Harbec, Hélène. Humaine vagabonde, Ottawa, Éditions David, 2016, 123 p.
Comment rendre poétique une charogne? À l’exploit de Baudelaire se rajoute maintenant celui d’Hélène Harbec! Humaine vagabonde réussit à concilier beauté et corps d’oiseaux morts sur le chemin. Auteure d’origine québécoise, Harbec habite à Moncton depuis plusieurs années. Elle a remporté plusieurs prix dont le prix littéraire Antonine Maillet-Acadie Vie pour L’enroulement des iris (2013) et pour Va (2002), le prix Éloize – artiste de l’année en littérature et le prix Champlain pour Chambre 503 (2009). Humaine vagabonde, publié aux Éditions David, est son recueil de poésie le plus récent.
Dès les premières pages, le recueil joue avec les conventions littéraires. Oubliez sous-titres, dédicaces ou préface, il n’y a en a pas. L’auteure nous précipite sans prélude dans les pensées teintées de mélancolie de l’« humaine vagabonde ». Le monologue intérieur du personnage principal conserve le même format tout au long du recueil, soit un paragraphe en prose, suivi de quelques vers. Cette division du texte permet la réflexion sans toutefois négliger le côté narratif des poèmes. De cette façon le recueil demeure à la portée de plusieurs publics, de l’initié au curieux. La fluidité de la prose fait de ce recueil une excellente porte d’entrée dans le monde de la poésie.
Comme le titre l’annonce, la protagoniste va et vient entre différents espaces. Parmi ceux-ci se trouvent cafés, cimetière et rues de la ville, ses lieux de prédilection. Ceux qui connaissent Moncton découvriront avec joie des noms de rue et des espaces familiers. Il est facile de s’imaginer parcourant les lieux décrits, accompagné des réflexions de la narratrice. Pour ceux qui n’ont pas encore eu la chance de parcourir la ville de Moncton, les textes arrivent à bien retranscrire l’essence de la ville en rendant compte à la fois de son urbanisme ainsi que de son petit côté campagne. Bien que l’espace décrit semble plutôt réaliste, l’écriture d’Hélène Harbec apporte une dimension gothique à la ville. La présence d’oiseaux morts et du cimetière permet d’englober le texte d’une aura fantastique qui ajoute à sa complexité. Le lecteur est rapidement happé par cette atmosphère qui arrive à combiner un sentiment de tranquillité à une impression de précarité.
Cette précarité s’immisce d’abord avec les références à la mort, mais surtout avec la présence de l’hiver. Cet imaginaire de l’hiver laisse place à des figures intrigantes dont la présentation des traces dans la neige qui arrivent à souligner à la fois le vide et la présence : « Personne n’a encore posé le pied autour de la chambre. Aucune empreinte. Si ce n’est celles d’oiseaux solitaires après la poudrerie » (p. 93).
L’errance de la narratrice semble être tirée de son désir de rejoindre l’autre, d’établir une connexion en dehors de son corps. Pourtant, le lecteur a l’impression que malgré ses déambulations, l’humaine vagabonde demeure prisonnière de son propre corps et des lieux qu’elle habite. La narratrice se trouve donc à être envahie par sa solitude : « Sur le mur, vidéo en marche. Alignements de profils, moutons de plâtre, têtes égyptiennes de différentes couleurs. Toi, tu cours, tu cours. Et je voudrais toucher tes cheveux. Je tombe en bas de la nuit. Tapis fatigué vieux rose » (p. 55).
La quatrième de couverture affirme que le but de la narratrice est d’« habiter son corps et marcher pour s’imprégner de vie, franchir les murs, la distance, aller vers l’autre et goûter à quelques rares instants de durée. » Pourtant, elle n’arrive pas à faire le lien avec l’altérité et ce but tant désiré n’est pas atteint. De là vient le seul point faible du recueil : la chute se fait attendre. Le recueil finit tel qu’il a commencé, sans vraiment présenter un développement évident du personnage principal. Ainsi, je suis restée perplexe par rapport à cette fin, qui manque de personnalité comparativement au reste du recueil.
Malgré cela, le recueil dresse un portrait juste et crédible d’un personnage envahi par sa solitude, tentant constamment de rejoindre l’autre, mais n’y parvenant pas, malgré le fait qu’elle parcoure des lieux publics. Le livre trouve des échos dans des préoccupations actuelles : sommes-nous de plus en plus isolés en dépit de cette ère mondialisée?
À propos…
Geneviève Bouchard est étudiante à la maîtrise profil création littéraire à l’Université d’Ottawa. Elle s’intéresse principalement à l’écriture du corps. Possédant une formation en danse et en théâtre, la poésie-performance et l’interdisciplinarité de la poésie font aussi partie de ses intérêts.