Depuis mon arrivée dans l’Ouest canadien pour mes études, j’ai pu prendre connaissance de la controversée existence de «métis[1] acadiens», ainsi que la frustration générée par ce phénomène chez les Métis. En toute transparence, mes études portent sur l’archéologie des Métis, ce qui fait en sorte que je m’intéresse particulièrement à l’identité et à l’histoire de ce groupe. Ainsi, à l’aide des connaissances acquises au cours ma scolarité et de mes discussions avec des collègues métis ainsi que de mon point de vue en tant qu’Acadienne, j’aimerais aborder brièvement la question des «métis acadiens».
À mon avis, l’idée selon laquelle de prétendus «métis acadiens» auraient des droits autochtones égaux à ceux des communautés métisses reconnues est problématique, car elle se base essentiellement sur une appropriation identitaire. En effet, on retrouve dans l’Est une définition confuse de l’identité métisse, presque uniquement basée sur la généalogie. Or, à la fois pour les communautés métisses contemporaines et la Cour suprême du Canada, le simple fait d’avoir un (ou des) ancêtre(s) autochtone(s) ne suffit pas pour être considéré comme Métis.
Tout d’abord, il faut savoir que les Métis sont l’un des trois peuples autochtones reconnus par la Loi constitutionnelle de 1982, avec les Premières Nations et les Inuits. Leurs droits en tant qu’Autochtones sont donc reconnus par l’article 35 de la Loi. Toutefois, leur identité n’est pas clairement définie sur le plan légal. Pour cette raison, la question de l’identité métisse ressurgit régulièrement dans les cours provinciales et fédérales canadiennes, particulièrement lorsqu’il est question de droit de pêche et de chasse. Il y a quelques années, des décisions majeures ont été rendues par la Cour suprême du Canada, comme l’arrêt Powley (2003). Dans celui-ci, la Cour suprême présente un test de 10 critères à respecter afin de profiter des droits métis et elle admet potentiellement l’existence de plusieurs «communautés métisses» en utilisant le pluriel. L’identité métisse est une question épineuse pour la Cour suprême puisque leurs décisions servent de jurisprudence, ce qui explique probablement le choix des termes imprécis de «communautés métisses». Toutefois, plusieurs y ont plutôt vu une reconnaissance de l’existence de «métis» dans les provinces de l’Est, notamment au Québec et en Nouvelle-Écosse.
Ensuite, il faut reconnaitre que le terme «métis» peut porter à confusion. Dans le dictionnaire, le mot fait référence à un mélange; la descendance d’une union entre personnes ayant des origines ethniques différentes. Or, avec le temps, le terme est également devenu le nom d’un groupe autochtone (souvent écrit avec un M majuscule afin de le distinguer des métis issus de métissage). Cette définition pourrait amener certains francophones à penser que l’unique critère de définition du groupe de ce nom est le métissage. Ce n’est toutefois pas le cas.
En effet, les Métis sont unis par une culture et une histoire commune, c’est-à-dire que leur existence résulte effectivement du métissage entre blancs et Autochtones. Cependant, ce n’est pas ce métissage qui définit leur identité. Cette dernière est plutôt définie par leur culture, bâtie sur plus de 200 ans. Ils possèdent notamment une histoire commune (la traite des fourrures, la chasse aux bisons, les conflits de 1870 et de 1885), des traditions culinaires et musicales, ainsi que des habits traditionnels, comme la ceinture fléchée.
Par ailleurs, les revendications identitaires des «métis acadiens» se distinguent de celles des autres Métis du Canada puisqu’elles sont uniquement basées sur l’argument d’un métissage entre blancs et Autochtones en faisait appel à une généalogie parfois douteuse. Or, le concept de métissage n’est pas suffisant pour définir l’identité métisse canadienne. Le simple fait d’avoir un ou des ancêtres autochtones ne fait pas de nous des Métis et ne nous garantit pas des droits comparables à ceux des Métis.
Si la généalogie peut servir à quelque chose, c’est bien à nous montrer qu’il y a effectivement eu du métissage en Acadie, c’est-à-dire des unions entre colons blancs et Autochtones. Or, contrairement au cas des Métis reconnus, nous n’avons pas de preuves que ce métissage ait donné lieu à une culture distincte de celle de la culture acadienne. Au contraire, ne pourrait-on pas plutôt penser que ce métissage, tant génétique que culturel, soit l’un des éléments qui donna naissance à la culture acadienne, faisant ainsi de nos ancêtres des Acadiens plutôt que des simples colons français?
