Nous publions aujourd’hui les propos exprimés par la présidente de la Société Nationale de l’Acadie, Louise Imbeault, lors de sa comparution devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international sur l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada le 14 février 2018.
La diplomatie culturelle est un axe fondamental de la politique étrangère canadienne qui s’avère de la plus grande importance pour le peuple acadien, ses industries culturelles et artistiques et leur rayonnement à l’international. L’Institute for cultural diplomacy définit la diplomatie culturelle comme «une approche qui utilise l’échange des idées, des valeurs, des traditions et d’autres aspects de la culture ou de l’identité, soit pour renforcer les relations, accroître la coopération socio-culturelle ou promouvoir les intérêts nationaux»[1]. La Société nationale de l’Acadie (SNA), en tant que fière porte-parole du peuple acadien sur les scènes atlantique, nationale et internationale, a très vite compris l’importance des arts et de la culture, et ce depuis sa création en 1881.
En effet, la culture fait partie intégrante de notre identité acadienne et canadienne. Plus encore, elle propage nos valeurs nationales d’une manière que les échanges économiques seuls ne peuvent réaliser. C’est pourquoi, aujourd’hui, je tiens à réitérer l’intérêt d’investir dans la diplomatie culturelle et de pérenniser des revenus stables afin que nous puissions continuer de faire rayonner le Canada à travers toute sa richesse, notamment culturelle.
De plus, intégrée stratégiquement et systématiquement à la politique étrangère canadienne, «la culture peut servir à influencer l’opinion publique étrangère et, par le fait même, à obtenir l’appui à l’égard des politiques étrangères d’un pays.»[2] C’est donc une composante plus douce, mais non moins cruciale et transversale, de la diplomatie. La diplomatie culturelle se pratique depuis des siècles mais la mondialisation, les communications numériques et la multiplication des contacts entre les cultures ont projeté la richesse identitaire, artistique, patrimoniale et intellectuelle du Canada au devant de la scène.
Avec un peu de recul, il est même évident que nous, Acadiens et Acadiennes, en avons beaucoup tiré profit, notamment pour créer et entretenir des partenariats, bâtir notre réputation et promouvoir nos produits et nos intérêts culturels sur la scène internationale. La promotion des arts et de la culture ouvre effectivement des portes à toutes sortes de relations et d’exportations, et pas seulement culturelles.[3]
La diplomatie culturelle se trouve au centre du projet national acadien depuis plus d’un siècle. C’est en tissant des liens dans la francophonie, notamment avec le Québec et la France, que nous avons fondé nos premiers journaux, écoles et collèges; que nous avons importé des manuels scolaires en français lorsque ceux-ci faisaient cruellement défaut ; que nous nous sommes projetés collectivement sur la scène internationale, à compter des années 1960, au moyen d’ententes, d’échanges et de collaboration dans les domaines universitaire, professionnel et artistique. Les 25 dernières années ont donné lieu à des progrès formidables : soulignons les cinq éditions du Congrès mondial acadien, créé en 1994 ; l’établissement de partenariats entre la SNA et la Louisiane, le Québec, Saint-Pierre et Miquelon et la Belgique ; l’adhésion de la SNA à l’Organisation internationale de la Francophonie ; enfin la création de la Stratégie de promotion des artistes acadiens sur la scène internationale (SPAASI) et de l’Office de la mobilité internationale en Acadie (OMIA).
Plus important encore, le désir de rayonnement international de l’Acadie contemporaine a coïncidé avec le tournant culturel de la diplomatie canadienne. De 1995 à 2005, les valeurs et la culture constituaient l’un des trois piliers de la politique étrangère du Canada, aux côtés de la croissance économique ainsi que de la paix et de la stabilité mondiales[4]. L’année 2005 marque toutefois le début du déclin de la diplomatie culturelle canadienne. Des projets jusqu’alors financés par Ottawa, comme Routes commerciales et le Programme de diplomatie ouverte (PDO), ont été abolis, affectant notre épanouissement artistique, culturel et communautaire et surtout notre capacité de rayonner sur la scène internationale.
Cela étant dit, je suis heureuse de l’intérêt porté par le gouvernement actuel à la question de la diplomatie culturelle. A ce propos je me réjouis de la nomination récente d’un attaché commercial aux affaires culturelles à l’ambassade du Canada en France, dont les retombées se font déjà ressentir à la SNA, particulièrement à la SPAASI, car la promotion efficace des artistes acadiens à l’international dépend directement du développement commercial des produits culturels canadiens en Europe.
Je terminerais en disant combien l’Acadie de l’Atlantique a contribué à étoffer la diplomatie culturelle canadienne, notamment en participant à de nombreux festivals et événements internationaux dont le Festival interceltique de Lorient. Il me semble aussi que cette forme de diplomatie repose essentiellement sur deux bases complémentaires : d’une part l’appui gouvernemental au milieu associatif, culturel et artistique en sol canadien, d’autre part le renforcement des moyens, notamment financiers, auprès d’organismes faisant rayonner le Canada dans le monde comme le fait la SNA dans les pays avec lesquels nous entretenons des affinités culturelles, commerciales et diplomatiques. L’instauration entre le gouvernement, la société civile et le milieu culturel de pratiques collaboratives vouées au développement culturel international est un bon moyen de rejoindre ces deux pôles. Enfin, comme je l’ai suggéré à la ministre du Patrimoine il y a quelques mois, la SNA souhaite que soit institué de nouveaux partenariats entre Patrimoine Canada et Affaires mondiales Canada afin que nous puissions contribuer activement au développement et au rayonnement des arts, de la culture et de la dualité linguistique au coeur de la politique diplomatique canadienne.
[1] «Le Canada brille par ses artistes», ArtExpert.ca, billet du 18 septembre 2015, http://www.artexpert.ca/tag/diplomatie-culturelle/
[2] Rachael Maxwell, «La place des arts et de la culture dans la politique étrangère du Canada», rapport préparé pour la Conférence canadienne des arts, 2008, http://ccarts.ca/wp-content/uploads/2011/11/PDS-BackgrounddocumentFRFINALgs27.09.07.pdf
[3] Peter Simpson, «Quand la culture et l’art canadiens partent à la conquête du monde», Exportation et développement Canada (EDC), billet du 5 juin 2017, https://www.edc.ca/fr/blogue/exporter-culture-art-canadiens.html.
[4] L’apparition et la disparition de la culture comme volet clé de la diplomatie canadienne s’observe en comparant deux documents produits par le gouvernement fédéral en 1995 et en 2005, soit Le Canada dans le monde et Fierté et influence: notre rôle dans le monde.
À propos…
Louise Imbeault est une femme très active, tant dans sa vie professionnelle que personnelle. Journaliste à Radio-Canada pendant plus de 30 ans, elle a pris la direction de Radio-Canada Atlantique en 1996. En 2007, sous son leadership, l’institution devient Radio-Canada Acadie. Ayant à cœur le monde communautaire, elle a siégé à de nombreux comités et conseils d’administration. Louise est désormais propriétaire de Bouton d’or Acadie, où elle est aussi éditrice.
Voilà une approche et un texte qui arrivent à point au moment où les concepts de l’insécurité et de l’inconscience linguistiques semblent menacer l’identité linguistique et culturelle acadienne. Il faut éviter l’isolement. Bravo et merci beaucoup Louise.