Il y a maintenant plus de 20 ans, le premier Congrès mondial acadien (CMA) avait lieu dans le Sud-Est du Nouveau-Brunswick. En 2019, cet évènement quinquennal se tiendra pour la première fois au même endroit que son édition originelle (en incluant cette fois-ci l’Île-du-Prince-Édouard). Dans ces circonstances particulières, il nous semble opportun de remettre en question la pertinence du CMA. Assurons-nous, à tout le moins, de ne pas répéter cet évènement par simple habitude et qu’il serve un intérêt, une cause, une utilité au-delà de l’évènement en soi.
Considérant que la mission actuelle consiste à « développer des liens plus étroits entre les Acadiens et les Acadiennes de partout dans le monde », il s’avère important de nous poser la question suivante : cette mission demeure-t-elle toujours pertinente à l’heure actuelle? Si l’Acadie doit organiser un rendez-vous quinquennal d’une telle ampleur, est-il judicieux d’y attribuer une place centrale aux rencontres de famille? Est-il dans l’ordre de nos priorités de rendre bilingue cet évènement pour accueillir la diaspora de l’ancienne Acadie? Est-il responsable d’y entretenir un discours contradictoire : d’un côté, en affirmant être l’ultime célébration de l’Acadie moderne qui continue de vivre en français; de l’autre, se présentant comme le carrefour mondial de la diaspora de l’ancienne Acadie, souvent assimilée? Comment concilier le fait que le CMA, évènement de la plus haute importance en Acadie, maintienne ce discours contradictoire et relativiste sur l’identité acadienne, alors que l’Acadie moderne, pour survivre et s’épanouir, nécessite toute l’énergie, l’attention, le soin et les ressources dont nous disposons?
Cette remise en question n’est pas nouvelle. Dans un commentaire, suivant le tout premier CMA en 1994, Michel Doucet exprimait de façon éloquente la contradiction et le défi central du CMA, lesquels semblent malheureusement demeurer d’actualité :
L’Acadie du Grand Dérangement […] n’est pas et ne sera jamais un concept politique. […] L’Acadie de l’Atlantique est réelle, vivante, et politique. Elle n’est pas tournée uniquement vers le passé, mais elle envisage l’avenir. Elle est jeune, dynamique et différente. Elle est pluraliste et multiculturelle. Elle est unie autour d’un objectif : vivre en français en cette terre d’Amérique. Le CMA est un objectif noble mais nous devons nous rappeler qu’il ne doit servir à banaliser et mettre au deuxième rang le développement de la communauté acadienne de l’Atlantique.[1]
Certes, ces critiques n’ont pas été sans suite. Les organisateurs des CMA subséquents ont, au fil des différentes éditions, intégré des éléments plus politiques et modernes, tels que des forums thématiques ou le Grand rassemblement jeunesse. Cela dit, les rencontres de famille persistent à maintenir le CMA bien axé sur le passé, le folklore et le patrimoine. Les organisateurs auront beau déclarer que l’Acadie est moderne, plurielle, francophone et politique, en tâchant d’organiser quelques forums de discussion, mais tant et aussi longtemps que les rencontres de famille auront lieu dans le cadre du CMA, le CMA sera porté vers le bilinguisme, le folklore et la généalogie. En un mot, le CMA sera régressif pour l’Acadie moderne.
Malgré tout, le CMA continue de jongler deux conceptions contradictoires de l’Acadie. Tout en reconnaissant l’Acadie moderne dans son discours officiel, elle persiste à vouloir attirer les Acadiens de la diaspora et maintient le caractère passéiste de l’évènement. Pourquoi maintenir cette contradiction? Selon Mireille McLaughlin et Mélanie LeBlanc, le CMA doit continuer à attirer la diaspora et à répondre à ses besoins pour des raisons essentiellement économiques :
[L]es bailleurs de fonds [misent] avant tout sur l’Acadie généalogique, celle des 3 millions d’Acadiens, comme moyen d’atteindre un potentiel de marché plus vaste. Cette vision ouvre donc le congrès à un public multilingue – ou pour le moins bilingue français-anglais. [2]
Or, si le CMA doit miser sur le tourisme hors-territoire, pourquoi se contenter des 3 millions d’Acadiens d’une diaspora floue? Pourquoi ne pas viser un marché beaucoup plus grand? Pourquoi ne pas viser les 7 millions de francophones du Canada? Et pourquoi ne pas viser plus loin et tenter de rejoindre les 250 millions de francophones dans le monde? Imaginez un CMA ainsi renouvelé. Envisagez un CMA qui invite la francophonie internationale à vivre et à célébrer notre version de la francophonie, notre accent, notre culture, notre musique, notre art et à discuter de notre vie politique, notre société et nos défis.
