Lettre ouverte à Brian Gallant, premier ministre du Nouveau-Brunswick (partie 3) – Jean-Claude Basque

Lisez la partie 1 ou la partie 2 de la lettre ici.

 

Le modèle proposé

Monsieur le Premier Ministre, vous connaissez certainement les solutions suivantes qui nous sont proposées dans les récents commentaires de Donald Savoie et Frank McKenna, publiés dans les journaux.

La première solution était d’ordre général, notamment que votre gouvernement affiche clairement que notre province est le meilleur endroit où brasser des affaires, pas seulement en Atlantique ou au Canada, mais en Amérique du Nord.

Pour accomplir ce miracle, selon M. Savoie, il faut évidemment que votre gouvernement aide toutes ces petites, moyennes ou grandes entreprises à s’épanouir et à être plus concurrentielles. Pour que notre province devienne la nouvelle La Mecque des investisseurs, trois mesures sont proposées : réduire, encore une fois, la réglementation provinciale ; privatiser les entreprises publiques ; et s’ouvrir au développement du secteur énergétique.

Permettez- nous de souligner que l’idée de réduire la réglementation n’est pas nouvelle. Elle est colportée depuis des années. C’est à se demander s’il reste encore des règlements efficaces. Ce n’est pas une soi-disant réglementation trop sévère qui empêche les entreprises de prospérer ou de venir s’installer dans notre province. Elles bénéficient déjà du salaire minimum le plus bas au pays, d’un taux de cotisation à l’indemnisation des accidentés du travail parmi les plus bas, d’un taux d’imposition et de taxation réduit tout en profitant de services publics de bonne qualité. Si ces mesures ne suffisent pas, c’est que ces activités commerciales ne sont pas concurrentielles et les propriétaires devraient changer de branche.

Pour ce qui est de la deuxième suggestion, soit de privatiser les entreprises publiques comme Alcool NB, vous conviendrez avec nous qu’elle est bien étrange.

Nous avons une société d’État qui génère des profits de plus de 160 millions de dollars et, du jour au lendemain, nous nous délesterions de ces revenus. C’est à n’y rien comprendre.  Il nous semble qu’une province qui a des biens publics comme les terres de la Couronne ou des entreprises profitables comme Alcool NB devrait faire en sorte de bien les gérer et de profiter de leurs revenus.

Certains croient que seul le secteur des affaires peut être géré efficacement. Le modèle de gestion privée est loin d’être un modèle à suivre si on regarde les millions de dollars de nos impôts qui sont annuellement alloués aux programmes d’aide à l’entreprise, aux subventions, subsides ou subventions au salaire pour maintenir à flot les entreprises. C’est ce même secteur privé qui réclame une réduction de taxes, des réductions à l’assurance-emploi  et des salaires inférieurs. Dans les faits, ils sont davantage une charge pour l’État qu’un bénéfice. Pour reprendre une vieille expression, ils sont des corporate welfare bums (des sociétés parasites). Difficile de concevoir qu’on puisse se fier à leurs directives pour la gestion de la reprise économique.

La dernière mesure est d’ouvrir grand les bras aux projets du secteur privé, entre autres ceux du secteur énergétique.

Plutôt qu’appuyer nos propres entrepreneurs, M. Savoie critique les citoyens qui se sont élevés contre l’entente dans le secteur du bleuet grâce à laquelle le contrôle de cette industrie a été donné à une compagnie de l’extérieur de la province. Il critique aussi les experts et les citoyens qui demandent de connaître les détails de l’entente portant sur les terres de la Couronne, entente signée par la province avec, entre autres, la compagnie Irving. Cette entente fait en sorte que nous avons en partie perdu le contrôle sur une de nos richesses naturelles, les terres de la Couronne. Tout en essayant de nous faire oublier que ces deux ententes auront des conséquences néfastes pour la prise en charge de notre économie et pour la protection de notre bien commun, on essaie de nous faire avaler que ces entreprises ont à cœur l’intérêt public du simple fait qu’elles sont « locales ».

Deux projets du secteur énergétique, notamment l’oléoduc Énergie Est de TransCanada et le développement du gaz de schiste, nous sont proposés par MM. Savoie et McKenna comme moteur incontournable du développement de notre économie.

D’abord, l’oléoduc représenterait, selon les promoteurs, une mine d’or pour l’emploi local ainsi que d’importantes retombées économiques à long terme.

M. Gallant, vous avez déjà démontré votre appui au projet de l’oléoduc Énergie Est. Avant de s’engager plus profondément  dans ce projet, il faudrait vérifier les faits et ne pas prendre nos rêves pour des réalités. Le cas de l’oléoduc de Maritime and Northeast, qui traverse le Nouveau-Brunswick pour transporter le gaz naturel de l’île de Sable aux États-Unis, peut nous aider à connaître l’heure juste. Il nous semble primordial de savoir quelles ont été les retombées économiques réelles (redevances provinciales, taxes, emplois, accès au nord de la province, coûts aux consommateurs, etc.) de cet oléoduc pour notre province au cours des derniers vingt ans afin d’avoir un aperçu de ce que seraient les retombées du projet actuel.

