Réflexions à l’occasion du lancement de La petite histoire de l’École libre de Tracadie – Michèle Caron

Le lancement de La petite histoire de l’École libre de Tracadie, par Jean-Claude Basque (en collaboration avec Michèle Caron et Paul Thériault) a eu lieu le 29 juillet[1]. Par souci de transparence, j’attire l’attention sur ma collaboration à la rédaction de ce petit livre  de 138 pages dont 43 pages de documents en annexe, principalement des reproductions d’articles publiés par L’Évangéline au sujet des évènements qui ont conduit à la création de l’École libre de Tracadie en 1972.  Je laisse à d’autres, plus impartiaux, le soin d’en faire la critique, mais je profite du lancement pour partager quelques réflexions suscitées par ce retour en arrière.

La petite histoire - 2

Crédit photo : Les Éditions de la francophonie.

Comme  son titre l’indique,  il s’agit de «la petite histoire» d’un épisode dans l’histoire des mouvements sociaux et de la lutte sociopolitique des années 1970 dans cette région du Nouveau-Brunswick qu’on appelait le Nord-Est. C’est la chronique quasi quotidienne d’un bras de fer entre les autorités scolaires (la commission scolaire) et un groupe de parents et d’étudiants, en particulier quatre étudiants pour lesquels l’École libre a été créée.

L’industrialisation et la «modernisation» de l’appareil de l’État et de la livraison de ses services dans les années 1970 ont perturbé le tissu social du Nord-Est et ont donné lieu à des réactions, confrontations, manifestations, réunions et quelques actes de vandalisme accomplis dans une atmosphère émeutière.

La «petite histoire» de l’École libre de Tracadie (ÉLT) se déroule dans ce contexte d’agitation sociale.

Cette histoire commence avec une protestation étudiante contre le mauvais fonctionnement du système de chauffage de la nouvelle polyvalente (les problèmes de construction très répandus dans les nouvelles écoles auraient probablement pu bénéficier d’une «enquête Charbonneau»). La réaction autoritaire et disciplinaire de la commission scolaire s’est heurtée au refus d’obtempérer et à une méfiance à l’égard des élites qui n’est pas sans rappeler une des mouvances actuelles. Les étudiants et les parents protestataires ainsi que leurs alliés se réclament de la liberté d’expression et du droit de participation à la chose démocratique. Après un bras de fer de plusieurs mois, les autorités scolaires expulsent trois étudiants et une étudiante. «L’École libre fut créée pour leur fournir un lieu d’apprentissage et leur permettre de terminer l’année scolaire» (cf. résumé, page couverture). J’ai contribué, souvent à partir des coulisses, à l’organisation des nombreuses manifestations, réunions publiques et à la création de l’école. J’étais la rédactrice, sinon l’auteure, de la plupart des lettres, tracts et autres textes du comité des parents.

L’ÉLT n’était pas une école libre comme l’école pionnière de Summerhill (en Grande-Bretagne) dont Mathieu Lang a expliqué la philosophie et la pratique dans sa chronique de L’Acadie Nouvelle du 2 juillet 2015 intitulée «Pédagogie de la liberté ou de l’anarchie». Tel qu’il le faisait remarquer, dans cette école privée fondée en 1921, «[a]ucune règle n’est imposée aux enfants par les adultes. La présence aux cours n’est pas obligatoire. Il n’y a aucune surveillance. Et il n’y a vraiment aucune relation de supériorité des adultes à l’égard des élèves. »

La création et l’organisation de l’ÉLT n’étaient pas motivées par une volonté de réforme de la pédagogie; le programme d’études de la province était suivi, les étudiants expulsés utilisaient les mêmes manuels que leurs anciens camarades et ils tentaient de calquer leur rythme d’avancement dans les matières sur celui qui avait cours à la polyvalente.

Même si l’ÉLT ne se voulait pas une révolution pédagogique, mais plutôt une solution ponctuelle aux retombées néfastes de la lutte et de la militance politique, elle a aussi été une école de liberté. Elle l’a été pour l’étudiante et les trois étudiants ainsi que pour leurs parents et leurs alliés les plus proches, dont moi-même. Nous y avons acquis la conviction profonde que l’affirmation de la liberté individuelle est accompagnée d’un devoir de responsabilisation envers les autres.