Il est passé le temps des retrouvailles. À tout le moins, il est néfaste de répéter, à tous les cinq ans, cet évènement phare de la communauté acadienne alors qu’elle focalise sur le patrimoine ethnique de l’Acadie. À terme, le CMA sous sa forme actuelle, contribue à paralyser notre culture, en l’atrophiant dans son passé et en la « bilinguisant » pour accommoder nos dits cousins assimilés. Au final, le CMA se dévoilera comme un cadeau empoisonné, un cheval de Troie. Célébré et financé pour ce qu’il stimule dans l’économie des régions et du tourisme, mais contribuant ultimement à folkloriser notre culture et à l’assimiler à n’importe quel autre communauté ethnique du Canada, comme un objet d’exotisme et de marchandisation mis à la disposition du marché touristique.
Nous lançons donc le défi au CMA 2019 de redéfinir sa mission, quitte à en signer le dernier chapitre et à bâtir un évènement digne de qui nous sommes devenus. Forts de vingt années de retrouvailles, à panser nos plaies, à exorciser notre passé, à surmonter notre aliénation culturelle et sociale, passons à un évènement tourné résolument vers l’avenir. Que le CMA 2019 soit le dernier CMA, la fin d’une aventure noble, d’un objectif réalisé. Fiers, décomplexés et munis d’un sentiment du devoir accompli, laissons le CMA derrière nous et imaginons une célébration quinquennale qui puisse être à l’image de l’Acadie moderne, de l’Acadie d’aujourd’hui et de l’Acadie de demain. Fonçons vers l’avenir et faisons de l’Acadie un élément incontournable de la francophonie à l’échelle planétaire.
À propos…
Xavier Lord-Giroux est originaire de Dieppe. Diplômé en art dramatique (Moncton, 2013), il s’est engagé dans plusieurs activités au sein du Réseau Jeunesse en Acadie, notamment à titre de membre du C.A. de la Fédération des jeunes francophones du N.-B. (2009-2010) et comme membre du cabinet du Parlement Jeunesse de l’Acadie (2011-2015). Il habite actuellement Fredericton.
Martin LeBlanc Rioux est originaire de Dieppe. Diplômé en science politique (Laval, 2007) et en droit (McGill, 2011), il s’est engagé dans différents dossiers linguistiques au Nouveau-Brunswick de 2008 à 2013. Il est avocat et habite actuellement Fredericton.
[1] Michel Doucet, « Au-delà des Retrouvailles », Ven’d’est, 1994
[2] Mireille McLaughlin et Mélanie LeBlanc, « Identité et marché dans la balance : le tourisme mondial et les enjeux de l’acadianité », Francophonies d’Amérique, no. 27, 2009
I feel that The Acadians of the diaspora are equally stubborn in their defence of their Acadian identity, that is what attracts them to their ancestral homeland. It has been a longtime pilgrimage tourism industry ,inspired by their need to know who they are. They may have suffered forced assimilation into Anglophone American society but are still proud of their historical heritage. They know who they are where they came from and how they got there. If todays so called Modern Acadians wish to evolve separately they may do so but then their identity can no longer be solely based on their origins as identified by genealogy. Their identity becomes a political one based on exclusion. The French and English languages have become very international and do not necessarily instill a particular world view on the speaker. I feel that the language issue is less important than historical heritage in defining ones identity. Let us not forget that the British armed economic expansion into Acadia was for the annexation of this territory to the English economic system, it was done for personal profit. Religious and cultural animosities between peoples were inspired to tighten control over these greedy political economic systems that ran roughshod over innocent peoples. My grandmother Rebecca Leclair from Miscou used to say; They took everything from us except our names. To forget ones historical heritage is to become invisible, and no political entity can change that. My soul refuses to be identified politically or by the criteria of others.