Ultimement, il faut aussi savoir que le phénomène des «métis acadiens» nuit aux communautés métisses contemporaines. En effet, les Métis ont beaucoup souffert des effets du colonialisme et des efforts de dispersion et d’assimilation du Gouvernement canadien. La reconnaissance des Métis en tant que groupe autochtone est récente et est le résultat de plusieurs années de travail acharné. Avant 1982, les Métis n’étaient pas reconnus par le fédéral et étaient rangés aux côtés des «Indiens non inscrits». Malgré cette reconnaissance, des problèmes persistent et l’identité métisse est encore souvent banalisée (on en retrouve même un exemple récent au Sénat[2]).
Un autre témoin de la banalisation de l’identité métisse est l’augmentation phénoménale dans les recensements du nombre d’individus s’auto-identifiant comme Métis depuis l’arrêt Powley. On retrouve même dans l’Est des associations de «métis autodéclarés» qui présentent parfois des versions farfelues de l’histoire acadienne afin de justifier leurs revendications identitaires[3]. De plus, comme l’affirme Leroux (2019), une telle auto-identification opportuniste est une forme de colonialisme[4]. En somme, les effets du phénomène des «métis acadiens» sont néfastes à la fois pour les communautés métisses contemporaines en banalisant leur identité, mais également pour les autres communautés autochtones du Canada. Ce faisant, on envoie le message que l’identité autochtone est ouverte à tous. Est-ce cette appropriation pourrait être le symptôme d’une anxiété identitaire chez certains Acadiens?
En conclusion, il semble clair que la question des «métis acadiens» n’est pas comparable à celle des Métis. On peut résumer mon argumentaire en une phrase : la mixité ne fait pas le Métis! Ne peut-on pas simplement se dire Acadien, tout en reconnaissant le fait qu’on puisse avoir des ancêtres autochtones? Il y a certainement moyen d’être fiers de qui nous sommes et de nos ancêtres (autochtones ou pas) sans avoir à s’approprier l’identité d’autrui. Nous devrions plutôt rediriger cet intérêt pour l’histoire des relations entre les communautés autochtones et acadiennes en mettant en valeur les liens centenaires qui nous unissent et en nous engageant à appuyer nos voisins Mi’kmaq et Wolastoqiyik (Malécites), sur les territoires desquels nous habitons depuis maintenant plus de 400 ans.
[1] Dans ce texte, la graphie «Métis» (nom) fait référence aux groupes habitant dans les provinces du centre et de l’Ouest, alors que «métis» (nom) est utilisée pour désigner les groupes de l’Est qui revendiquent une identité comparable à celle des groupes de l’Ouest. À distinguer de l’usage de l’adjectif «métis/métisse(s)», qui sera toujours écrit avec la minuscule.
[2] https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1723370/identite-droit-senat-marilou-mcphedran-breanne-lavallee-heckert-howard-levitt
[3] Pour plus de détails à cet effet, consultez l’article de Darryl L. Joseph Leroux, «Le révisionnisme historique et la création des métis de l’est : La mythologie du métissage au Québec et en Nouvelle-Écosse» (Politique et Sociétés, volume 38, numéro 3, 2019).
[4] Idem, p.15.
À propos…
Solène Mallet Gauthier, originaire de Dieppe (N-B), est étudiante au doctorat en anthropologie à l’Université de l’Alberta et membre du Institute of Prairie and Indigenous Archaeology (IPIA). Elle possède un baccalauréat et une maîtrise en archéologie de l’Université Laval. Elle s’intéresse aux questions identitaires en contexte colonial, notamment par l’étude de l’alimentation.
Bonjour à vous! J’aimerais savoir comment je pourrais savoir si mes ancêtres du nom de Gallien et Mallet Ont des souches autochtones, Métisse en vu de faire ma demande pour être reconnu autochtones . Mon teste ADN me dit que j’ai du sang autochtones. Mes deux ancêtres en 1600 sont du nom de jesn Ninimilaour et de Marie Anne Aneychene.