L’heure des choix pour un élu acadien de la tradition Red Tory – Joel Belliveau

M. Robert Gauvin, député de Shippagan-Lamèque-Miscou,

Encore une fois, comme ça semble de plus en plus la norme, la carte électorale néo-brunswickoise ressemble à son pendant linguistique. Les comtés majoritairement ou même à forte minorité francophones – sauf un – ont élu des députés libéraux ou verts. À cette députation, on peut ajouter deux libéraux et un député vert choisis dans les circonscriptions anglophones les plus urbaines de la province. Les régions majoritairement anglophones, elles, ont toutes choisi, sauf une, le parti dit «Progressiste» conservateur ou la «People’s Alliance».

Ceci vous met, M. Gauvin, dans une situation très particulière. En tant que seul député conservateur issu d’une région francophone, vous devez vous demander avec qui vous voulez frayer au cours des prochains jours, et au-delà. Deux options s’offrent à vous, mais elles exigeront chacune une force de caractère hors du commun. Heureusement, j’entends que c’est votre cas.

La première idée qui m’est venue en tête ce matin – et je suis certain de ne pas être seul – a été de plaider avec vous pour que vous traversiez le plancher de l’Assemblée législative d’une manière ou d’une autre, soit en vous joignant au Parti libéral ou au Parti vert, soit en siégeant comme indépendant, soit même en créant votre propre parti politique. Les arguments en faveur d’un tel itinéraire ne sont pas difficiles à trouver. Après tout, vous vous identifiez comme un conservateur dans le contexte de la Péninsule acadienne, mais cela n’équivaut pas nécessairement à ressembler aux conservateurs Higgsiens du sud anglophone et rural de la province.

Être conservateur, dans la Péninsule, ça a historiquement été une posture d’opposition contre un «establishment» libéral omnipotent, ce qui bien sûr est sain dans une démocratie. C’était bien sûr la posture de votre père, qui a représenté dignement les citoyens de votre région et leur a donné un choix réel. Mais être conservateur, dans la Péninsule, ça a aussi toujours voulu dire être de la tradition «Red Tory», c’est-à-dire d’être un vrai *Progressiste*-conservateur. C’était aussi certainement le cas de votre père, et à voir l’accent que vous avez mis sur la pauvreté et les besoins des gens lors de votre campagne, il est clair que vous êtes aussi de cette tradition. Or, c’est loin d’être certain qu’il y a de la place pour ce courant d’idées dans la machine bleue de Blaine Higgs. À vrai dire, la seule chose de pire qu’un gouvernement Higgs, pour les progressistes de la province, ce serait un gouvernement Higgs qui a besoin de l’appui de la «People’s Alliance». Éviter ce scénario justifie facilement, selon moi, pour vous de quitter la compagnie douteuse dans laquelle vous vous trouvez actuellement. Si vous traversez le plancher, une coalition LIB-VERT pourrait contrôler la chambre, surtout si l’on demande à un député conservateur raisonnable et professionnel de servir de président d’assemblée.

Il y a certainement un inconvénient au scénario que je viens d’esquisser : cela compléterait à peu près la polarisation de la province sur une base linguistique. Vous avez fait valoir, en campagne, qu’il est important qu’il y ait des voix francophones au sein du Parti progressiste-conservateur, et des voix fortes. Que sans celles de votre père ou de Jean-Maurice Simard, les francophones ne seraient pas sortis aussi forts des années 1970, par exemple. C’est un argument valide, absolument. Je vous laisse vous-même déterminer si ce jeu peut encore être joué. Après tout, vous connaissez le Parti progressiste-conservateur actuel bien mieux que moi. Mais je ferai tout de même remarquer que Richard Hatflield, qui mené notre province avec un gouvernement conservateur de 1970 à 1986, était profondément francophile, et que le contexte social et politique était autrement plus favorable aux minorités linguistiques et aux programmes sociaux, surtout avant les années 1980. Sentez-vous que vous arriverez à tirer votre épingle au même jeu, 30 ans plus tard, et seul? Mon sentiment est que ce sera extrêmement difficile, et que pour le faire, il faudra littéralement que vous mettiez vos votes à la chambre en jeu – que vous menaciez de voter contre le parti – à chaque fois que votre voix dissidente et solitaire risque de se faire oublier. Ce sera une position très inconfortable, mais alors, peut-être, vous pourrez épargner le pire pour les citoyens progressistes de la province, et pour vos concitoyens acadiens.

En fin de compte, je crois que ça revient aux questions suivantes. Avec qui souhaitez-vous travailler? Avec qui pensez-vous être capable de le faire? À qui ressemble d’avantage ce nouveau député Red Tory qu’ont élu les citoyens de Shippagan-Lamèque-Miscou? Restez surtout fidèle à qui vous êtes.

Je m’en voudrais de finir sans vous offrir toutes mes félicitations pour votre victoire électorale dans Shippagan-Lamèque-Miscou hier soir.

À propos…

Joel Belliveau est professeur agrégé d’histoire à l’Université Laurentienne de Sudbury. Originaire de Shédiac, ayant aussi vécu à Moncton, Fredericton et Edmundston, il continue de s’intéresser passionnément à l’histoire et à l’actualité de sa province d’origine, entre autres sujets.

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