Ce texte fait suite au texte Les dommages causés par les réparations de Vincent Chandler et répond à d’autres textes qui ont été publiés depuis.
Mon dernier article portant sur les dommages causés par les réparations a créé des vagues de Dartmouth à Ottawa en passant par Truro, Moncton et l’Île-du-Prince-Édouard. La télévision s’en est mêlée. Le Conseil jeunesse provincial de la Nouvelle-Écosse (CJPNÉ) s’en est même servi comme prétexte pour entamer une campagne sur les réseaux sociaux et affirmer que l’éducation en français est un droit #pourtous. Clairement, certains se sont sentis insultés par mes propos. Ce n’était pas mon intention. Je ne voulais pas critiquer les familles anglophones, mais plutôt les politiques expansionnistes du Conseil scolaire acadien provincial (CSAP).
L’article de Violette Drouin a initié la charge. Dans cet article, elle fait l’éloge de l’École acadienne de Truro qu’elle fréquente depuis 12 ans. Un reportage de l’auteure elle-même nous indique qu’il y a sept personnes en 10e année, huit personnes en 11e année et cinq personnes en 12e année à l’École acadienne de Truro. Lorsque Violette Drouin était en maternelle, il y avait 12 élèves dans sa classe. En guise de comparaison, l’École Bois-Joli, l’école qu’a fréquenté ma fille, a cinq classes de maternelle contenant chacune entre 20 et 25 élèves. À l’École Beaubassin, il y a 118 élèves en maternelle cette année. Les classes de l’École acadienne de Truro sont donc très petites.
Ensuite, seulement 14% des élèves inscrits au programme «Grandir en français» à l’École acadienne de Truro sont issus de famille non-ayants droit. C’est très peu si l’on compare au 72% de l’École acadienne de Pomquet ou au 52% du Centre scolaire Étoile de l’Acadie[1]. Contrairement à d’autres écoles du CSAP, l’École acadienne de Truro est donc majoritairement francophone.
Est-ce qu’il est surprenant que la francisation fonctionne dans un tel environnement? Pas du tout. En fait, Violette Drouin nous offre la recette pour une francisation réussie: un petit nombre d’élèves issus de familles anglophones et un enseignement hautement personnalisé. C’est dommage que ce ne soit plus la norme au CSAP.
En passant, j’aimerais corriger un argument employé par Mlle Drouin et par d’autres avant elle. Elle écrit que «depuis de nombreuses années, les élèves du CSAP affichent des résultats à un niveau comparable et parfois supérieur aux autres conseils scolaires en ce qui concerne les tests provinciaux standardisés». Comme les tests provinciaux du CSAP sont complètement différents de ceux des conseils scolaires anglophones – le CSAP crée ses propres examens –, il est impossible de comparer ses résultats avec ceux des conseils scolaires anglophones.
Quelques jours après la publication de l’article de Violette Drouin, on a pu lire celui de Sarah MacNeil. Elle nous décrit son processus de francisation à l’École acadienne de Pomquet. Son titre laisse sous-entendre la lassitude de l’auteure par rapport au sujet: «Est-ce qu’on parle encore des réparations»? Si le sujet a été sur-discuté à ce point, on pourrait s’attendre à ce que le CSAP soit prêt à réagir lorsqu’un parent mentionne ses soucis. D’entrée de jeu, le CSAP pourrait faire un effort de transparence. Par exemple, il pourrait publier le pourcentage d’enfants issus de familles non-ayants droit sur son site Internet pour montrer que le phénomène est marginal. Le CSAP pourrait aussi effectuer des études pour démontrer que les enfants des écoles majoritairement anglophones réussissent aussi bien que ceux des écoles majoritairement francophones ou que les enfants issus de familles anglophones rattrapent rapidement les enfants issus de familles francophones. Ainsi, le CSAP démontrerait clairement qu’il s’intéresse à ce sujet délicat et que ses programmes permettent l’intégration des enfants anglophones.
La réaction du CSAP à mes soucis a été toute autre. D’abord, le CSAP a affirmé qu’il n’y avait pas d’enfants non-ayants droit dans ses écoles. Les enfants anglophones étaient simplement issus de familles ayants droit exogames dont la langue familiale est l’anglais. Après avoir obtenu les chiffres grâce à une demande d’accès à l’information, on m’a dit que les enfants non-ayants droit sont tous issus de familles acadiennes. Ça aussi, c’est faux. Si une organisation se permet d’improviser de la sorte et de mentir aux parents, il y a encore un travail de sensibilisation à faire.
Finalement, l’auteure, qui affirme candidement n’avoir aucune racine francophone, explique que la rencontre d’une famille francophone donna le coup d’envoi à son processus de francisation. Ce ne sont donc pas les enseignants qui ont allumé son intérêt pour la langue française mais plutôt une amie pour qui le français était normal. Si la francisation passe par les pairs, les enfants anglophones devraient avoir la chance d’interagir avec des francophones. Malheureusement, plus il y a d’anglophones, plus les francophones deviennent rares et plus le contact devient improbable. L’auteure affirme ne pas avoir eu le choix de fréquenter cette fille francophone comme il y avait si peu d’élèves dans sa classe (13 élèves en 13e année). Est-ce que son processus de francisation aurait été le même dans une classe de 25 élèves ou dans un niveau d’une centaine d’élèves? J’en doute.
