Les improbabilités d’un jazz qui nous défonce à Moncton – Christian Brun del Re

Les Improbables. La comtesse de Santiago [CD], Barachois (N.-B.), Les Improbables, 2015.

D’emblée, la couverture du disque – une œuvre de Georges Goguen – attire l’œil; comme première impression, c’est réussi! La comtesse de Santiago a beau être le premier album du groupe jazz de Moncton Les Improbables, on ne peut cependant pas le qualifier de débutant: collectivement, Marc « Chops » Arsenault (basse), Brian Coughlan (saxophone), Glen Deveau (vibraphone et percussions), Charles Goguen (batterie), Éric Pitre (guitare) et Denis Surette (guitare), ainsi que le pianiste invité Joël Robichaud, cumulent probablement deux ou trois siècles d’expérience musicale…

Graphisme : Mark Young. D’après une photo de Jimena Vergara.

Graphisme : Mark Young. D’après une photo de Jimena Vergara.

Sans connaître la scène de jazz au Nouveau-Brunswick, j’ai l’impression que c’est un exploit d’avoir de tels albums home grown pour enrichir le paysage musical de Moncton. Je peux facilement imaginer un jeune adolescent, blasé de la musique à l’émotion juvénile de ses copains, trouver sa paroisse musicale chez Les Improbables. Les adultes aussi, d’ailleurs.

Cartes sur table: mes goûts musicaux vont de John Coltrane à Tigran Hamasyan, en passant par Shakira, The White Stripes, Stromae, Flying Lotus, Thundercat, Colin Stetson et Patrick Watson. Ce qui m’accroche le plus, c’est lorsqu’un artiste devient « anarchiste ». Dans cette perspective, La comtesse de Santiago reste indiscutablement un album de qualité et très solide, mais le groupe Les Improbables n’essaie pas de changer le monde (la pièce « Unknown Origins » est cependant une exception). En écoutant l’album, j’ai eu à quelques reprises l’impression d’un copier-coller d’idées. Parfois avec succès, d’autres fois de façon un peu redondante.

La piste « Day of Labour » est un exemple d’une de ces petites idées copiées-collées de façon réussie. Brian Coughlan (le principal compositeur de l’album) nous plonge immédiatement dans un funk avec un gros riff sax sombre qui n’est pas sans rappeler le grand Pepper Adams dans « Moanin’ » de Charlus Mingus (sur l’album Blues & Roots, 1960).  Si c’est un emprunt, je l’appuie entièrement, car il se transforme et devient rapidement authentique. Ce funky samba blues prend même des allures plus dissonantes durant la répétition du thème, avec d’agiles répliques de guitare. Les percussions de Glen Deveau assurent le mariage réussi d’une musique à la fois intellectuelle et sociale. Cet équilibre, qui se retrouve sur cet album en abondance, est pour moi ce qui fait sa qualité.

À l’opposé, je me serais passé de la piste « Étrange sensation ». Pourquoi écouterait-on une sorte de knock-off kitsch en 12/8 alors que l’on peut à tout moment écouter sur Internet le grand classique de Nina Simone, « Feeling Good »? Cependant, il faut reconnaître que ce morceau, en diversifiant le style de l’album, équilibre l’écoute de façon satisfaisante. Je suis certain que, pour plusieurs, il s’agit d’une pièce bonbon, indispensable à la fois live et sur disque.

Outre ces deux pôles dominants de l’album, d’autres pistes individuelles m’ont rappelé d’agréables expériences d’écoute. J’ai particulièrement apprécié « Le Zouinks bleu », l’unique composition de Deveau, qui m’a ramené au spectacle du vibraphoniste Mike Dillon, avec Stanton Moore comme invité, auquel j’ai assisté au Gasa Gasa de la Nouvelle-Orléans en janvier 2015. Aussi, le thème constitué de deux mesures 3/4, plutôt qu’une phrase en sept temps, m’a fait penser à l’interlude rêveur et chaotique de « Zombie Woof » de Frank Zappa. Yum!

Pour sa part, « Railway » devrait satisfaire votre envie de « Black Magic Woman » de Santana, alors que « Wonder If » vous entraînera dans son funky jazz reggae vraiment relaxe. Les pistes « Just Around The Corner » et « Who Nose? » ont peut-être la fonction simple de nous faire danser ou de nous accompagner dans nos tâches ménagères; il serait aussi impensable de ne pas danser pour la durée de « Latino ». Enfin, « Unknown Origin » est une composition musicale avec une force narrative. Le tourbillon d’émotions est complexe sans être trop violent; il vous emporte dans les airs et vous redépose sur terre en toute sécurité. Ça vaut la peine : vous verrez non seulement que vous aurez survécu au chaos, mais que vous aurez aimé ça ! Je ne vous dirai pas de vous empêcher de danser sur cette dernière piste aussi si cela vous chante, mais cette fois, je recommande plutôt de simplement fermer les yeux.

Tout au long de l’album, le guitariste Denis Surette m’a donné exactement ce dont j’avais envie: de la dissonance. Ses solos m’ont particulièrement touché, notamment lorsqu’il accompagne le saxophone dans « Le Zouinks bleu ».

En somme, Les Improbables nous livrent, avec La comtesse de Santiago, un album de jazz qui est parfois très facile d’accès (comme dans les pistes « Railway », « Latino », « Étrange Sensation ») et parfois plus aventureux (« Le Zouinks bleu » et « Unknown Origin »), avec du gros groove… puis des musiciens qui défoncent!

Avec la collaboration de Pénélope Cormier.

À propos…

Christian Brun del Re

Christian Brun del Re est un Franco-Ontarien originaire d’Ottawa. Après avoir terminé ses études en batterie jazz à l’Université Concordia, il s’est découvert une passion pour la culture inuite. Cet hiver, il ira pour la deuxième fois passer quelques mois au Nunavik pour explorer l’expression de soi à travers la musique, la danse et la poésie avec de jeunes Inuits. En attendant, il est en train d’apprendre l’inuktitut.

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