Monsieur le Premier ministre Trudeau,
C’est avec grand enthousiasme que nous avons lu votre lettre publiée dans le Globe and Mail mardi dernier, au sujet du nouveau processus de nomination des juges à la Cour suprême. Nous nous réjouissons du processus que vous avez proposé, qui se veut enfin transparent, inclusif et responsable.
Nous avons aussi été très heureux d’apprendre que le bilinguisme fera dorénavant partie des critères de compétence exigés des futurs candidats à la Cour suprême. Toutefois, ces exigences nous interpellent. Vous indiquez que les juges devront être «effectivement bilingues» (sic). Par cette expression, vous entendez que la personne choisie devra être en mesure de «lire des documents et comprendre un plaidoyer sans devoir recourir à la traduction ou à l’interprétation». Toutefois, elle ne sera pas tenue de «discuter avec un avocat pendant un plaidoyer et avec les autres juges de la Cour en français ou en anglais».
Dans le site du gouvernement canadien, il est écrit à la section sur les «qualifications et critères d’évaluation» que la capacité de soutenir une conversation dans les deux langues officielles est un «idéal» et que l’on prévoit que le candidat sera en mesure de lire et de comprendre le français. Malgré l’avancée majeure que représente l’exigence du bilinguisme auprès des futurs juges de la plus haute cour du pays, le vocabulaire utilisé dans cette partie est déroutant et bien loin des exigences auxquelles nous étions en droit de nous attendre.
Est-ce à dire que les prochains juges de la Cour suprême n’auront pas toutes les compétences nécessaires pour bien effectuer leur travail et respecter les deux communautés de langue officielle? Est-ce à dire que vous n’estimez pas essentiel qu’un juge nommé à la Cour suprême soit capable de s’exprimer à l’oral dans les deux langues officielles? Toutes les personnes désirant être nommées à la Cour suprême du Canada devraient, entre autres, être soumises à une évaluation de leurs capacités linguistiques tant à l’oral qu’à l’écrit afin que l’on puisse véritablement apprécier leurs compétences.
Devant ces nouvelles exigences, nous sommes en droit de nous demander si les juges nommés à la Cour suprême pourront vraiment comprendre un plaidoyer sans devoir recourir à la traduction ou à l’interprétation. Pourquoi avoir choisi de perpétuer un obstacle à l’accès égal à la justice dans les deux langues officielles au lieu de le corriger? Et de surcroît, de ne pas avoir choisi une solution durable comme, par exemple, une loi reconnaissant que la compétence linguistique dans les deux langues officielles est une compétence essentielle pour siéger à la Cour suprême du Canada dès la nomination?
La réforme que vous proposez représente certes un pas dans la bonne direction, mais elle mériterait d’être mieux conçue pour que finalement, nous puissions parler d’un accès égal à la justice et au plus haut tribunal du pays pour les justiciables de langue française.
À propos…
Linda Cardinal est professeure à l’École d’études politiques et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa. Spécialiste des rapports entre langue, droits et politique, ses travaux portent principalement sur l’analyse comparée des régimes linguistiques, les enjeux des minorités linguistiques, les politiques linguistiques et l’aménagement des langues (Canada, Europe et international).
Michel Doucet est avocat. Il est spécialiste des questions de droits linguistiques et professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Moncton.
Autrefois attachée politique pour un député fédéral, Chantal Carey est présentement inscrite à l’Université d’Ottawa. Lors de son séjour sur la colline du Parlement, elle a eu l’occasion de travailler sur de nombreux dossiers de langues officielles, dont la question de la compétence linguistique des juges de la Cour suprême. Elle est originaire de Tracadie au Nouveau-Brunswick.