Je t’aime. Si jamais je change d’idée, je te laisserai savoir.
C’est ce que le romantique arrière-grand-oncle irlandais Harry a dit à sa femme métisse Sally le jour de leurs noces. Il n’a jamais changé d’idée. Est-ce qu’elle aurait aimé l’entendre dire qu’il l’aimait? Sans doute. Mais elle le savait, elle le sentait, sans aucun doute.
On dit que ça prend un village pour élever un enfant. Mais qu’est-ce que ça prend pour construire un amour? Faut-il que les couples le disent et le répètent en public qu’ils s’aiment? Peut-être.
C’est comme la fierté. Par les temps qui courent, tout le monde est fier. Les parents de leurs enfants, les enfants de leurs parents, les amis et les conjoints entre eux.
Les autochtones sont fiers, les francophones et autres minoritaires aussi. Des défilés, des slogans, des gazouillis. C’est la chose à dire en gang, en réseau et en public.
Ça veut dire quoi, être fier? On peut être fier de quelque chose qu’on a accompli ou du succès de nos proches. Mais la fierté de qui on est, de notre identité? Comment avons-nous pu glisser sur une pente si dangereuse?

Crédit photo : Semaine provinciale de la fierté française. Affiche conçue par les membres du Comité d’art de la Cité des jeunes d’Edmundston (Chloé Bossé, Kaylee Bossé, Natasha Leblond, Kaylie Levesque, Gabrielle Martin, Cassandra Ouellette) sous la direction de Sébastien Bérubé.
Voici des synonymes : amour-propre, arrogance, audace, condescendance, dédain, hauteur, infatuation, mépris, orgueil, présomption, suffisance et vanité. Selon l’Académie française de 1986, le mot fierté vient du latin feritas, qui signifie cruauté. De 1798 : des poissons dont on voit les dents.
Tout à coup, pas certain de vouloir être fier.
Surtout que la fierté prime dans les discours de droite. Marine Le Pen : «Je veux que les Français soient fiers d’être Français». Donald Trump : «Make America Proud Again». Et Adolf Hitler, promettant de rendre aux Allemands einen stolz d’antan. Sur le web, la recherche «Fier d’être Québécois» génère 48000 résultats. Presque assez pour lancer un référendum.
Ça te met la semaine de la fierté en perspective.
Mettons quand même in extrémis que la fierté, ça peut être beau. On peut être right fier. Ou gauchement fier.
Comme dans l’appel à la fierté qu’on fait aux enfants. On leur dit d’être fier. On les voit gigoter tout à coup.
Admettons qu’on le dise une fois ou deux, qu’on est fier. Mais qu’on le répète ad nauseam et en chœur? Ça commence à ressembler à de l’insécurité.
Quelle émotion monte tout à coup qui fait mal? La face cachée, le parent pauvre, l’ombre de la fierté? Elle ne cède pas sa place. Elle n’exige qu’une chose : ne pas être nommée.
La honte.
Quand les adultes font appel à la fierté, c’est souvent de leur propre honte qu’il s’agit. C’est comme «qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes[1]». Le regard se voile et se tourne vers l’intérieur.
Les adultes réveillent la honte qui existe déjà chez les enfants à force d’entendre parler de fierté. C’est comme tourner le fier dans la plaie.
Les jeunes la flairent d’instinct. Ils se demandent pourquoi ils ont honte. Ne savent pas. Ils savent seulement qu’ils ont honte. Ils l’ont déjà assumée parce qu’ils ont pitié des adultes, ils ne veulent pas les abandonner dans leur honte.
Ce qu’ils entendent : si vous n’êtes pas fiers, vous devriez avoir honte. Ils ont honte des adultes qui leur parlent encore de fierté.
Mais la fierté ne se manufacture pas. Comme l’amour et autres choses belles.
[1] Paroles de la chanson C’est beau la vie, de Jean Ferrat.
À propos…
Jean-Pierre Dubé est auteur de romans, pièces de théâtre, scénarios et de nouvelles (www.jpqr.ca). Le natif du Manitoba fait carrière dans la presse écrite et les communications, entre autres à titre de journaliste indépendant et de pigiste au service de nouvelles nationales de Francopresse.