Dix ans après son décès, la Ville de Moncton étudie la possibilité de rendre hommage à l’un de ses plus grands ambassadeurs. Si le projet qui a été proposé récemment aboutit, une partie de la ruelle Robinson, en plein cœur du centre-ville, portera désormais le nom de Gérald Leblanc. Plusieurs ont applaudit l’initiative, tandis que d’autres, pour une série de raisons, ont questionné l’idée de changer le nom de la fameuse ruelle. Sans vouloir remettre en question la possibilité d’immortaliser le nom du poète acadien en l’associant à un espace public, ils préféreraient que l’on choisisse une autre ruelle du centre-ville de Moncton, sinon, que l’on donne son nom à un parc ou à un édifice. Certains, dont le conseiller municipal Pierre Boudreau, voudraient même voir l’érection d’une statue. Selon les informations disponibles à la suite de la dernière réunion du conseil municipal, toutes ces options pourraient être étudiées.
La population acadienne ne peut que se réjouir de la nouvelle. D’abord, l’initiative viendra franciser le paysage linguistique anglo-dominant de la ville. Rappelons qu’à l’extérieur du campus universitaire, très peu d’Acadien(ne)s ont prêté leur nom à des espaces publics. Il va sans dire que la toponymie de Moncton ne reflète aucunement sa réalité linguistique et culturelle (les Acadien(ne)s faisant plus de 35% de la population) – une situation reconnue depuis belle lurette (même la Politique d’appellation pour les rues, les sentiers et les installations municipales y fait référence), mais que la municipalité prend du temps à corriger. Ensuite, l’apport de Gérald Leblanc est immense et le meilleur moyen de célébrer la vie d’une telle personne serait en l’associant à un lieu populaire. Toutefois, nous sommes en droit de nous poser la question à savoir pourquoi la population de Moncton a attendu aussi longtemps pour le faire. Même Bouctouche a cru bon renommer sa bibliothèque municipale pour rendre hommage à celui qui y a passé son enfance. En août 2005, à peine quelques mois après son décès, on a fièrement apposé l’inscription Bibliothèque publique Gérald-Leblanc sur l’édifice qui l’abrite.
Moncton et l’œuvre de Gérald Leblanc
Moncton occupe une grande place dans l’œuvre de Gérald Leblanc. La plupart de ses écrits font un clin d’œil à cette ville qu’il a habité de 1970 jusqu’à son décès. Il suffit de faire la lecture de quelques-uns de ses poèmes pour s’imprégner de Moncton : de son quotidien, de son rythme, de ses gens, de ses expressions, de ses paysages, de ses lieux de rassemblement, de ses institutions et de son acadianité. Il en va de même pour ses chansons interprétées par le groupe 1755 et par Marie-Jo Thério notamment (pensons à Rue Dufferin, Le monde qu’on connait, Vie de fou et Les matins habitables). Même son unique roman, Moncton mantra, nous plonge dans un récit de vie (à la Jack Kerouac diront certains) qui nous peint le portrait de ce que ressemblait la vie à Moncton dans les années 70. Si certains passages relèvent plus de la fiction que de la biographie, les lieux évoqués sont bien réels et demeurent vivants dans l’imaginaire des Acadien(ne)s.
Pour Gérald Leblanc, Moncton évoque l’Acadie moderne et urbaine. Il imagine la ville comme un pôle de création en raison des poètes, des écrivains, des chansonniers et des artistes qui y évoluent et qui s’y côtoient (sur le sujet, Raoul Boudreau, professeur à la retraite de l’Université de Moncton et instigateur du projet de la ruelle Robinson, parle du mythe de la « capitale culturelle de l’Acadie »). D’ailleurs, il aide à concrétiser cette réalité en participant à la création d’une institution acadienne phare en 1980, soit les Éditions Perce-Neige. Cette maison d’édition est encore vivante et permet toujours aux Acadien(ne)s d’occuper une place dans le monde de la littérature, et ce, sans devoir nécessairement s’exiler au Québec. Pour ces raisons, bien que sommaires, il est nécessaire que l’Acadie se souvienne de sa personne, de son œuvre et de son travail. Même si Gérald Leblanc nous a quittés il déjà quelques années, son esprit habite toujours Moncton et l’habitera encore longtemps si les efforts de la municipalité se concrétisent.
Quelques remarques sur la ruelle Robinson
La ruelle Robinson occupe une grande place dans l’imaginaire des gens de Moncton. Contrairement à ce qu’affirment certains commerçants, on associe moins la ruelle à la personne qui lui prête son nom (Clifford William Robinson qui est, tour à tour, avocat, homme d’affaire, conseiller municipal, député provincial, premier ministre et sénateur ayant vécu entre 1866 et 1944) qu’à une image quasi romantique du lieu qui n’a pourtant rien à voir avec la ruelle d’aujourd’hui. Avant d’être un ramassis de boîtes de nuits, la ruelle possédait plusieurs cafés et restaurants (pensons au Café Robinson, au Joe Moka, à la Crêperie Robinson, Au deuxième et au French Onion). Sur les quelques terrasses, qui donnaient un charme à la ruelle, les gens se donnaient rendez-vous pour discuter, pour rêver, pour créer et pour réinventer le monde. L’idée de nommer la ruelle Robinson en honneur d’un grand de la poésie me réjouit même si je suis d’avis que l’état actuel du lieu ne rend pas justice à la personne. La ruelle n’est plus un espace de création comme elle l’était à l’époque où Gérald Leblanc la fréquentait. Il me semble que si le projet est retenu, il devrait être accompagné d’un plan de revitalisation.
