Ce texte a été composé au cours d’un échange par courriel auquel les auteurs se sont livrés suite à leur séjour en Louisiane au mois d’octobre. Le format du débat-dialogue est inspiré de la chronique « The Conversation » de David Brooks et Gail Collins du New York Times.
Clint : L’édition 2015 du Grand Réveil Acadien (GRA), qui a proposé une kyrielle d’activités et de manifestations culturelles de toutes sortes, s’est déroulée du 3 au 12 octobre à travers le sud de la Louisiane, en commençant par les cérémonies d’ouverture au Lac-Charles, dans l’extrême sud-ouest de l’État. Cette fois-ci, il s’agissait de marquer le 250e anniversaire de l’arrivée du clan Broussard en Louisiane, menée par l’intrépide Beausoleil, et l’établissement de ce groupe d’exilés acadiens dans le district des Attakapas en 1765. Cet anniversaire a été souligné en grande pompe. En fait, Nathan, toi tu as participé au premier GRA de 2011, qui n’avait pas forcément cette focalisation historique. Peux-tu nous rappeler pourquoi le Grand Réveil Acadien a été lancé au départ? Est-ce qu’il devait ressembler aux Congrès mondiaux acadiens? Quels étaient les visées et objectifs de cet événement tout louisianais?
Nathan : Oui, c’est intéressant de constater l’évolution de l’événement en comparant le GRA de 2011 et celui de 2015. Je pense que nous pouvons y voir beaucoup de similitudes; dans les deux cas les activités se sont déroulées sur une dizaine de jours à plusieurs endroits en Louisiane et tous les deux ont attiré un grand public composé, entre autres, de Louisianais, d’Acadiens du Canada Maritime et de la Nouvelle-Angleterre, et de Français. Ce que j’ai entendu de plusieurs personnes impliquées dans l’organisation du GRA en 2011, y compris mon épouse Jessica, c’est que le GRA est né en quelque sorte des collaborations avec des acteurs acadiens et de l’élan créé lorsque la Louisiane postulait pour accueillir le Congrès mondial acadien en 2014 (ce qui n’a pas marché). Je pense que beaucoup de gens en Louisiane se sont rendu compte des bénéfices de ces collaborations et de la mise en valeur de la culture acadienne. Même si ce n’était pas exactement l’objectif au départ, c’est vrai que le GRA offre aux Acadiens de tous les coins du monde une occasion de se réunir entre les Congrès mondiaux acadiens.

Architectes du Grand Réveil Acadien attroupés autour d’une chaudière de jambalaya : Brenda Trahan, Redell Comeaux Miller, Ray Trahan, Randal Menard et Ron Guidry (Crédit photo : GRA).
Clint : Cette fois-ci, toi et moi, nous avons présenté ensemble une séance plutôt animée dans le cadre des conférences de la journée « 250 ans: Toujours là et on quittera pas! » au Cajundome de Lafayette, le 9 octobre. On pourra revenir sur ce sujet. À quoi d’autre as-tu pu assister?
Nathan : J’ai enfin eu l’occasion de voir la pièce de théâtre Cajun Face mise en scène par Sarah Brown et Lian Cheramie. La pièce m’a vraiment plu car elle démontre des aspects quasi intangibles de ce que c’est « être Cajun » aujourd’hui de façon comique et poignante. J’ai aussi assisté à un panel monté par plusieurs personnes qui ont contribué au dictionnaire du français louisianais paru en 2010. Deux autres événements qui m’ont vraiment frappé étaient la cérémonie d’ouverture et le tintamarre, surtout en comparaison avec le GRA de 2011. Et toi, tu as assisté à plusieurs événements et activités du GRA cette année, n’est-ce pas?

Kirby Jambon présente Warren Perrin au Cajundome dans le cadre de la journée «250 ans : Toujours là et on quittera pas!» (Crédit photo : Marc Chauveau).
Clint : Cajun Face, on ne m’en a dit des éloges! Je regrette de l’avoir manqué.