Les étudiants ont dû apprendre à se motiver pour étudier sans l’horaire et sans les cloches de l’école. Ils ont dû apprendre à se respecter et à se tolérer mutuellement dans un environnement physique qui malgré leurs talents artistiques restait toujours une pièce de hangar dans laquelle on avait recouvert la laine isolante avec un carton épais. Tout comme les étudiants de Summerhill, ils ont dû fixer des limites à leur liberté afin de ne pas ralentir le rythme assidu des études et nuire à leurs camarades. Ces leçons, ils les ont appliquées par la suite dans leur engagement social décrit au chapitre 7 du livre.

Quant à Jean-Claude et moi-même, nous y avons appris que la liberté d’expression entraîne des responsabilités entre autres à l’égard de nos compagnons de lutte et que tout en évitant une attitude paternaliste, les militants, et particulièrement leurs leaders, doivent veiller à la protection des intérêts des plus vulnérables et à corriger, autant que faire se peut, les conséquences prévues et imprévues de la lutte militante. Cette conviction profonde que j’ai entretenue dans ma vie professionnelle et militante est aujourd’hui confrontée par les évènements.

Je pense notamment à la controverse soulevée par les propos de Michael Ward et à sa défense de l’humour même au prix de l’injure à des individus nommés. Je pense aux déclarations outrageantes de Donald Trump, au mouvement réactionnaire  «All lives matter», aux attentats provocateurs de Daesh ou plus près de nous aux déclarations mensongères et vindicatives des associations de défense des Anglophones du Nouveau-Brunswick qui sèment la peur et la division. Elles méritent toutes qu’on s’en préoccupe, mais ce qui m’a le plus choquée récemment, c’est l’annonce du retrait de Boris Johnson de la course à la chefferie du parti conservateur britannique le lendemain de la victoire du Brexit pour lequel il a été une tête d’affiche et dont on prévoyait qu’il allait diriger le suivi. On s’attendait à ce qu’il assume la responsabilité et les retombées de l’expression sa liberté d’opinion en faveur du retrait de l’Union européenne.

Sa démission était surprenante, mais le plus étonnant, c’est qu’on ne semble pas lui en tenir rigueur. Quelques jours plus tard, il était nommé ministre aux Affaires étrangères et au Commonwealth.  La liberté d’expression irresponsable serait-elle devenue à ce point normale?

L’histoire de l’École libre de Tracadie est une petite histoire parmi tant d’autres dans le Nord-Est des années 1970. Pensons par exemple aux évènements racontés dans le film «Un soleil pas comme ailleurs» de Léonard Forest. Elle n’est pas unique ni la plus marquante, mais elle a influencé l’action politique des baby boomers que nous sommes et est maintenant documentée, ce qui devrait contribuer à l’analyse critique et à la compréhension de cette période d’agitation sociale par nos futurs sociologues et politologues.

[1] Jean-Claude Basque, 2016 , La petite histoire de l’École libre  de Tracadie , collaboration de Michèle Caron et Paul Thériault, Lévis, Les Éditions de la francophonie.

À propos…

Caron, Michèle (au centre)

Tel que mentionné en introduction Michèle Caron (au centre de la photo) a été une des protagonistes des évènements décrits dans ce livre à la rédaction duquel elle a collaboré. Elle est présentement à la retraite après une carrière d’enseignement du droit à l’Université de Moncton. Elle a été engagée dans des luttes et des organisations syndicales, nationalistes acadiennes et féministes.

Une réponse à “Réflexions à l’occasion du lancement de La petite histoire de l’École libre de Tracadie – Michèle Caron

  1. Dès que j’ai eu connaissance de cette publication, je me suis mis en quête de la commander. J’ai envoyé un courriel à l’éditeur : Acadie Nouvelle. Deux semaines plus tard, pas de réponse. Si quelqu’un pouvait débloquer la situation, je lui en serais très reconnaissant. Par avance, merci. Robert ALBERT

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