Les preuves archéologiques et les récits transmis par ces nations sont formels : les Premières Nations Mi’kmaq et Wolastoqiyik vivent sur le territoire de l’actuel Nouveau-Brunswick depuis au moins 12 000 ans, ainsi que sur l’ensemble du Canada atlantique et de la péninsule gaspésienne, une terre qu’elles appellent Mi’kma’ki. Ce sont des gardiennes de la mémoire du continent et de la nature.
En Acadie, lorsque nous faisons référence aux Premières Nations, au moins deux attitudes sont présentes (et contradictoires). Les personnes bien informées reconnaissent que les relations entre les colons de l’ancienne Acadie et les Mi’kmaq étaient bonnes, qu’il y avait des traités d’alliance et que sans ces alliés, des centaines, voire des milliers d’Acadiennes et d’Acadiens n’auraient pas survécu à la fois au climat nord-américain ni à la Déportation. Des relations matrimoniales ont renforcé les liens entre les descendant.e.s des colons français d’une part et les peuples autochtones de l’autre. L’attitude est donc souvent à la sincère expression de respect et de reconnaissance envers les membres de l’antique Confédération Wabanaki.
Mais une autre attitude est aussi présente, plus ou moins fondée sur des décennies de tension communautaires, sur des préjugés racistes profondément enracinés, sur deux siècles et demi de relations désastreuses entre l’Empire britannique (puis le Canada) et les peuples autochtones de l’Amérique du Nord, sur des événements plus récents qui ont ravivé des blessures et miné la confiance. Cette seconde attitude, nous la condamnons fermement.
Elle remonte à un passé de colonialisme, d’impérialisme, de violences, de racisme génocidaire, mais elle est aussi causée de nos jours par des fausses informations, par l’ignorance, par le manque d’empathie et par le racisme systémique présent de manière structurelle dans nos institutions (souvent repeintes, parfois réformées, mais jamais vraiment changées en profondeur).
Certaines personnes, en Acadie, semblent éprouver de la difficulté à écouter ce que les Premières Nations nous disent depuis la mort tragique de Chantel Moore à Edmundston et de Rodney Levi à Miramichi, tous les deux abattus par des membres des forces policières. Nos institutions et notre gouvernement provincial aussi semblent «dures d’oreille» quand s’élèvent les déchirants cris de détresse, d’indignation, de douleur de la famille des victimes et des membres des Premières Nations.
Pourtant, en Acadie, nous devrions savoir mieux. Les tensions qui ont pu dégénérer, par le passé, sur la question des droits de pêche relèvent ultimement des mêmes problèmes historiques et juridiques qui maintiennent les Premières Nations dans une situation précaire, pour ne pas dire purement inacceptable. Les institutions démocratiques canadiennes dont nous sommes fiers sont nées de la Conquête et de la volonté à peine voilée des conquérants britanniques d’expurger le pays de tout ce qui était «différent», francophones y compris.
Souvenons-nous qu’il y a eu deux morts et des blessés lors de l’émeute de Caraquet en 1875 sur la question des écoles. Souvenons-nous que la GRC a été sévèrement blâmée et a présenté ses excuses aux manifestant.e.s de Saint-Sauveur et Saint-Simon en 1997, qu’elle avait réprimé avec une violence injustifiée. L’Acadie aussi est durablement affectée par des lois et des politiques qui ont été prises par des gouvernements pour limiter nos droits, pour nous assimiler et nous folkloriser.
A-t-on déjà oublié le grand rassemblement des Mi’kmaq et des Acadien.ne.s à Grand-Pré en 2017, en marge du 150e du Canada? A-t-on déjà oublié la remise de la médaille Léger-Comeau, la plus haute distinction accordée par la Société Nationale de l’Acadie, au Grand Conseil Mi’kmaq, pour souligner le 400e anniversaire de la fondation de l’Acadie? Nos communautés sont liées entre elles par une histoire, par un territoire et par des intérêts communs, par-delà les différences évidentes et l’éloignement relatif au fil des siècles.