De mon côté, ma participation au GRA s’est insérée dans un séjour de deux semaines en Louisiane; j’avais également des responsabilités avec l’Université Sainte-Anne qui souhaite renforcer ses partenariats là-bas. Donc, j’ai pu assister à plusieurs activités, dont la cérémonie d’ouverture au Lac-Charles; une soirée d’hommage au compositeur et accordéoniste cadien Iry Lejeune (1928-1955) à la Galerie Acadie à Scott, ce qui fut un moment très marquant; et le « Rassemblement » du groupe Facebook Cajun French Virtual Table Française à Rayne, le 10 octobre. Comme tu le sais puisque tu en fais partie, cette communauté virtuelle compte près de 12 000 membres et il y a eu environ une centaine de personnes, venues de toutes parts, pour cette première réunion « matérielle ».
Quoi d’autre? Tu as vu que j’ai partagé la tâche de maître de cérémonies des activités plénières du 9 octobre avec notre imbattable poète louisianais, Kirby Jambon. On m’a demandé cela un peu à la dernière minute, mais c’était un plaisir de le faire. Et puis la messe française du second dimanche, suivi du Tintamarre – coutume étrangère à la Louisiane malgré certaines ressemblances avec le Mardi gras urbain.
Au niveau des activités, la fin de semaine du 9-11 octobre a présenté tout un défi dans la mesure où le point culminant du GRA a coïncidé avec les Festivals acadiens et créoles, toujours très courus. Autant j’applaudis l’organisation menée par la fondation Louisiane-Acadie, autant je me demande si ce serait à refaire comme ça. As-tu un avis là-dessus?
Nathan : Sincèrement, je trouve que c’est excellent de profiter des Festivals acadiens et créoles qui attirent déjà beaucoup de monde. La plupart des activités liées au GRA se terminaient juste au moment où le festival commençait, donc j’y vois une relation parfaitement complémentaire. De plus, suite au GRA, je pense que le Festival sert à donner au public un aperçu plus large et réaliste de la diversité du fait français et créole en Louisiane, en plus de valoriser l’identité acadienne spécifiquement.
Je suis content que tu aies mentionné les cérémonies plénières. (Tu as fait un très beau travail comme « co-maître » de cérémonies, d’ailleurs!). C’est là où j’ai vu une vraie évolution depuis le GRA de 2011.

Ça cause et ça mange au «Rassemblement» du groupe Facebook Cajun French Virtual Table Française (Crédit photo : Marc Chauveau).
Clint : Comment ça? En ce qui concerne la langue ou au niveau du contenu?
Nathan : J’ai assisté à la cérémonie d’ouverture en 2011 qui a eu lieu à Garnier Hall, bâtiment très historique sur l’Avenue Saint-Charles à la Nouvelle-Orléans. Comme celle de 2015, la cérémonie était bien organisée en principe et on ne manquait surtout pas d’une présence « officielle » (le Consul Général, plusieurs fonctionnaires de la ville de la Nouvelle-Orléans, Bill Arceneaux le président du CODOFIL, entre autres). En revanche, on sentait vraiment un grand décalage entre les acteurs francophones et les fonctionnaires qui étaient là pour lire un discours sans savoir pourquoi. Je me rappelle d’une personne qui ne connaissait tout simplement pas « l’Acadie », ni comment la prononcer… il y avait des moments vraiment maladroits.
Clint : Ça devait être gênant, en effet. Moi j’avais eu peu d’échos du premier Grand Réveil. Mais c’est surtout parce que j’étais un peu éloigné des « affaires louisianaises » à ce moment-là.
Nathan : Tout à fait le contraire, la cérémonie d’ouverture du GRA 2015 s’est déroulée à merveille, majoritairement en français ou bilingue et on sentait vraiment une cohésion entre les personnes sur scène et le public, une très bonne énergie. En outre, la diversité des francophonies louisianaise et acadienne était mise en relief par la musique, les intervenants et les activités.
