Monsieur Gallant, maintenant que la poussière des élections provinciales est tombée, vous avez la responsabilité d’une province qui, comme plusieurs autres au Canada, fait face à des défis importants.
Ces défis sont bien réels, que ce soit au niveau des finances provinciales, de la livraison des programmes publics, du développement de notre économie ou de la création d’emploi. Ces dossiers doivent être pris au sérieux si nous voulons une économie provinciale stable et durable et si nous voulons assurer une qualité de vie à tous les citoyennes et citoyens.
Depuis quelques mois, certains commentateurs (Richard Saillant, Donald Savoie, Frank McKenna, entre autres) provenant du secteur universitaire et du monde des affaires ont pris la parole dans les journaux, à la radio et à la télévision pour faire connaître leurs interprétations des défis qui attendent la province et pour proposer leurs solutions. Ils accusent ceux qui ne partagent pas la même opinion sur la situation de faire les autruches. Ils nous présentent une vision apocalyptique de la situation financière de la province et nous proposent une politique d’austérité.
Élargir le débat
Monsieur Gallant, nous croyons que le débat doit être élargi si nous voulons en arriver à une vision plus équilibrée de la situation et à des solutions durables.
Ce débat ne doit pas se faire seulement entre des universitaires, des représentants du monde des affaires et des politiciens. Il doit être beaucoup plus large.
Il doit s’ouvrir à l’ensemble de la population, en particulier aux travailleuses et aux travailleurs qui doivent chaque jour, par leur travail, créer la richesse. Toutes les citoyennes et tous les citoyens doivent pouvoir avoir la possibilité de participer, notamment les bénéficiaires de l’aide sociale, les aînés, les étudiants et les artistes, qui seront les plus durement touchés par les réductions dans les programmes publics.
Pour nourrir ce débat, il nous faut un outil de réflexion, un livre blanc sur le développement durable qui examinerait l’ensemble des questions scientifiques, juridiques, commerciales et fiscales du développement de nos ressources naturelles et de notre territoire. On y ferait état des meilleures pratiques afin de mieux pouvoir comparer notre situation avec celle des autres provinces et, notamment, afin d’offrir une vision du développement énergétique qui va au-delà d’un oléoduc et du développement de l’industrie du gaz de schiste. Ce livre blanc doit aussi inclure la nécessité de la conservation de l’énergie et du développement des énergies renouvelables.
Politique d’austérité
Pendant près de trente années après la Deuxième Guerre mondiale les citoyens ont, par des luttes syndicales et citoyennes, forcé une meilleure distribution de la richesse collective afin de se doter de programmes publics qui favorisent une vie meilleure. Depuis, ces acquis sociaux ont été mis à rude épreuve par des politiques dites d’ajustement structurel.
Ces politiques prévoient la réduction ou le démantèlement des programmes public, ainsi que la réduction de la réglementation et l’exploitation à outrance des ressources naturelles.
Que ça soit au niveau national ou provincial, ce démantèlement de ces biens communs et leur vente à rabais sont présentés comme inévitables en raison du déficit ou de la dette, et du climat de l’économie mondiale. On agite le spectre d’une baisse de la côte d’emprunt sur le marché international et d’une urgence d’agir. La situation est présentée comme une qui exige de prendre des décisions rapidement, sans analyser les conséquences à long terme, sans quoi, paraît-il, le pays ou la province tomberait dans une situation de chaos.
L’objectif est de créer un sentiment d’urgence, nous convaincre de l’absence d’alternatives et nous forcer à accepter les politiques d’austérité présentées comme les seules possibles. Cette stratégie est démontrée clairement par Naomi Klein dans son livre : La stratégie du choc : la montée du capitalisme du désastre.
Nos obligations
Un débat public sur l’orientation à prendre pour la province ne peut se faire sans souligner les engagements internationaux du Canada.
Le Canada a signé la Déclaration universelle des droits de la personne qui garantit aux articles 22, 23 et 25, le droit à la sécurité sociale, le droit à une rémunération équitable et satisfaisante et le droit à un niveau de vie suffisant pour assurer à toute personne sa santé, son bien-être et ceux de sa famille.
Le Nouveau-Brunswick, quant à lui, a inscrit dans une loi son engagement de réduire la pauvreté en 2009. Cette loi adoptée à l’unanimité de l’Assemblée législative a comme objectif de réduire la pauvreté monétaire de 25 % et de réduire de moitié la pauvreté monétaire extrême tout en visant l’inclusion économique et sociale.
Ces engagements, ces obligations doivent faire partie de la réflexion et du discours sur l’orientation de la province.
Deux éléphants
Monsieur Gallant, la discussion publique ne peut se faire sans souligner la présence de deux énormes éléphants qui brouillent les cartes. Pourtant les universitaires et les représentants du monde des affaires ne les mentionnent presque jamais quand vient le temps d’analyser la situation économique. Il s’agit de la crise financière de 2008 et des profondes inégalités dans la redistribution de la richesse.
Il est important de souligner que la crise financière mondiale de 2008 n’a pas été provoquée par les revendications des travailleurs ni par une demande accrue de services publics par les citoyens, mais bien par la cupidité d’une partie du monde des affaires. Des pans entiers de l’économie dans tous les pays ont été mis en lambeaux, des milliers de travailleuses et de travailleurs ont perdu leur gagne-pain et des centaines de milliards de dollars de l’impôt des citoyennes et citoyens ont été détournés afin de soutenir des secteurs économiques en difficulté comme celui de l’automobile au Canada. Il est curieux que seulement quelques années plus tard, ce désastre financier aux proportions mondiales ait été évacué de l’analyse politique et économique de ces penseurs. Il n’y a pas meilleur exemple du danger de se fier exclusivement au secteur privé pour assurer la sécurité financière des individus et des familles.
Le deuxième point qui n’est presque jamais soulevé par nos analystes, à croire que c’est un état naturel, est la concentration de la richesse qui a une incidence importante sur les finances publiques. Dans son rapport : Les nantis et les démunis, L’inégalité profonde et obstinée au Canada l’Institut Broadbent rapporte que depuis 2005, 10 % des personnes les plus riches ont connu une augmentation importante de leur richesse tandis que les 10 % des personnes les plus pauvres se sont appauvris. Cette forte concentration de la richesse entre les mains d’une petite poignée qui contrôle près de cinquante pour cent de la richesse du pays doit faire partie de l’analyse. Les solutions pour redresser nos finances publiques devraient viser une distribution équitable de la richesse et décourager l’accroissement des disparités, entre autres en s’attaquant aux abris fiscaux. Au Nouveau-Brunswick, on ne peut passer sous silence que la ville qui possède le taux de pauvreté le plus élevé de la province, héberge la famille Irving, troisième fortune du pays, qui utilise un abri fiscal aux Bermudes.
À propos…
Jean-Claude Basque est originaire de Tracadie, mais demeure à Moncton depuis 1996. Pendant plus de quarante années, il fût impliqué dans des causes sociales et syndicales. Depuis sa retraite, il est le coordonnateur provincial bénévole du Front commun pour la justice sociale du Nouveau-Brunswick.
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Jean-Claude Basque !… Un de nos grands penseurs ! …Une magnifique voix dans notre societe …..Article base a partir de grandes et solides recherches mais surtout d’un vecu et d;une connaissance profonde de son sujet et oui , superbement pertinent a la situation economique de nos jours …..BRAVO !
Lettre ouverte bien documentée et pertinente à notre situation économique au Nouveau-Brunswick. On devrait en faire un thème (base) de discussion.
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BRAVO!!! J’applaudis cette intervention.