Cependant, si le projet actuel ne se concrétise pas, ce qui importe vraiment c’est que la Ville de Moncton garde le nom de Gérald Leblanc vivant et bien en vue pour encore plusieurs générations. Dans cet esprit, donner son nom à une rue peu fréquentée serait contreproductif. Sans vouloir suggérer d’autres avenues, rappelons que la carte du Coude préparée par Mark Young en 2013 fait référence au Trajet Gérald Leblanc. Ce trajet traverse clairement les rues où il a habité : la rue Weldon, la rue Dufferin, la rue Archibald et la rue Lutz. Est-ce que cette carte pourrait inspirer les conseillers municipaux? Qu’en est-il de ces quatre rues? Et de la rue Saint-George? En cure de rajeunissement, elle est devenue un nouveau lieu de rencontre pour les Acadie(ne)s qui s’apparente à ce qu’était, jadis, la ruelle Robinson. Même la rue Highfield serait symbolique dans le sens qu’elle traverse plusieurs artères principales de la ville et que quelques organismes acadiens y ont pignon sur rue. Quoi qu’il en soit, espérons, une fois Gérald Leblanc honoré, que d’autres personnalités acadiennes suivront!
Autres références :
- Boudreau, Raoul et Jean Morency (dir.) (2007). Gérald Leblanc, multipiste, Revue de l’Université de Moncton, Moncton. Vol. 38, no. 1.
- Leblanc, Gérald (2012). Moncton Mantra, Éditions Prise de parole, Sudbury.
- Roy, Jonathan (2013). Moncton : Gérald Leblanc, a walk on the wild side, Les libraires (édition Internet), Québec.
- Thibodeau, Serge Patrice (2009). Anthologie de la poésie acadienne, Éditions Perce-Neige, Moncton.
À propos…
Luc Léger est originaire de Moncton. Il détient un baccalauréat en science politique et une mineure en études françaises de l’Université de Moncton ainsi qu’une maîtrise en science politique de l’Université Laval. Il est présentement doctorant à l’École d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa. Il est un des cinq membres fondateurs de la revue Astheure.
Comme je l’ai dit à plusieurs endroits, je crois que la Robinson serait un bon choix, mais je crois aussi qu’il y en a de meilleurs.
La Robinson d’aujourd’hui n’est plus la Robinson d’antan. Et le fait de nommer une rue sur laquelle il aimait aller en son honneur est un argument qui pourrait être soulevé pour pratiquement tous les gens du milieu des arts et de la culture de cette époque, encore plus particulièrement pour cette rue. Comme je l’ai dit avant, si l’on veut nommer quoi que ce soit à son honneur, ce serait bien que ce soit un endroit qui puisse être façonné à son image.
Ouan, changer un nom d’une vraie rue, c’est compliqué par mal. Précisons qu’il s’agit bien de la « cour Robinson » et non pas d’une ruelle, qui peut souvent comporter des adresses civiques. Possible que je me trompe, mais le « Robinson court » (tel qu’il est communément appelé, parce que cour Robinson, c’est juste pas sexy; Gérald partagerait sûrement cet avis) ne comporte aucune adresse civique en ce nom puisque la rue sur laquelle il se trouve continue d’être rue Robinson en amont et en aval du Robinson Court. Le changement de nom dans ce cas-ci n’implique même pas de changement d’adresse pour des entreprises et appartements qui s’y trouvent puisque la rue conserverait le nom Robinson. Ce n’est que la nomination de l’espace qui changerait vraiment. Alors que si on changeait le nom de la Lutz ou de la St-Georges par exemple, tous les gens qui résident ou qui opèrent une entreprise sur ces rues doivent changer leur adresse. Adresse postale sur tous les documents liés (assurances, enregistrements,etc etc) adresse d’affaires incluant adresse sur les cartes d’affaires, enseignes, matériel publicitaire, etc. etc. Bref, ca implique un montant de paperasse et de coûts qui se rapprochent du monumental, et là, tu peux être certain que TOUT LE MONDE, même les plus ardents fans de Leblanc, s’y opposeraient.
La « cour Robinson » avait été choisie pour son symbolisme. Et je suis bien d’accord pour la nécessité d’une cure de revitalisation de cet espace, mais même si c’était un beau geste, je crois qu’il serait futile. Anything que tu ferais dans le coin serait détruit par les gens qui fréquentent maintenant le coin et ceux qui vont y faire du boum boum.
Puis en réponse au commentaire de Martin S ci-haut, le façonnement de l’image d’un espace a peu à voir avec le nom qu’on donne à un lieu pour honorer quelqu’un. Par exemple, si Moncton (et l’université qui porte également son nom) était à l’image de la personne qu’elle honore, we’d be in serious trouble. Mais c’est également d’où ressort tout le symbolisme de nommer un lieu d’après quelqu’un: c’est un honneur qui transcende le temps et l’histoire bien au delà de la conscience actuelle des gens.