J’ai constaté une évolution similaire avec le Tintamarre… quand le Tintamarre s’est déroulé au Parc Girard, j’avais l’impression que tout le monde aux Festivals acadiens et créoles se posait la même question: c’est quoi tout ce bruit et pourquoi ces gens viennent nous déranger pendant le festival? Comme tu as dit, la pratique n’était pas suffisamment connue pour que les gens l’apprécient. Alors que cette fois-ci le « TintaMardiGras » semble avoir été un grand succès et je pense que c’est justement parce que cela représentait plutôt un bon compromis entre deux façons très distinctes de s’exprimer en tant que peuple acadien et cadien.
Clint : Tant mieux – tu me rassures. En fait, là où j’ai constaté une diminution du public, c’était lors de la clôture chez Warehouse 535; il y avait un magnifique spectacle, couronné par une prestation de Sweet Crude, et nous étions peu nombreux pour l’apprécier. Mais dans l’ensemble, tu dois avoir raison, surtout si l’on tient compte du grand nombre d’activités associées au GRA.
En fait, j’aimerais revenir sur la thématique de notre séance au Cajundome. Un évènement comme le Grand Réveil Acadien nous incite forcément à nous interroger sur l’avenir bien précaire de la francophonie louisianaise. Or, ce que j’ai observé lorsque des enfants ont participé, et des classes d’immersion, notamment, c’était que les cultures et couleurs – disons-le! – représentées étaient d’une grande diversité. C’est très positif et très important.
Nathan : Oui, tu as tout à fait raison, Clint. La diversité était remarquable. Mais, que penses-tu du nom de l’événement, plus précisément, que penses-tu du nom vis-à-vis l’événement même? Pendant notre séance, on a évoqué la nécessité de promouvoir une francophonie inclusive en Louisiane car, comme tu viens de dire, la situation est précaire et à un point critique. Je ne dis pas que le GRA soit « exclusif » en dépit des autres identités francophones ou créolophones, tant s’en faut. Bien au contraire, nous avons vu la diversité dans les faits. Mais cette diversité est-elle reflétée dans le nom de l’événement? Dans la programmation? Sur le site web? Ou bien, sommes-nous toujours obligés d’insister sur l’inclusion dans de telles manifestation culturelles?
Clint : Ce sont d’excellentes questions.
Nathan : De mon côté, je pense qu’on ne peut pas ignorer ce qui a vraiment déclenché le GRA: toutes les préparations effectuées pour accueillir le CMA en 2014. C’est important de le noter parce que c’est grâce à de nombreux acteurs acadiens que ce mouvement a pu se réaliser. Le succès du GRA 2011 a suscité une volonté plus large d’en faire un autre en 2015 et il semble que cela va continuer tous les quatre ou cinq ans. La collaboration entre les Louisianais.e.s et les Acadiennes et les Acadiens, surtout au Canada Maritime, a toujours été essentielle dans le développement du GRA. Oui, je pense qu’il faut toujours encourager la diversité, mais il faut aussi reconnaître que le GRA est née d’une fierté acadienne et de la volonté de renforcer les liens entre la Louisiane et l’Acadie de partout. Quel est ton avis?
Clint : Mon avis, c’est que tout ce qui fortifie la francophonie louisianaise, c’est une bonne chose! (Bon, il ne faut pas s’imaginer des scénarios de science-fiction d’éradication atomique des Anglophones – tu me comprends.) À ce point de vue, je ne peux que souhaiter longue vie au Grand Réveil Acadien. Ce que j’appelle de tous mes vœux, c’est que les jeunes de diverses origines qui y prennent part – qui y ont pris part – ne se sentent pas exclus du « pourquoi » de la chose: qu’ils comprennent qu’ils font partie de la francophonie louisianaise qui ne se limite pas à son héritage acadien, loin de là. Il me semble que cela peut se faire tout en honorant l’apport des Acadiens et en développant les liens avec l’Acadie des Maritimes.
Je soulignerai quelque chose qui m’a frappé – et qui me paraît à la fois curieux et très prometteur. Tu te rappelles la jeune et très talentueuse Jody Adeyemo? Elle a douze ans et ses parents viennent du Nigeria. (J’ai eu la chance de causer quelques minutes avec son père aux Festivals.) Elle a chanté cette magnifique version de « Réveil » aux paroles remaniées par Brenda Mounier. As-tu remarqué que ce nouveau texte ne fait pas mention explicite de l’Acadie? En voici une partie:
Ici! Ici!