The glue of Acadian identity is so evident at the CMAs, especially at the family reunions. The descendants of those who escaped genocide and were able to remain within their ancestral homeland simply cannot deny the incredible emotional reward felt by those expatriated pilgrims who have an innate need to know and belong. Setting foot on Acadian soil infuses them with tremendous energy and pride; they have found their roots, they have come home. They are not strangers, but worthy survivors of a calamity with a unique historical heritage.
Je crois que le cma doit continué sa vocation premiere soit de prend un temps d arret en tant qu acadien et faire découvrir a nos jeunes nos racines notre passé si l on veut qu ils s impliquent car la flamme acdienne ne doit pas s éteindre les générations passent mais la flamme acadienne doit continuée a brillée .. pour savoir ou tu va tu doit savoir d ou tu viens …
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« Du choc des idées jaillit la lumière ». Les débats font avancer les choses. Pour ceux et celles que ça intéresse d’y réfléchir, vous pouvez consulter des documents de référence sur les CMA. Voir http://www.acadiensduquebec.org/cmas.htm
Il est certain qu’il faut toujours se repositionner, mais le CMA, à chaque 5 ans, modernise d’avantage l’Acadie, sans compter qu’il parle de nous sur nombreux médias à travers le monde – plus que toute autre évènement acadien. Il est certain qu’il pourrait y avoir plus de participants au CMA, mais cela est avant tout un problème d’organisation et de marketing (Il faudrait que la part du budget des communications soit 5 fois plus élevée, avec l’information sur la programmation qui est plus « user-friendly »). – Je crois aussi qu’il faut continuer d’inclure les différents genres d’activités (rencontres de familles et généalogie, la musique pour les jeunes, les autres arts, les conférences sur l’avenir, etc.), activités qui ne sont pas en contradictions, mais plutôt complémentaires une à l’autre. Chaque peuple contient des gens avec différents intérêts; c’est complètement normal. – Il est certain qu’il serait aussi intéressant d’avoir un jour un CMA dans une région majoritairement acadienne au Québec (Lanaudière, Iles-de-la Madeleine, Gaspésie, Bécancour, Côte nord, etc.) ou en France (en Poitou, à Belle-Ile-en-mer, ou à St-Pierre et Miquelon)… mais en attendant, on invite nos cousins aux provinces maritimes surtout. – Il est évident que la langue française est très très importante comme élément identitaire, mais cela ne devrais pas exclure les communautés qui se disent de culture acadienne (Louisiane, Texas, etc.) et qui font des efforts énormes et surhumains pour faire revivre la langue française dans leurs coins de pays. – Après tout, par exemple; la culture juive parle des douzaines de langues à travers le monde, mais cette culture mondiale sait se tenir solide et unie dans nombreuses situations. C’est une question de sentiment d’appartenance. Quand on est une culture minoritaire, il faut voir grand!
et si le floklore, la généalogie et l’histoire était plus moderne qu’on ne le pense? Il y a des milliers de gens qui se rencontrent que pour ça. Malgré le fait qu’elle semble passéiste, la recherche généalogique est moderne dans un sens que des sites comme Ancestry.ca ou « Généalogie acadienne » sont très populaires. Ancestry demande jusqu’à un abonnement! Le discours du modernisme acadienne n’est pas nouveau et des commentaires, disons « anti-folklore », n’est pas plus moderne que la généalogie elle-même. En 1966, on reléguait aux oubliettes le drapeau acadien, qui pourant, aujourd’hui, desse ses couleurs bien haut. Et si les rencontre de familles pouvaient avoir lieu en même temps qu’une fête qui acceuille toutes les francophonies à l’échelle planétaire pour célébrer la culture acadienne patrimoniale et moderne?
Belles réflexions, messieurs. Je suis aussi d’avis que la folklorisation de notre Acadie nuit à ce que davantage de francophones d’ici S’y identifient.