Le projet de l’oléoduc Énergie Est de TransCanada nous est présenté par M. McKenna comme le nouveau Graal économique. Ce directeur de Canadian Natural Resources Ltd, une des plus importantes compagnies axée sur le pétrole et le développement des sables bitumineux (Horizons Oil Sands), fait miroiter des milliers d’emplois, l’expansion de Canaport, la possibilité d’une deuxième raffinerie, le développement de l’industrie pétrochimique à Saint-Jean, etc. Notre ex-premier ministre, maintenant un homme d’affaires œuvrant dans le secteur énergétique, nous dit de rêver grand et en couleur, s’il-vous-plaît.

M. Gallant, vous savez comme nous que le bitumineux albertain pompé dans l’oléoduc n’est aucunement destiné à la consommation locale ni à sa transformation dans la province; il est destiné presque exclusivement à l’exportation. L’oléoduc Énergie Est de TransCanada traversera 271 cours d’eau de la province pour transporter rapidement le pétrole brut directement vers les marchés internationaux. Le Nouveau-Brunswick ne sera qu’un lieu de transit. Les rêves d’une deuxième raffinerie, d’une essence à bon marché et d’une source sécuritaire d’énergie doivent être rejetés pour ce qu’ils sont, des chimères.

M. Savoie et McKenna essaient de nous présenter l’exploitation du gaz de schiste comme le miracle qui va sauver notre économie. Là encore, c’est le mirage de centaines d’emplois, de possibilités de sous-traitance pour les entrepreneurs locaux, et d’accès à une source d’énergie pas chère. Ce même M. McKenna a même soulevé, le 24 octobre dernier à Saint-Jean, lors du 12eSommet sur l’énergie au Canada atlantique, un coin de la couette pour nous laisser entrevoir la possibilité d’un oléoduc pour le gaz naturel. On n’a pas encore le premier et il nous fait rêver à un deuxième. Incroyable!

Mais la réalité est toute autre : peu d’emplois à long terme, risques importants pour l’environnement et les sources d’eau potable, gestion des eaux usées, coûts élevés des nettoyages en échange de revenus médiocres pour la province, pour ne nommer que ceux-là.

Nous ne nous sommes pas, comme certains nous accusent, tièdes à l’idée d’exploiter nos ressources naturelles non renouvelables et au développement économique. Nous voulons cependant nous assurer de les exploiter de manière durable et responsable dans l’intérêt du bien commun et non pour le profit d’actionnaires canadiens ou étrangers.

M. Gallant, nous avons tous une responsabilité face au réchauffement de la planète causé en grande partie par le combustible fossile.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a souligné dans son rapport de 2014 :

Les émissions continues de gaz à effet de serre accentueront le réchauffement et engendreront des changements durables dans toutes les composantes du système climatique, augmentant ainsi la probabilité d’effets graves, profonds et irréversibles sur les personnes et les écosystèmes. Limiter les changements climatiques exigerait des réductions substantielles et soutenues des émissions de gaz à effet de serre et, avec des mesures d’adaptation, nous pourrions limiter les risques liés aux changements climatiques (traduction libre).

Nous pensons qu’il est impératif pour nos gouvernements, tant fédéral que provinciaux, de prendre la direction de la lutte contre le réchauffement de la planète qui passe par la réduction de notre consommation de combustible fossile et non par son augmentation comme nos ténors nous y invitent.

Conclusion

M. Gallant, nous vous exhortons de ne pas nous engager à la hâte dans des orientations à long terme sans, auparavant, inclure dans la conversation tous les secteurs de la population et non seulement le secteur privé.

Nous vous exhortons de produire un livre blanc afin de rendre publique toute information sur les différentes options proposées en ce qui concerne le secteur énergétique et les ressources naturelles.

Nous vous exhortons à adopter une orientation en matière de développement durable qui ne se limite pas à la dimension économique et qui tienne compte du caractère indissociable des dimensions environnementales, sociales et économiques des activités de développement.

M. Gallant, les décisions de votre gouvernement auront des conséquences pour des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants et pendant plusieurs générations. C’est pourquoi il faut prendre le temps nécessaire pour arriver à la meilleure décision pour le bien commun et non pour l’intérêt privé.

À propos…

jean claude basqueJean-Claude Basque est originaire de Tracadie, mais demeure à Moncton depuis 1996. Pendant plus de quarante années, il fût impliqué dans des causes sociales et syndicales. Depuis sa retraite, il est le coordonnateur provincial bénévole du Front commun pour la justice sociale du Nouveau-Brunswick.

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