Mélodie Millenium, Matthieu Girard [texte, paroles de chansons et mise en scène], Caraquet, Théâtre populaire d’Acadie, 2017. [Moncton, 17 mars 2018]
Soir de semaine de soleil qui abdique. Et de froid. Qui n’abdique pas. Campus universitaire de Moncton qui à cette heure sommeille déjà un peu. Salle de théâtre silencieuse attendant le spectacle. Je veux savoir ce qui sera dit; je crois que les mots et les émotions seront tristes. La pièce commence, les spectateurs rient, souvent, avec un appétit que je ne partage pas. Sur la scène, deux femmes esseulées, à la recherche de l’impossible : le bonheur et l’amour là où ils ne peuvent pas être. Et deux hommes, l’ami et l’amoureux, qui participent du drame, impuissants mais sympathiques. Mélodie Millenium, Théâtre populaire d’Acadie. La soirée s’annonce belle.
Mélodie, la trentaine déjà entamée sans qu’elle dispose de travail et de revenu stables, décide de prendre refuge chez sa mère pour parer à une précarité qui ne l’inquiète pas. C’est qu’elle rêve encore à ce qu’elle appelle sa carrière, alors qu’elle vient de perdre le pari d’une émission de télé-réalité d’exubérance et de factice. Elle a tout misé sur une gloire se résumant à la célébrité des starlettes fabriquées par Hollywood, et glorifiées par je ne sais qui, je ne sais pourquoi. Maintenant elle ne dispose plus que de l’essentiel : son téléphone portable, petit cordon ombilical la reliant au monde des fards et des paillettes qui devrait un jour être enfin à elle.
Malheureusement, heureusement, il n’en sera rien, au-delà de son entêtement et de ses rêves. Elle ne parviendra pas non plus à s’habituer aux limites de la réalité, malgré sa mère qui lui offre gite, couvert, vin et antidépresseurs, et l’homme qu’elle n’aime pas mais qui lui plait — un peu. Rien ne peut l’épargner, la retenir chez elle dans un semblant de pragmatisme ou de compassion. C’est qu’il lui faut voir son image dans ce miroir, ce mirage qu’est la Californie où elle découvre l’étonnant trésor : sa misère, part finalement cruelle de vérité. C’est là, au bout de sa course effrénée, au bout d’une lutte avec ces ombres narcissiques qui l’éloignent de tout bonheur vrai, qu’elle peut enfin se voir telle qu’elle est, l’être qui ne peut exister que par les regards admiratifs des autres. Elle apprend à supporter malgré toute attente un peu de l’ennui et de la grandeur de quotidien. Devenue vendeuse de crème glacée au bord ensoleillé du Pacifique, elle a tout le temps de réfléchir à ce qu’elle a brisé, les mirages et les liens à ceux dont elle s’est servie. Et sa vie.
Je ne m’étais pas trompée : les mots dits et les émotions évoquées étaient tristes. Je n’avais pourtant pas pensé que les acteurs évoqueraient si bien la petite chanson d’un millénaire inauguré peut-être effectivement par cette sorte de lame de fond d’envies et pulsions désordonnées, sous lesquelles sont parfois broyées les amitiés, les amours et la plus élémentaire décence. Malgré tout, Mélodie ne parvient pas à bien comprendre ce qui la malmène. Il ne lui sera pas possible de reprendre le fil de sa vie et retenir famille et amis qui l’abandonnent à elle-même.
Il lui reste sa solitude, ce miroir sans éclat. Il lui reste l’ennui. Et son existence de vendeuse de rêves ratée. Je n’avais peut-être pas tort de ne pas rire…
À propos…
Corina Crainic est directrice scientifique par intérim de l’Institut d’études acadiennes de l’Université de Moncton. Elle a mené une recherche postdoctorale intitulée Représentation de l’espace et quête identitaire dans les œuvres d’Édouard Glissant et d’Antonine Maillet et enseigné des cours de théories littéraires et de littérature antillaise à Mount Allison University et à l’Université de Moncton. Après des études de baccalauréat en littératures française et québécoise à l’Université Laval et une maîtrise en littérature québécoise à l’Université McGill, elle a obtenu le doctorat en littérature des Antilles françaises en codirection à l’Université de Moncton et à l’Université d’Anvers.