Arseneau, Marc, Turbo goéland, Moncton, Perce-Neige, coll. «Poésie», 2018, 85 p.
Après un silence de plus de 15 ans, Marc Arseneau propose cette année un tout nouveau recueil. Turbo goéland s’installe bien dans le sillon creusé par les œuvres précédentes du poète, c’est-à-dire À l’antenne des oracles (1992), L’Éveil de Lodela (1998) et Avec l’idée de l’écho (2002), tous publiés chez Perce-Neige. En effet, cette distance qui sépare ce nouveau recueil des autres ne semble pas se traduire en un abandon des thématiques, des références ou des effets linguistiques. Si le premier recueil d’Arseneau proposait une langue française assez normative, le chiac et l’anglais ont aussi pris leur place avec les deux œuvres qui l’ont suivi. C’est aussi le cas de Turbo goéland, avec ses changements de registres et de langues qui permettent à l’auteur de manipuler le rythme des textes.
À la lecture des œuvres d’Arseneau, il est difficile de ne pas remarquer les références incessantes aux artistes, aux musiciens et aux groupes musicaux, ainsi qu’aux écrivains, nommés à même les textes : William Blake, Joy Division, Walt Whitman, Pablo Picasso, et j’en passe plusieurs. Dans Turbo goéland, on retrouve les Cowboy Junkies (p. 17), Patty Smith (p. 20) et les Talking Heads (p. 22). Mais pourquoi? Pour se tailler une place? Pour s’inscrire dans un mouvement de création quelconque? Ou peut-être par pure nostalgie? C’est bien là un des effets les plus importants du recueil : la nostalgie d’une époque révolue, mais aussi d’un Moncton qui n’existe plus. Ce Moncton, c’est celui où il était possible d’assister à une «wild scene au Kacho» (p. 27), cet ancien bar étudiant de l’Université de Moncton.
Même le titre de ce recueil est un saut dans le passé, un retour à 1998, au poème «turbo goéland au Cap-Lumière» paru dans Avec l’idée de l’écho : «en roulant vers Cap-Lumière / au volant d’un Sunbird / baptisé à l’instant turbo goéland» (p. 42). Ce rappel au recueil antérieur est typique de l’œuvre d’Arseneau. Dans L’éveil de Lodela, nous pouvons lire : «dans le trafic du midi / leur radio allumée / à l’antenne des oracles» (p. 21). Dans Avec l’idée de l’écho, nous retrouvons «un pont vers Lodela» (p. 95). Tout ceci pour dire qu’Arseneau travaille à une cohérence entre ses œuvres qui s’appellent et se répondent. Ces renvois intertextuels, comme les références aux autres artistes, lui permettent de s’ancrer dans l’univers qu’il définit.
Ancrer. Ce mot est peut-être trompeur. C’est le désir de rouler, de faire de la route, de voyager, qui est omniprésent chez Arseneau comme en témoigne le titre de Turbo goéland. Ces déplacements sont en quelque sorte source de poésie, tout comme l’oiseau :
comme au matin tranquille
un goéland entame son chant
la poésie nait dans la brume
attentive aux battements
comme une invention vitale
propulsée par le désir
la langue transmue
les gestes impassibles en pur élixir
comme celui des anges
et des troubadours excessifs
la soif du savoir invite
aux voyages loin des récifs (p. 70)
Mais encore, malgré le voyage, malgré la thématique de l’errance, toujours cette nostalgie qui parfois se traduit en un désir de connaitre les origines, ou du moins d’y remonter. Ce désir est aussi très présent dans les autres recueils d’Arseneau et se mêle quelquefois à des textes plus activistes. Les derniers poèmes de Turbo goéland sont composés sur ce ton revendicateur, avec une interrogation (un refus, presque) de la vie moderne. Dans «Refugee Cove, cap Chignectou», un long poème en six parties, nous pouvons voir une remise en question de certaines nécessités contemporaines : «ne devrions-nous pas apprendre / à éteindre le pouvoir / à coudre / à pêcher» (p. 79).
Est-ce bien sérieux? Difficile de le dire. Cela relève peut-être plus du désir impuissant que d’un réel appel à l’action écologique : «il croque sa pomme et envision / qu’il n’ira pas au mall / qu’il n’interagira point avec des ordinateurs / qu’il voyagera à vélo / et ne transportera pas de plastique» (p. 78). Turbo ou non, il serait en effet difficile de conduire un Sunbird sous ces conditions. Mais ce jeu est intéressant, puisqu’il exprime avec justesse le décalage qui peut exister entre l’idéologie (ou le désir) et le passage à l’acte.
À propos…
Mathieu Lanteigne est doctorant en études littéraires à l’Université de Moncton où il s’intéresse au rôle des figures dans les cycles littéraires. Il œuvre aussi dans le monde des bibliothèques publiques au Nouveau-Brunswick depuis 2013.