Ce texte a été soumis en réponse au texte Les dommages causés par les réparations de Vincent Chandler.
En premier lieu, je tiens à me présenter, aux lecteurs, et à vous, M. Chandler. Je m’appelle Violette Drouin, je suis en 11e année, et je fréquente l’École acadienne de Truro. Je suis née au Québec dans une famille exogame, mais j’ai déménagé en Nouvelle-Écosse à l’âge de trois ans. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, j’ai gardé mon français. Ce que vos enfants vivent, je l’ai vécu. Je désire vous communiquer, à vous et à la province entière, le point de vue de quelqu’un qui vit dans l’environnement francophone (eh oui, francophone, croyez-le ou non) d’une école du CSAP.
Pour commencer, je ne nie aucunement que l’anglais dans les écoles est un problème. J’en entends bien trop souvent dans les couloirs, mais cela ne signifie pas que ces élèves sont incapables de s’exprimer en français, et cela ne signifie pas non plus qu’il y a trop d’enfants anglo-dominants à l’école. J’ai remarqué, pendant mon parcours scolaire, que, pas toujours, mais souvent, ce sont les élèves issus de familles francophones qui ont tendance à parler anglais dans les couloirs, tandis que ceux issus de familles anglophones, ceux qui n’ont jamais dit un mot de français chez eux, sont les plus fiers de leur langue. Par exemple: l’une de mes très bonnes amies est, elle aussi, issue d’une famille exogame, mais malheureusement elle parlait seulement anglais lorsqu’elle était jeune. Elle a appris le français à la prématernelle, comme tant d’autres. Aujourd’hui, elle parle la langue aussi confortablement que l’anglais, sa grammaire est impeccable, et, plus important encore, elle est fière de son français.
Vous dites que «cette situation a un effet néfaste sur les enfants francophones qui se retrouvent en minorité». Toutefois, ce n’est pas la situation dans les écoles qui a un effet nuisible, mais plutôt le simple fait de se retrouver en minorité. Peu importe la langue que l’on parle à la maison et à l’école, en public – à l’épicerie, dans les boutiques, dans les cours de conduite ou de danse – c’est toujours l’anglais. De plus, les élèves ne s’isolent pas des autres jeunes, donc ils ont des amis anglophones, et souvent, ils commencent à penser que l’anglais est plus «cool» que le français. La solution, selon moi, n’est pas de bannir ceux qui parlent le français comme langue seconde, mais plutôt de les inclure, pour créer une grande communauté francophone inclusive et diverse. Évidemment, c’est énormément plus facile de le dire que de le faire, mais nous progressons.
Ici, il serait approprié de faire un point d’information sur l’histoire de la francophonie en Nouvelle-Écosse. Durant les années 1864-1981, il était impossible de s’éduquer en français en Nouvelle-Écosse. C’était tellement mal vu de parler français que certains Acadiens ont changé leur nom de famille pour qu’on ne connaisse pas leurs racines! Il y a des cas où un francophone se faisait interdire par son époux ou son épouse de parler français à la maison. Ce sont, comme on les nomme, des générations perdues. Mais voudrait-on enlever la chance à ces personnes de renouer les liens avec leur héritage? Je connais beaucoup de parents qui ont eux-mêmes perdu leur français parce qu’ils n’avaient pas l’occasion de l’utiliser, ou qui ne l’ont jamais parlé parce que leurs parents ne leur ont pas transmis la langue. Le CSAP est issu d’un long combat pour les droits linguistiques et contre l’assimilation. Voudrait-on exclure les petits-enfants de ces mêmes personnes qui ont fait venir au monde le conseil scolaire? Ce n’est pas en admettant seulement les enfants qui parlent déjà français que nous allons contrer l’assimilation, en fait, en faisant cela, nous sommes en train de laisser l’assimilation remporter le combat.