Le CSAP sait très bien que la francisation passe par les élèves francophones. À preuve, anciennement, à l’École Bois-Joli, les élèves francophones faisaient leur maternelle et première année ensemble. Depuis deux ans, les élèves francophones ne font que la maternelle ensemble avant d’être parachutés dans des classes majoritairement anglophones afin de franciser les élèves anglophones. On doit se poser des questions concernant l’éthique d’une telle méthode. Les administrateurs du CSAP promettent une francisation à des parents anglophones en sachant que ce fardeau tombera sur les épaules d’enfants de six, sept ou huit ans qui se trouvent en situation minoritaire. Les enfants veulent simplement bien s’entendre avec leurs camarades; ils ne veulent pas être un outil de francisation. Est-ce qu’une telle procédure est moralement acceptable?
Finalement, l’article de Rachelle Gauthier et Marianne Cormier ferme la marche.
D’abord, les auteures réfutent qu’une application débridée – comme c’est le cas en Nouvelle-Écosse – du concept de réparation affecte la qualité de l’éducation et l’environnement des écoles francophones. Est-ce que les auteures prétendent vraiment qu’un francophone dans une classe d’une vingtaine d’élèves anglophones aura la même éducation qu’un francophone dans une classe d’une vingtaine d’élèves francophones? La qualité de l’éducation dépend évidemment du niveau de français de la majorité des élèves. Un enseignant ne peut offrir une éducation personnalisée à 25 élèves.
La relation entre la qualité de l’éducation et le nombre d’ayants droit est même suggérée dans une politique du CSAP: «Il est très important que la qualité de l’éducation et le caractère acadien de chaque école ne soient pas mis en péril par l’admission d’enfants de parents non-ayants droit» (Politique No 225). Lorsque j’ai demandé aux membres du conseil d’administration à partir de quel seuil le nombre d’enfants de parents non-ayants droit mettrait en péril la qualité de l’éducation, je n’ai pas eu de réponse. Cette politique est tout simplement ignorée pour ne pas nuire à la croissance du réseau.
Les enseignants du Nouveau-Brunswick interrogés par Marianne Cormier (professeure en éducation à l’Université de Moncton) dans le cadre de son article académique intitulé «Accueillir le majoritaire dans l’institution de la minorité?» partagent aussi mon opinion:
Dans sept des neuf entrevues de groupe, on fait des commentaires qui déplorent le fait que la présence de ces élèves (anglophones) anglicise l’école. On se plaint que ces enfants parlent toujours en anglais et que les autres élèves ont tendance à parler également en anglais en raison de leur présence. Les enseignantes dans une école disent qu’elles ne souhaitent donc pas avoir ces élèves dans leur classe, car leur présence anglicise la classe».
Les enseignants mentionnent clairement que les enfants anglophones anglicisent les écoles, mais un parent comme moi qui exprime ce genre d’inquiétudes «avance maints énoncés fautifs», «induit les lecteurs en erreur», «cherch[e] des coupables», «prône une idéologie […] contre-productive, voire nocive», etc.
Il est important de comprendre que je n’ai rien contre la présence de quelques élèves anglophones dans les écoles du CSAP. S’il y en avait très peu, on ne s’en rendrait pas compte. Le problème, c’est leur omniprésence. À l’École Bois-Joli, au moins 60% de la centaine d’enfants qui rentrent en maternelle ne parle pas un mot de français. Pour faire partie de l’autre 40%, ma fille a dû répondre à deux questions: 1) «Comment ça va?» et 2) «As-tu hâte d’aller à l’école»? Une école ne peut pas franciser un aussi grand nombre d’enfants de familles anglophones vivant dans un environnement anglophone. Que les auteures viennent en Nouvelle-Ecosse et fassent des études sur la qualité du français des élèves issus de familles anglophones pour démontrer le contraire.
Par la suite, les auteures me reprochent un discours qui divise entre «eux» et «nous». D’abord, je n’ai pas créé cette distinction: elle est dans la Charte. Celle-ci accorde certains droits aux parents ayants droit. J’aimerais simplement y avoir accès. Les enfants francophones n’ont pas les mêmes besoins que les enfants anglophones. Lors de mes contacts avec le CSAP, je n’ai jamais eu l’impression que les administrateurs prenaient les besoins des enfants francophones au sérieux. On prend tout simplement les enfants francophones pour acquis.
Ensuite, cette distinction existe dans la tête des élèves. Un parent anglophone m’a raconté qu’un enfant francophone de première année a dit au sien: «You don’t speak French, why are you here»? Les adultes responsables du système d’éducation francophone mettent les enfants francophones dans une situation minoritaire et toxique. Ces administrateurs devraient être blâmés et non les parents qui aimeraient offrir une éducation de qualité à leurs enfants dans leur langue maternelle.
Si on se fie à mes détracteurs et détractrices, tout va bien: la croissance du système est bénéfique pour tous. Il y a dix ans, il y avait 1780 élèves inscrits aux écoles du CSAP dans la région centrale. Maintenant, il y en a 3160. A ce rythme, il y en aura 5590 dans dix ans. Cette croissance est clairement alimentée par des élèves anglophones. À chaque année, les élèves francophones deviennent un peu plus minoritaires dans leurs écoles. Qu’est-ce que vous répondrez au parent qui exprimera ses soucis dans dix ans parce que son enfant est le seul francophone dans sa classe? Est-ce que vous lui direz qu’il devrait se taire parce qu’il soulève un ancien problème ou le traiterez-vous d’intolérant?
[1] Pour ceux qui doutent de mes chiffres, je vous prie de faire une demande d’accès d’information au CSAP en contactant M. Richard Landry pour obtenir le pourcentage de non-ayants droit pour l’année scolaire 2015-2016.
À propos…
Vincent Chandler, fils d’une mère francophone et d’un père anglophone et mari d’une femme allemande, est originaire de Montréal. Il habite maintenant à Dartmouth avec ses trois enfants trilingues et trépidants. Durant ses temps libres, il est professeur d’économie à l’Université Saint-Mary’s. Ses recherches portent sur l’analyse des politiques publiques.
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