Tréteau(x). Marc-André Charron, Mathieu Chouinard et Annick Landry [texte et mise en scène]. Moncton, Théâtre populaire d’Acadie et Satellite Théâtre, 2015. [Edmundston, 24 mars 2015].
Par définition, un tréteau est un support. Pour une table, un toit ou plein d’autres affaires qui nécessitent du support. Un tréteau, c’est deux pattes disposées en triangle pour soutenir une barre horizontale. Quand on parle de tréteau, dans le théâtre, on parle d’une estrade. La pièce ne parle pas de cette estrade, mais s’y amuse.
La pièce s’intitule Tréteau(x), mais ça n’a aucun rapport avec l’histoire. À vrai dire, la pièce pourrait se soutenir d’elle-même, sans ces bouts de bois. Le spectacle ne serait pas le même, par contre.
Cette création collective de Marc-André Charron, Mathieu Chouinard et Annick Landry, coproduite par le Théâtre populaire d’Acadie et Satellite théâtre, parle de vengeance et de route interminable pour la trouver. C’est probablement la seule pièce que j’ai vue à avoir un responsable pour la musique (Jean-François Mallet) sans entendre une seule trace d’instrument de tout le spectacle. La trame sonore, c’est les acteurs. Ils sont à la fois personnages, arbres, vents, klaxons, motocyclette et fusils.
Les acteurs ont de l’expérience et ça se voit en ta… Pas le choix ! Avec un projet comme celui-là, ils ne pouvaient pas se permettre les demi-mesures. Aucun costume : les vêtements sont gris… très gris. Le genre de suits que ma mère portait pour faire le ménage de fin de semaine. Le genre de linge que tu care pas de graisser. Aucune déco, aucune musique et un step pas trop grand où les artistes devaient acter sans jamais en tomber. Une plateforme où toute la pièce doit se passer.
Ah oui ! Avant de commencer la pièce, les acteurs ont parlé au public. Ils ont expliqué qu’une fois monté sur la plateforme de bois, on ne peut en descendre que lorsqu’on ne participe plus à la pièce. Tout le long de la pièce, j’entendais des gens derrière moi dire : « ishh…y a passé proche de se ramasser la face en bas là. Quessé qui arrive si quequ’un tombe quand c’est pas le temps ? » On n’a pas eu de réponse à cette question. Personne n’est tombé. Au mauvais moment, du moins.
Avant de débuter, les acteurs ont aussi demandé aux gens de ne pas prendre de photo et d’éteindre leurs cellulaires. Quand tu te le fais demander directement par les acteurs, tu le fermes vite ton cellulaire. C’est avec patience et sourire (presque d’un ton maternel… c’était l’fun de voir ça) qu’ils ont attendu que la cacophonie des cellulaires qui meurent s’arrête. Ils sont ensuite montés sur la scène, qui était sur scène… ça sonne weird, mais c’est ça qui est ça.
Nous avons rencontré Roger (que joue Charron), un GRC amoureux de sa jument qu’il finira par dévorer dans un chalet au milieu de nulle part. Grâce à Charron, on découvre que ça ne prend pas plus qu’un corps qui sait bouger et une bouche de travers pour donner vie à une ride en moto.
Lucy, c’est le désir de vengeance incarné par Landry – la p’tite fille du boute, pour les intimes. L’actrice vient d’Edmundston et sa tante ou sa cousine, assise derrière moi, était pas mal fière. « Non mais, est-tu pas assez bonne. Check ça toi. Non mais, hein! » Vraiment fière, la madame. Le personnage de Lucy, c’est ce qui fait que la pièce se tient. Sans sa présence, les liens auraient été très difficiles à tisser. Lucy, c’est le mortier de Tréteau(x), un poumon en moins.
Chouinard, lui, c’est le Doc. L’homme qui va se ressourcer où tout a commencé. Ou qui va simplement s’y cacher pour attendre la mort. Un médecin qu’on ne veut pas vraiment croiser dans un cabinet. Chouinard devient aussi une sorte de narrateur. Un corbeau aux grandes manières et au vocabulaire plus poétique que celui des protagonistes. C’est à lui que revient le rôle d’éclaircir les flous possibles dans nos têtes. Histoire de nous enlever nos grimaces de « De quessé ? Comprends p’us, moi, là ! » Il le fait très bien.
C’est ce quatrième personnage (le narrateur) qui a le plus suscité mon intérêt. Sa gracieuseté et son délectable goût pour la poésie sombre. Un trait très efficace quand on s’arrête à la symbolique du corbeau. Un ange noir qui rôde en suivant la faucheuse. Qui sera le premier à tomber ? C’est ce qu’il apporte. On sent que la mort arrivera inévitablement. Mais pour qui ?
Tréteau(x), c’est un spectacle où l’humour, la mort et la vengeance s’harmonisent très bien. Surtout quand les acteurs partent sur la bonne note. Parce qu’ils font aussi des harmonies, les snoros. Tréteau(x), c’est se permettre de voir un corbeau dans un avant-bras ou de voir de la neige sous des pieds nus. Tréteau(x), c’est accepter que, quelquefois, la mort c’est tomber d’une plateforme.
Tréteau(x) nous montre que la vengeance est un plat qui goute la marde, surtout de loin. Sauf si on est un ours.
L’assistance et la régie ont été confiées à Joëlle Tougas. La musique est de Jean-François Mallet ; les éclairages, de Marc Paulin ; et le décor, de Bernard Dugas. – J’avais dit pas de décor ni de musique, mais il y en avait un peu, avec subtilité. Fâchez-vous pas là !
À propos…
Sébastien Bérubé est un artiste multidysfonctionnel. Auteur-compositeur-interprète, illustrateur et écrivain, il aime tout ce qui touche à la création. Surtout le papier de construction. Titulaire d’un baccalauréat en littérature française, philosophie et histoire, il fait comme tout le monde qui a le même diplôme… il est travailleur autonome.
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