La situation acadienne, bien qu’incomparable en termes constitutionnels, historiques et socioéconomiques avec celle des peuples autochtones du Canada (Premières Nations, Inuit et Métis), devrait par contre nous faire réaliser qu’en tant que nation minoritaire, «égale» en termes de droits linguistiques, mais on sait à quel point cela est fragile, voire illusoire, et en tant qu’êtres humains doués de sensibilité, d’intelligence, de raison, de valeurs, bref, en tant qu’Acadien.ne.s, nous ne devrions pas hésiter à nous solidariser des Premières Nations.
Nous avons la chance d’avoir obtenu des droits de haute lutte. Mais une chaîne n’est jamais plus forte que le plus faible de ses maillons. C’est pourquoi nous prenons garde les uns des autres et nous avons adopté une devise (la même qu’Haïti, d’ailleurs) : «L’union fait la force.» Notre force ne devrait jamais se replier sur elle-même, elle devrait contribuer à des unions plus larges, à des actes de solidarité envers nos sœurs et nos frères humains qui nous interpellent dans leur détresse, comme les Premières Nations.
En ce mois de l’Histoire des peuples autochtones et du 21 juin, Journée nationale des peuples autochtones du Canada, instituée pendant le mandat d’un gouverneur général acadien, le regretté Roméo LeBlanc, toutes les Acadiennes et tous les Acadiens du Nouveau-Brunswick et d’ailleurs, qu’ils ou elles soient blanc.he.s, noir.e.s, métissé.e.s ou autre, ont, selon nous, le devoir de s’informer et de s’éduquer sur la situation des peuples autochtones du Canada, dont les Premières Nations du Canada atlantique.
Ces Premières Nations possèdent de riches cultures, une longue histoire, des réalisations et des actes de bravoure dignes de fierté et d’admiration par tous. Leurs enjeux, leurs défis et leurs combats pour la justice devraient éveiller en nous une écoute, une empathie et un sentiment de solidarité sincères, non pas la méfiance et le rejet. Choisissons de faire acte de réconciliation! Choisissons d’être des allié.e.s!
Téléphonez à vos élus (fédéraux, provinciaux ou municipaux), écrivez-leur, faites-leur savoir que vous désirez en apprendre davantage sur les Premières Nations, que vous désirez voir des changements dans les relations les institutions canadiennes et elles, que vous avez, en tant qu’Acadienne et qu’Acadien, envie de contribuer au dialogue plutôt qu’au conflit ou au repli sur soi. Faisons partie de la solution!
N’hésitez pas à contacter des communautés autochtones elles-mêmes pour vous informer sur les ressources pédagogiques disponibles et sur les activités (comme les pow-wow et les «smudge») ouvertes au public, auxquelles vous pourriez participer afin d’apprendre et d’expérimenter par vous-mêmes l’immense hospitalité, la profonde bienveillance et la beauté des cultures Mi’kmaw et des Wolastoqey. Contrairement aux idées reçues, de nombreux Autochtones sont francophones (voire bilingues ou trilingues) au Nouveau-Brunswick. Des livres, des films et des documents en français sont facilement accessibles en ligne ou à votre bibliothèque publique. Ce ne sont là que quelques actions possibles!
Soyons solidaires, et pas seulement en vains mots, mais activement et sincèrement.
À propos…
Sébastien Lord-Émard a étudié l’histoire et la philosophie. Passionné par les arts, passionnément acadien, il a publié sa poésie et des essais sur différentes plateformes, dont la revue Ancrages, et a parfois lu ses textes sur scène. Son travail comme chargé de projets et directeur littéraire aux éditions Bouton d’or Acadie, une maison d’édition franco-canadienne consacrée à la jeunesse, lui permet de concilier son amour de la littérature et des arts visuels en accompagnant la création d’autrui, pour les jeunes lecteurs d’ici et d’ailleurs.
Alexandre Cédric Doucet est originaire de Beresford. Il est présentement étudiant en droit à l’Université de Moncton. Il détient un baccalauréat avec spécialisation en science politique. Son implication dans la communauté ne date pas d’hier. Il a siégé sur plusieurs conseils d’administration, dont le Conseil des gouverneurs de l’Université de Moncton et la Coalition d’équité salariale. Il a notamment été président de la Fédération des étudiantes et étudiants du campus universitaire de Moncton (FÉÉCUM). Il est maintenant à la vice-présidence de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB). La défense et l’avancement des droits linguistiques ainsi que l’accessibilité à l’éducation sont des sujets qui lui tiennent à coeur.