Jacquot-Paratte, Thibault, Souvernirs et fragments, Paris, Edilivre, 2022, 348 p.
348 pages de poésie, de nouvelles, de prose expérimentale, et une courte pièce en un acte, 25,50€ (33,53$ avec le triste taux de change actuel) ou 11,99€ (15,76$) en édition électronique; voilà Souvenirs et fragments, miscellanées de Thibault Jacquot-Paratte, publié ce printemps aux Éditions Édilivre à Paris, en France. Certains des textes ont déjà été publiés («Le car touristique» dans la revue Ancrages, «Le smog» dans l’anthologie Des plumes à l’action : justice climatique, publiée par Oxfam à Montréal).
Presque chaque texte du livre est accompagné d’une date et d’un lieu, tels que «Paris, printemps 2014», «Kobe, 29-30 avril 2015». Parfois, il est indiqué «date et lieu indicible», parfois il y a des inscriptions plus vagues, comme «3 avril 2014, mais vécu bien souvent». Les dates s’échelonnent entre 2011 et 2015, mais restent centrées sur la période 2013-2014. Les lecteurs peuvent se poser la question «pourquoi ces indications?», surtout que les textes ne sont pas dans l’ordre chronologique. La réponse pourrait se trouver dans le dernier texte du recueil, «Promenade 5» : «Et j’avais la conscience, d’avoir, pendant quelques secondes, existé en deux endroits en même temps». Un parallèle pourrait être tracé avec le premier texte du recueil, «Promenade 1» : «Nous sommes deux à rentrer de la fête ce soir».
Si les textes sont, par moments, éclectiques les uns par rapport aux autres, nous retrouvons dans ce recueil un éventail de styles et de genres fort agréable. Plusieurs longs poèmes, tels que «Jamais je n’ai été plus content», «Perdons-nous, oui, perdons-nous», évoquent la poésie romantique dans leur forme, leur ambiance nostalgique, et leur ton quelque peu dramatique (dramatique, même si ces poèmes restent en général optimistes, voire juvéniles dans leur optimisme). «Perdons-nous, oui, perdons-nous une autre fois sur le chemin du retour pour qu’une mésaventure puisse davantage nous rapprocher» (p. 317). Les mêmes poèmes ont cependant un contenu qui se rapproche du surréalisme ou du symbolisme, alternant entre flux de conscience/association libre, et stylistique assez précise.
D’autres textes laissent décidément à croire qu’ils sont automatistes; «Stabat Mater, sur une musique de Krzysztof Penderecki et Nyx, d’après une musique de Esa-Pekka Salonen». Que dire sur l’écriture automatique? Soit comme dans l’art abstrait, l’on y trouve son compte, soit l’on n’accroche pas. D’autres écrits, sans pour autant rappeler l’écriture automatique, conservent un fort esprit absurde ou surréel, notons «Futur blues, ou les chemins de la déforestation» dans lequel un protagoniste énumère les tristesses qui lui arriveront demain, mais dans un temps passé : «Mais demain, mon emploi me plaisait, ma famille me plaisait […]. J’avais cinquante-trois ans à l’époque» (p. 283), tout en racontant comment une roche en forme de pince de homard s’est attachée à son poignet pour le menotter indéfiniment ; ou dans «Photosynthèse» où une jeune femme se transforme en fleur pour être ensuite écrasée par accident par son amoureux parti à sa recherche. «Photosynthèse» et «Le smog», entre autres, témoignent d’une volonté évidente de déconstruire le langage et d’expérimenter avec celui-ci.
D’autres nouvelles révèlent une facture plus standard («Et je m’en occuperai», «Théorie de la conquête»…), et encore, le recueil comporte ce que l’on devine être des courts récits de voyage («Aéroport 1», «Bar 1», «Caveman/le grotteux»…). Une chose intéressante à soulever est l’attrait aux styles différents. Science-fiction («Entre nous, délaissons»), fantastique («C’est une femme qui m’a donné un conseil»), réalisme («Et je m’en occuperai»), ou hors-catégories («Le smog»). L’impression générale demeure que ce mélange est volontaire, voire renforce un élément fragmentaire du livre, ou comme l’indique le texte sur la quatrième de couverture : «Souvenirs et fragments, souvenirs fragmentés, traces de vécus et traces de ce que le vécu nous évoque. Jeux entre l’espace, le temps, le réel, les impressions, le présent, et ce que le présent annonce.»
Nous retrouvons «Ce que le présent annonce» dans un côté engagé du livre. Engagé dans l’écologie, comme «Le smog» ou dans le pacifisme, comme «Le car touristique», dans des idées plutôt socialistes, ou autres. Certains textes plus libres à l’interprétation peuvent suggérer un engagement, par exemple «Dans ma barbe chuchotait le vent», nouvelle où un homme solitaire, vêtu de lambeaux, dans un paysage aride ou incultivable, est porté à suivre une femme à dos de cheval, pouvant représenter les hommes dégradés, destinés à suivre les femmes. Souvenirs et fragments a trop de facettes pour être adéquatement décrit, ou pour en faire une critique réellement détaillée. Le livre tend vers le concept, le conceptuel, l’expression artistique libre… Pour s’en faire une idée, il n’y a pas d’autre choix que de le lire. Chose certaine, ce livre aux facettes multiples contient des textes qui plairont à tous types de lecteurs.
À propos…
Adéla Šebková a obtenu son diplôme de maîtrise en Littérature, Philologie, Linguistique, spécialité Langue française à finalité recherche à l’Université Paris IV (Sorbonne Université, Paris) et un diplôme de maîtrise en Traduction, rédaction et médiation multilingue à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO, Paris). Elle travaille actuellement comme assistante de recherche et assistante d’enseignement à l’Université Laval en sociolinguistique. Ses intérêts portent notamment sur la variation et la diversité linguistique, les normes et usages du français, la vitalité ethnolinguistique des communautés francophones en situation minoritaire et le rôle des médias dans le développement de celle-ci.