Edouard Landry, Pomme Plastique III [CD], Sudbury (Ontario), Edouard Landry, 2019.
Vous cherchez à vous échapper de votre quarantaine perpétuelle? Vous multipliez vos abonnements à toute une série de plateformes de diffusion et vous vous gavez de séries scandinaves? Vous vous faites livrer des Lonely Planet par Amazon en rêvant des voyages que vous ferez un jour quand vous pourrez enfin sortir de votre sous-sol, tout en trinquant un peu trop de sangria? Tous les moyens sont bons pour s’échapper par les temps qui courent. Permettez-moi d’en ajouter un à la pile : écouter le dernier opus de l’auteur-compositeur-interprète Edouard Landry.
Chaque fois que l’artiste ontarien s’éloigne de son Sudbury natal, ça mène à un nouvel album. J’exagère légèrement, mais à peine. En 2015, il part à New York, et lance Pomme Plastique (clin d’œil à la grosse pomme). En 2016, il se rend à Chicago, et lance Pomme Plastique II. Enfin, en 2019, il voyage vers Los Angeles et complète son triptyque américain d’albums-villes. Chaque carnet de voyage musical permet à l’auditeur de visiter une de ces grandes villes sans jamais quitter le confort de son sofa.
Pomme Plastique III nous propose une belle brochette des hauts lieux de la Californie : Hollywood et son Walk of Fame, Beverly Hills et ses rues lignées de palmiers, la plage de Santa Monica, Sunset Boulevard et un des studios les plus connus de l’histoire de la musique populaire – Sunset Sound. De plus, l’album nous permet de croiser – tel un touriste sur une Star Tour des résidences de célébrités – plusieurs personnages emblématiques de la Californie et qui défilent d’une chanson à l’autre : Chaplin, Humphrey Bogart, Marylin Monroe, Sandy Koufax, Gretzky (circa LA Kings), etc. Ce décor et cette distribution aident à constituer un Los Angeles mythique.
J’avoue qu’à ma première écoute, j’ai des attentes. Depuis quelques années, on me parle en bien d’Edouard Landry : artiste prolifique, musicien polyvalent, chanteur country qui signe des chansons solides, bon gars. Premier constat – qui confirme une autre de mes attentes – Landry est bien entouré. On a droit à un band du tonnerre. Landry lui-même est un guitariste polyvalent et habile, et il rassemble une excellente équipe de musiciens, menée notamment par le batteur et réalisateur de l’album, Shawn Sasyniuk (en bref…, Roch Voisine, Susan Aglukark). Ça groove de tous bords, tous côtés. J’ajoute que les arrangements pour cordes, signés Samantha Despatie, sont particulièrement réussis.
Ceci dit, nonobstant deux adroites pistes de pedal steel, ce n’est pas un album country. De fait, ce serait réducteur de prétendre que Landry s’en tient à un seul style musical. La polyvalence est une de ses forces, et l’éclectisme est un des points d’intérêts de cet album. On passe du rock au funk au jazz léger avec beaucoup d’adresse sur le plan musical.
«Los Angeles» et «Toute la lumière que nous ne pouvons voir» ouvrent et clôturent l’album. Ces chansons servent de serre-livres de par leur emplacement, d’une part, mais surtout en raison de leur sujet respectif. La première dresse la table sur un air valsé :
Je veux croire en Los Angeles
Il y a bien trop longtemps
Cette ville nous appelle
La chanson évoque un univers rêvé, qui existe dans l’imaginaire de l’artiste et qui est façonné à partir des films de Hollywood et des émissions de télé.
Pourtant, Landry boucle Pomme Plastique III par une chanson qui déconstruit le mythe qu’il a alimenté tout au long de l’album. Ayant enfin visité la Californie véritable, il nous avoue être frappé par le contraste entre la ville imaginée et la réalité :
Moi j’ai tout vu à travers d’un écran
Et j’ai tout lu dans les pages d’un roman
Il y a de vraies personnes
Et les rues bourdonnent
Quel beau changement
Toute la lumière que nous ne pouvons voir est là
Le réel dépasse nettement ses attentes.
Ceci dit, il n’y a pas que du bleu dans le ciel du Los Angeles de Landry… on y trouve aussi un peu de smog. D’une part, on sent parfois un décalage entre la musique et l’interprétation vocale. Je pense particulièrement à la piste «Le désir», où le contraste entre le groove funk et le spoken-word de Landry est frappant. La batterie prend parfois trop de place, au détriment des paroles. Puis, sur quelques plages, l’interprétation fait en sorte qu’on peine à entrer ou à croire à l’émotion des chansons. C’est le cas pour «Le désir», mais aussi «Sur les traces de Charlot» et «Une Rose». Les performances vocales sont inégales et la voix de Landry manque parfois d’assurance. Par ailleurs, sa diction fait en sorte que certains mots et des bouts de phrases se fondent l’un dans l’autre sans que l’on puisse les distinguer. C’est notamment le cas de la phrase d’ouverture de l’album : «Un autre Eden/Un demi-paradis».
À son meilleur, Landry crée des chansons authentiques, imprégnées de légèreté, sans pour autant basculer dans le quétaine. C’est notamment le cas de «Santa Monica». Sur des accords de claviers et un rythme qui évoque les Beach Boys, Landry part à la recherche de la mer et en chantant un refrain tout simple : «Santa Monica et l’océan». Le dernier couplet confirme qu’il ne s’agit pas ici d’une simplicité banale :
Le bruit des vagues
Un renouveau
Une renaissance d’esprit
Pacifique profond/Horizon infini
Landry a la capacité de signer des paroles à la fois simples, pleines d’images fortes et évocatrices. Il propose aussi des mélodies vraiment inusitées et inattendues. Un souffle un peu plus soutenu et des arrangements un peu plus dépouillés permettraient de les mettre davantage en valeur. Les amateurs de l’univers sonore de Louis-Jean Cormier, des grooves d’en bref… ou encore des éphémères acrobaties vocales de Richard Thompson prendront plaisir à l’écoute de cet album-concept qui nous fait tout de même vivre un très beau voyage.
À propos…
Eric Dubeau est un auteur-compositeur-interprète et consultant d’origine franco-ontarienne. Il compte trois albums à son actif, dont Le temps d’être heureux, lancé en 2014. Il accompagne des organismes partout au pays dans le cadre de mandats d’évaluation, de gestion, de planification et de positionnement.