Les habits neufs de l’anti-bilinguisme au Nouveau-Brunswick – Marc-André Bouchard

Ce texte est un extrait en primeur de L’état de l’Acadie, un ouvrage collectif en préparation qui brossera un portrait de l’Acadie contemporaine avec des analyses et des données sur les francophones de l’Atlantique et leurs enjeux.

Le mouvement d’opposition au bilinguisme institutionnel du Nouveau-Brunswick semble plus visible depuis quelques années. L’ère des réseaux sociaux a entraîné des changements de tactiques dans ce mouvement et son discours a été mis à jour, mais ses objectifs généraux et sa structure sont restés largement inchangés.

L’anti-bilinguisme depuis les négociations constitutionnelles

Le mouvement anti-bilinguisme contemporain remonte à l’Alliance for the Preservation of English in Canada qui s’impose sur la scène nationale à l’occasion des crises constitutionnelles des années 1980. En 1984, une association alliée voit le jour au Nouveau-Brunswick, soit la New Brunswick Association of English-Speaking Canadians. Cette association donne naissance au Confederation of Regions (CoR) en 1989, un parti provincial dont Blaine Higgs, actuel chef du Parti progressiste-conservateur, a essayé de briguer la chefferie. Ce parti récolte 21 % des voix aux élections de 1991, devenant l’opposition officielle sur une plateforme promettant d’abroger la Loi sur les langues officielles et la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick.

Après la dégringolade du parti CoR aux élections de 1995, l’Anglo Society of New Brunswick prend le relais de la cause anti-bilinguisme et fait parler d’elle surtout pour ses manifestations aux célébrations du 15 août et pour ses tentatives entre 2004 et 2010 de convaincre plusieurs municipalités de faire flotter son drapeau devant leur hôtel de ville le 18 septembre pour célébrer l’anniversaire de la capitulation de Québec en 1759. Étant demeurée marginale depuis sa création, l’Anglo Society cesse pour ainsi dire toutes ses activités en 2012, à l’exception d’occasionnelles lettres dans les journaux anglophones.

Une nouvelle association voit le jour

Entre 2010 et 2012, le mouvement anti-bilinguisme se déplace vers les réseaux sociaux, principalement Facebook. Une dizaine de groupes et de pages Facebook sont créés au fil des mois, comptant quelque 650 membres au minimum (comme dans le cas de «Boycott Dieppe!!!») et même jusqu’à 9200 membres (dans le cas de «New Brunswick Referendum on Bilingualism 2014»). En plus des discussions qui y ont lieu au sujet de l’actualité ou d’anecdotes liées au bilinguisme, il y circule des sondages, des tracts, des appels au boycott et à l’envoi de courriels, et des pétitions en réaction à diverses controverses linguistiques.

Le 8 mai 2015, un de ces groupes existant jusque-là uniquement sur le Web organise une manifestation publique qui rassemble quelque 200 membres devant l’Assemblée législative. Equal Rights for New Brunswick Anglophones donne par la suite naissance à une nouvelle association qui, à sa première assemblée générale annuelle, se baptise l’Anglophone Rights Association of New Brunswick pour se distancier des groupes Facebook à réputation francophobe. Celle-ci se présente comme le pendant anglophone de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick et voit le bilinguisme institutionnel comme une discrimination contre la population anglophone. L’association concentre ses actions dans trois secteurs : le marché du travail et les systèmes de santé et d’éducation. Elle soutient que près de 70 % des emplois dans la fonction publique provinciale exigent le bilinguisme, alors qu’il s’agirait plutôt de 40 % selon le ministère des Ressources humaines. Elle maintient aussi que le secteur privé est de plus en plus contraint de favoriser l’embauche d’employés bilingues. Pour ce qui est du système de santé, les revendications de l’association sont aussi surtout liées aux emplois et elle soutient que l’existence de deux régies de la santé entraîne un dédoublement important des coûts aux contribuables.

L’organe politique du mouvement

Les liens entre l’Anglophone Rights Association et le parti politique People’s Alliance, fondé en 2010, sont nombreux et remontent au tout début de la formation de l’association. Le chef de ce parti, Kris Austin, est un des orateurs à la manifestation organisée en mai 2015 en plus d’être présent à la plupart des séances d’information tenues par l’Anglophone Rights Association cette année-là. Son parti s’impose ainsi progressivement comme la voix politique du mouvement anti-bilinguisme et il y puise plusieurs de ses candidats pour l’élection du 24 septembre prochain.

Cette proximité se reflète aussi dans le discours du parti. Le People’s Alliance promet d’épargner des millions et de rapprocher les cultures en s’opposant de façon générale au «dédoublement inutile de services» entraîné par les politiques linguistiques (y compris les autobus scolaires et les régies régionales de la santé, voire les écoles, les traductions jugées non essentielles, etc.). Mais sur d’autres tribunes, il cherche à rassurer les électeurs plus modérés en soutenant qu’il est seulement question des autobus et des hôpitaux.

Si la tendance se maintient…

Le mouvement anti-bilinguisme ne disparaît jamais vraiment : plutôt, il s’adapte au fil du temps. On constate une mutation de ce mouvement depuis les années 2010, autant en ce qui concerne l’emploi des nouvelles technologies que dans le discours tenu par ses représentants. Ils mettent davantage l’accent sur les coûts de la dualité et ses divisions sociales ainsi que sur l’injustice du bilinguisme institutionnel prétendument discriminatoire à l’endroit des anglophones unilingues, plutôt que sur la prépondérance de l’anglais sur le français – ou de la majorité sur la minorité – un thème plus courant à l’origine du mouvement.

Le discours général tenu par la nouvelle incarnation associative et politique du mouvement anti-bilinguisme s’inscrit cependant dans la continuité de ses prédécesseurs en ce qu’il remet en question le bilinguisme institutionnel de façon globale et la dualité en particulier. Certains vont même jusqu’à affirmer à l’occasion que derrière le bilinguisme institutionnel se dissimulerait une intention bien consciente de nuire à la communauté anglophone. Ses activités demeurent également concentrées dans les régions anglophones du Sud et du Centre de la province.

Si la tendance historique se maintient, le mouvement anti-bilinguisme ne risque pas de disparaître; même qu’une percée politique, qu’elle soit sous la bannière du People’s Alliance ou d’un autre parti dans l’avenir, assurerait une tribune au mouvement dépassant celle conférée par l’activisme populaire et les réseaux sociaux.

À propos…

Originaire de Campbellton, Marc-André Bouchard est assistant de recherche à l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques. Il est titulaire d’un baccalauréat en traduction et il complète actuellement sa maîtrise en sciences du langage à l’Université de Moncton.

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