Ici en Lou-zee-anne
Louisiane! Louisiane!
On est fier de notre langue
Réveille! Réveille!
Ici on parle toujours français!
Et y a longtemps on vous espérait
Pour nous aider à fêter
J’ai eu des frissons lorsque Jody a entonné la première strophe! C’est le « ici » qui est à l’honneur. Et ce « ici », avec tout ce qu’il comporte de complexe et de pas-facile-à-expliquer, c’est très important. En revanche, Brenda et Jody faisaient allusion à l’arrivée des Acadiens dans les derniers vers: « Deux cents, deux cents / Deux cent cinquante années / On est, on est, / On est toujours là ET…on quittera pas. »
Rendu là, j’avais les larmes aux yeux. Sans blague!
Tout cela pour dire que, quelque part, cette version de « Réveil » exprime ce qui me paraît de première urgence: un grand réveil louisianais dont un réveil acadien ferait partie.

Cérémonies de clôture avec, entre autres, le président de la Société nationale de l’Acadie, René Cormier (Crédit photo : Marc Chauveau) .
Nathan : Effectivement, c’était un moment très frappant. Jody Adeyemo l’a chantée une seconde fois aux Festivals Acadiens et Créoles le lendemain.
En somme, je trouve que le GRA 2015 était un grand succès, un événement rassembleur avec une grande valeur pour la Louisiane francophone. Il semble que l’un des objectifs principaux du GRA est de renforcer et mettre en valeur les liens toutes les communautés acadiennes et francophones de l’Amérique du Nord. Sachant qu’il est très difficile pour bien des Louisianais de se rendre au nord pour le Congrès mondial acadien, le GRA représente une excellente façon pour ceux qui ne peuvent pas voyager de faire connaître et valoriser une culture qui nous réunit tous. J’espère sincèrement que nous verrons encore un GRA dans quatre ou cinq ans!
Clint: Bien dit – et c’est ce que je veux voir moi aussi!
À propos…
Nathan Rabalais est originaire d’Eunice et Lafayette en Louisiane. Ayant une passion pour la musique et la poésie, Nathan est aussi professeur d’Études françaises et francophones au College of William and Mary à Williamsburg, Virginie où il enseigne des cours qui portent sur les littératures et cultures de l’Amérique du Nord francophone.
Natif du nord de la Louisiane, Clint Bruce est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales (CRÉAcT) à l’Université Sainte-Anne, où il est également directeur intérimaire du Centre acadien et professeur au Département des sciences humaines. Tout en chérissant son splendide coin d’Acadie, il retourne en Louisiane le plus souvent possible.
Vive l’Acadie elle est toujour pertinent ,méme demantelé
To me Acadia will always exist as my ancestral homeland ,within it’s original borders en plus. (Those borders were fixed by the master himself, founder of Acadia and Canada, Samuel de Champlain). Those borders encompass the Migamagi homeland from Cap Desrosiers near Gaspe to the Kennebeck river basin in northern Maine, peopled by several other tribes allied for common defense. Being a highly disputed region it had evolved a type of people who seemed to always be in some kind of danger of disappearing completely. Constant attacks through many generations hardened their character while evolution took care of the rest. That evolutionary process began early because of the remarkably close relations inspired by Champlain. The first forty years of the existence of Acadia saw very few European women, even the governors of Acadia married Mic-mac or Maliseet women. These relations produced the first Acadians. Very few people are aware that during the evolution of the Acadian people, the territory changed hands thirteen times, between the French, English, Danes, and Scotts. and of course the New-Englanders had their try too. Although later arrivals were majority French and included a total of fifty eight women. Their ancestors number a little over five hundred Europeans and an unknown number of Native peoples. All Acadian families can be traced through genealogy. It disturbs many people when Acadians are described as descendants of the survivors of genocide, but that is in fact exactly what they are. To change that definition would erase that crime or at least render it invisible. When Acadians forget they become invisible, C’est pour-quoi on lache pas la patate.