans se limiter aux clichés acadiens. Beaucoup des lieux qui figurent dans le vidéo sont importants pour les gens du coin, mais n’ont pas vraiment de valeur touristique. Oui, il y a des clips de la Baie et de la plage, mais il y a aussi la club de la Pointe, le Kwik Way et la bowling alley. Comme son accent, le vidéo est rugged mais authentique. Même le choix de parler de Meteghan au lieu de Baie Sainte-Marie me semble significatif.
En somme, même si Alexandre « sait pu quoi vous dire », il sait encore comment s’amuser, comment vous faire danser, et comment vous faire sourire.
À propos…
Chad Comeau est originaire de Meteghan, en Nouvelle-Écosse, mais demeure au Nouveau-Brunswick depuis cinq ans. Il gagne sa vie dans le domaine de la traduction, mais sa passion demeure la conception de jeux vidéo, un art qu’il pratique dans son temps libre. En fait, son jeu acadien La vie d’Arcade a fait l’objet d’une critique sur Astheure.
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