Dans votre texte, vous faites la remarque que «de plus, la présence des enfants anglophones a un effet néfaste sur la qualité de l’éducation». Ici, je vous contredis, non seulement avec mon expérience personnelle, mais avec des faits. Cette année, ainsi que l’année dernière, j’ai suivi des cours de français avancé, où nous avons étudié des romans d’Alexandre Dumas et de Victor Hugo. De plus, depuis de nombreuses années, les élèves du CSAP affichent des résultats à un niveau comparable et parfois supérieur aux autres conseils scolaires en ce qui concerne les tests provinciaux standardisés. Comment cela pourrait-il être le cas de façon régulière si l’éducation était inférieure?
Vous faites référence, M. Chandler, à une «transformation graduelle de l’école francophone en une école d’immersion». Je tiens à rappeler, ou à informer ceux qui ne le savent peut-être pas, que le curriculum de français dans les écoles du CSAP est très différent que celui des écoles d’immersion. Le CSAP offre des cours de français langue première, tandis que les écoles d’immersion offrent des cours de français langue seconde. En effet, les élèves du CSAP ont la chance de suivre des cours de français et d’anglais, tous deux en tant que langues premières, donc, le curriculum d’anglais est pareil à celui des écoles d’immersion, tandis que celui de français est plus avancé.
Je souhaite vous partager deux points concernant ma vie personnelle et mon expérience au CSAP. Je travaille au centre communautaire qui est adjacent à mon école, et qui offre un service de garde. Plusieurs enfants en prématernelle issus de familles anglophones y viennent. En arrivant en septembre, ils ne parlaient pas un mot de français. En décembre, ils comprenaient parfaitement. Maintenant, en mars, ils parlent en phrases complètes. Ils ont appris rapidement.
Le second point dont je désire parler est mon cheminement personnel. En arrivant à Truro, je ne pensais rien du français. C’était une langue et je l’utilisais pour communiquer. Rien de plus. Par la suite, j’ai passé quelques années où je croyais que l’anglais était meilleur que le français. Cela ne m’a toutefois pas empêchée de parler français à l’école ou de vivre dans un environnement francophone. J’ai aussi participé à des événements jeunesse à travers le CSAP et le Conseil jeunesse provincial de la Nouvelle-Écosse. Et maintenant, non seulement je considère le français comme étant égal à l’anglais, mais je suis fière de mon français. J’ai réalisé que ce n’est pas simplement un mode de communication, et je suis fière de la beauté, la passion, et la culture qui vont avec cette langue. Ma langue.
Mais je n’aurais pas eu cette fierté si j’avais grandi dans un milieu majoritairement francophone. Après tous les défis et les conflits intérieurs, j’en ressors plus forte, avec une plus grande appréciation de mes deux langues maternelles. Et malgré tous ces défis, il n’y a nulle part d’autre où je voudrais être. Ces défis m’ont rendue plus forte.
Donc, M. Chandler, si j’ai une chose à vous dire, au moment où j’approche ma sortie des écoles du CSAP, c’est ceci: ne vous inquiétez pas pour vos enfants. À la sortie de l’école secondaire, ils maîtriseront deux langues, ils auront bénéficié d’une excellente éducation, ils auront un sens d’appartenance à cette grande communauté qu’est la francophonie néo-écossaise, et ils se seront fait des amis qu’ils garderont tout au long de leurs vies.
À propos…
Violette Drouin est élève de 11e année à l’École acadienne de Truro, à Truro, en Nouvelle-Écosse. Elle est passionnée de lecture et de littérature de langue française et anglaise, à la fois classique et contemporaine. Elle siège au conseil d’administration du Conseil Jeunesse Provincial de la Nouvelle-Écosse (CJP) et de la Fédération culturelle acadienne de la Nouvelle-Écosse (FéCANE), toutefois, ses propos reflètent uniquement ses opinions personnelles et non celles de ces deux organismes.
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Bravo Violette!
Bien dit Violette!!
Fun fact: L’article de M.Chandler a été publié plusieurs fois, sous différents noms, dans différents médias. Je doute en partie si la photo sous son article est vraiment celle de M. Chandler… Les chiffres sont mal calculés et je n’ai pas de difficulté à croire que beaucoup d’autres choses dans son article ne sont pas vrai.