Le Festival Franco-Ontarien (FFO) annonçait récemment une partie de sa programmation, laquelle dévoilait en tête d’affiche Éric Lapointe, un homme reconnu de voie de fait sur une femme et accusé par plusieurs autres de harcèlement et de violences à caractère sexuel. Nombre de membres assidus du public du FFO exprimaient alors rapidement leur indignation et leur déception face à un choix tout à fait reprochable.
En entrevue avec Philippe Marcoux et Christelle D’Amours le 26 août dernier à l’émission radiophonique Sur le vif, le producteur délégué du Festival, Daniel Simoncic, expliquait la décision du comité organisateur en suggérant avoir «invité l’artiste. On n’a pas invité son passé, j’ai pas invité, moi, son histoire, je la connais pas». Et d’enchaîner : «Moi, comme vous m’avez présenté, je suis producteur délégué d’un festival qui a un conseil d’administration pis on a pris cette décision-là en connaissance de cause».
C’est le mythe le plus méprisable qui soit, celui qui veut qu’on puisse «séparer l’artiste de l’homme». L’expression a été utilisée pour légitimer la reproduction et la célébration d’œuvres et d’artistes jugés importants d’une perspective historique, mais également, et de plus en plus, d’une perspective économique : «C’est un des gars qui a vendu le plus d’albums au Canada», suggérait le producteur délégué dans la même entrevue.
Dans la mouvance du #MeToo aux États-Unis et au Canada, du #MoiAussi au Canada francophone et au Québec, ou encore du #BalanceTonPorc en France, cet enjeu qui a animé tant de débats au sein des disciplines des humanités et des sciences sociales avait repris de plus belle sous la plume du grand public. Les témoignages et les expériences encore aujourd’hui partagés ont permis de mettre en lumière à quel point il est dommageable de tolérer la présence de personnes violentes dans tout milieu professionnel, y compris dans le monde des arts. Ce mouvement a démontré qu’il n’est pas possible, voire souhaitable d’exercer la distinction entre l’homme, l’artiste et son œuvre.
C’est tout de même ce qu’a voulu prétendre le comité organisateur du FFO pour justifier leur décision.
Dans la même suite d’idées, il semblerait qu’une petite leçon sur le concept de sécurité soit de mise pour le comité organisateur du FFO qui suggère que le Festival reste malgré tout un espace sécuritaire pour le public. Comment le FFO peut-il représenter un espace sécuritaire si, par sa programmation même, il minimise la gravité des violences faites aux femmes? C’est dire qu’après délibération, le comité organisateur du FFO a fait le choix de taire les violences faites aux femmes et les violences conjugales.
On n’est pas seulement face à un manque de volonté, on se trouve carrément devant de la mauvaise volonté. La misogynie s’articule souvent insidieusement.
Au cas où la chose échapperait toujours au comité organisateur, ce qu’il faut retenir de l’impasse à laquelle une logique aussi laxiste que : «faut séparer l’homme de son œuvre», c’est que c’est l’homme qui finit par être récompensé, aussi bien monétairement que symboliquement. Il en va donc d’autres formes d’impunité lorsque les institutions culturelles comme le FFO, qui assument le rôle de nous rassembler et qui de facto nous représentent, font le choix de mettre à l’avant-scène des personnes aux comportements misogynes.
Dans un contexte social où l’on considère encore la figure de l’artiste et plus largement toute personnalité publique comme des modèles, comme des références, les institutions culturelles comme le FFO gagneraient à faire preuve davantage de réflexivité, d’empathie et d’intégrité.
Je conclus en invitant le comité d’organisation du FFO à prendre exemple sur le Festival Acadie Rock qui ouvrait ses festivités lors du spectacle du 15 août dernier en dénonçant toutes formes de violences et de harcèlement portées contre les festivalières et les festivaliers, en rappelant l’importance du consentement et de notre responsabilité commune à l’égard de la sécurité de toustes. Ne pas comprendre la pertinence transversale de cet enjeu dans l’ensemble de nos espaces communs contribue à perpétuer ces mêmes violences.
Souhaitons enfin que le Festival Franco-Ontarien, en tant que diffuseur important, prenne au sérieux sa responsabilité à l’égard de la sécurité de ses festivalières et de ses festivaliers.
Services d’aide aux femmes victimes de violence dans la région d’Ottawa-Gatineau :
- Fem’aide – 1-877-336-2433 / http://www.femaide.ca
- Info-aide violence sexuelle – 1-888-933-9007
- Le CALACS francophone d’Ottawa – 613-789-8096 / http://www.calacs.ca
- Centre Novas – 613-764-5700 / 1-866-772-9922
- Le CALAS de l’Outaouais – (819) 771-1773 ou sans frais 1-866-757-7757 / http://www.calas.ca
- SOS violence conjugale – 1-800-363-9010 / http://www.sosviolenceconjugale.ca/fr
- Maison d’amitié – 613 747-9136 / http://www.maisondamitie.ca
- Maison Interlude – 1-800-461-1842 / 613-8018169 / www.minterludeh.ca
À propos…
Eugénie Tessier est doctorante en sociologie à l’Université d’Ottawa et détient une maîtrise en musique avec spécialisation en études féministes et de genre de la même université. Sa recherche à caractère fortement interdisciplinaire porte sur les enjeux d’inégalités et de représentation au sein des industries artistiques et culturelles francophones minoritaires. Elle s’intéresse particulièrement aux façons dont les multiples déclinaisons et interactions des pratiques artistiques et mnémoniques des collectivités francophones agissent sur les définitions de la figure artiste et de la pratique musicale.