Le paradoxe de l’écologiste – Michel Desjardins

J’aime croire que nous sommes tous écologistes à nos heures.

Être écologiste à ses heures, c’est poser des gestes pour l’environnement, à sa façon et à son rythme, en dépit de ses contradictions quotidiennes. On peut, par exemple, être à la fois un farouche défenseur du saumon de l’Atlantique et un partisan de l’oléoduc Énergie Est. On peut simultanément posséder des panneaux solaires et une voiture énergivore. Et on peut s’insurger contre la pollution atmosphérique malgré nos nombreux voyages en avion.

L’important, comme écologistes à nos heures, c’est que nous voulions toutes et tous les mêmes choses : de l’air pur, de l’eau saine et des terres riches et fertiles. Nous aimons la nature et souhaitons une vie heureuse et bien remplie. Nous ne lui voulons que du bien, cette planète. Vous connaissez quelqu’un qui est foncièrement contre l’air pur et l’eau saine? Moi, non. C’est donc une puissante valeur qui nous unit.

Comme écologistes à nos heures, nous sommes aussi plus conscients des dangers qui menacent la vie humaine sur la planète. Nous comprenons mieux que jamais les conséquences des changements climatiques, du déclin de la biodiversité, de la pollution des océans par le plastique. Rares sont les semaines qui s’écoulent sans que les médias en fassent leur une.

Malgré toutes nos bonnes intentions et toutes nos connaissances, le genre d’écologistes que nous sommes n’en fait généralement pas assez pour contribuer à renverser la tendance préoccupante qui se dessine.

J’ai l’impression que plusieurs d’entre nous voudraient en faire plus, mais c’est comme si des barrières psychologiques nous en empêchent. Lorsque je parle de barrières psychologiques, je me réfère à toutes ces façons que nous avons de nous parler pour justifier certains de nos comportements :

«Je suis seulement une personne. Mes efforts ne font pas vraiment de différence.»
«Être écoresponsable, c’est compliqué et ça coûte cher.»
«Je n’ai pas le temps de penser à ça.»
«J’en fais déjà assez.»
«J’ai travaillé fort. Je mérite ce voyage dans le sud.»
«Les politiciens ne font rien pour l’environnement.»
«C’est la faute des grandes entreprises.»
«Quand ma voisine fera sa part, je ferai la mienne.»

Vous vous reconnaissez dans certains de ces énoncés? Je vous rassure. Je coche moi-même plusieurs de ces cases.

C’est un triste paradoxe : nous voulons une planète en santé, car nous savons que notre vie et celle de notre progéniture en dépendent. Nous savons qu’un danger existentiel nous guette. Mais nous ne pouvons pas – ou ne voulons pas – poser tous les gestes qui sont nécessaires pour éviter le pire.

C’est un peu comme si nous vivions tous ensemble dans une grande maison, qu’un tsunami s’apprêtait à déferler sur nous, que les secouristes nous imploraient de quitter les lieux, mais que nous restions à l’intérieur à débattre obstinément la couleur des murs de la cuisine.

Pourquoi en est-il ainsi?

Robert Gilford, professeur de psychologie de l’Université Victoria, s’est penché sur la question. Il souligne d’abord que la réticence d’agir chez certains est en partie dû à des obstacles structurels. Par exemple, le faible revenu d’un individu peut limiter considérablement sa capacité à poser des gestes écoresponsables. De plus, vivre dans une région rurale ou une ville géographiquement étalée signifie généralement aujourd’hui une dépendance à l’automobile comme moyen de transport. À la limite, nous pouvons faire tomber ces barrières structurelles par les politiques sociale et économique, la réglementation et le design urbain.

Mais Gilford évoque surtout sept grandes barrières psychologiques qui nous empêchent d’agir positivement pour faciliter l’atténuation, l’adaptation et la durabilité environnementale. Il les nomme les «dragons de l’inaction» : la capacité cognitive limitée de l’être humain, les visions idéologiques du monde qui tendent à exclure les attitudes pro-environnementales, les comparaisons avec d’autres personnes clés autour de nous, les coûts déjà encourus et irrécupérables (p. ex., pourquoi utiliser une bicyclette si je paie déjà une voiture?), la méfiance à l’égard des experts et des autorités, les risques perçus du changement et, enfin, les changements de comportement positifs, mais surtout symboliques et largement insuffisants.

On dit que les paradoxes sont parfois le résultat d’erreurs que l’on peut corriger. Saurons-nous un jour dompter les dragons et résoudre le paradoxe de l’écologiste? Je n’en sais rien. Pas simple de s’attaquer à des dragons.

Je compte parmi celles et ceux qui fondent encore des espoirs sur des petits gestes au quotidien. Chacun d’eux est un investissement pour demain. Et je me dis que nous allons tous devoir changer un jour, de gré ou de force.

C’est ainsi que nous passerons, je suppose, d’écologistes à nos heures à écologistes à temps plein.

À propos…

michel desjardinsDepuis plus d’une vingtaine d’années, Michel Desjardins se consacre sans relâche à des causes environnementales dans la région de Moncton. Il a notamment joué un rôle de premier plan dans la bataille pour la restauration de la rivière Petitcodiac. Il est aussi l’instigateur de plusieurs projets et organismes locaux, dont Grand Moncton Post Carbone. Comme consultant, Michel Desjardins se spécialise en recherche communautaire, en développement organisationnel et en rédaction.

 

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