Rester et écrire : lectures du Festival à haute voix – Nicole Nolette

Du 17 au 19 avril 2015, le théâtre l’Escaouette fêtait les quinze ans (et la huitième édition) du Festival à haute voix, un évènement biennal dont l’objectif est de stimuler la dramaturgie acadienne et de la mettre à l’épreuve d’une première lecture sur la scène sans engager les frais et les risques d’une production théâtrale complète. Autour de cet anniversaire important, l’histoire de l’Escaouette était également à l’honneur grâce au lancement d’un ouvrage de David Lonergan remémorant les 35 premières années de l’institution théâtrale : Théâtre l’Escaouette, 1977-2012. La petite histoire d’une grande compagnie de théâtre.

Lors de la table ronde qui accompagnait le lancement, l’animatrice Katherine Kilfoil incitait les intervenants, Marcia Babineau, Herménégilde Chiasson et Roger LeBlanc, à revenir sur le contexte de fondation du théâtre l’Escaouette. LeBlanc insistait, et Babineau le confirme dans l’ouvrage, que les enjeux qui préoccupaient ces premiers finissants du Département d’art dramatique de l’Université de Moncton étaient d’ordre professionnel : comment vivre du théâtre en Acadie? Doit-on s’exiler au Québec ou même aux États-Unis? Comment faire du théâtre sans milieu théâtral professionnel? Entre partir et rester, LeBlanc choisissait de rester, de se créer une job et une vie en Acadie. Il allait être un des membres fondateurs de l’Escaouette.

Cette même décision, celle de partir ou de rester, et ses conséquences logiques – comment investir le (mi)lieu quand on choisit de rester en Acadie? – habitent encore l’Escaouette, son Festival à haute voix et les textes qui y sont mis en lecture.

Sur le mode réaliste, Joannie Thomas propose La rébellion confuse, un texte sur les habitants bornés et émotifs d’une région en voie de fusionnement, « Tracamie ». Un personnage féminin imbriqué dans un triangle amoureux choisira d’abord de s’engager contre l’élite communautaire qui prône la fusion puis de tout quitter pour recommencer ailleurs. La stagnation associée au milieu laisse peu de place pour le renouvèlement, de sorte que l’extérieur devient la seule échappatoire.

Les personnages de Tonic Tuesday de Caroline Bélisle n’auront pas cette chance : confinés à un lieu restreint, celui d’un casino crado dans lequel ils travaillent ou perdent de l’argent qu’ils n’ont pas, ils sont aussi accablés d’une malédiction intergénérationnelle. Une vieille gambler attachée à sa machine à sous prédit ainsi avec clairvoyance que la serveuse du casino se destine à être enceinte, laide et tragiquement seule…

Marcel-Romain Thériault présente avec La débarque le dernier volet de sa trilogie sur la mémoire collective acadienne, amorcée dans Le filet et La persistance du sable. Dans le genre du thriller, ce troisième épisode insiste sur le rapport sexuel entre un étudiant dont le mémoire de maîtrise porte sur l’occupation historique du territoire acadien et sa directrice de recherche, une ancienne participante à un projet de commune des années 1990. Entre les enjeux ouvertement politiques de la coopération, la solidarité avec les Autochtones à Rexton et les intrigues amoureuses et policières, la pièce vacille comme La rébellion confuse entre les dimensions personnelles et sociales qu’elle aborde. Elle pose des questions sur la mise en place d’un mécanisme dramatique apte à rendre compte à la fois des conditions collectives de l’engagement ou de la mémoire et des conflits qu’elles peuvent générer dans l’intimité amoureuse.

Crédit photo : Derek Arsenault.

Crédit photo : Derek Arsenault.

Énoncé en mode réaliste dans les pièces précédentes, le choix entre partir et rester est situé sur un plan plus symbolique dans Le froid est un détail de l’hiver de Matthieu Girard et Le lac aux deux falaises de Gabriel Robichaud. Le premier donne la parole à deux personnages féminins, deux sœurs, dont l’une est obsédée par les skidoos et l’autre, par les émeus ainsi que par l’Angleterre. Le retour de la seconde provoque des conflits de transmission territoriale et débouchera sur une noyade communale au large de la baie au creux de l’hiver. Certaines images de Mathieu Girard, dont les deux personnages qui flottent au-dessus de leurs bottes et l’émeu qui traverse la cuisine, font rêver à la mise en scène de ce texte évocateur, mais aussi très sombre dans son dénouement.

Gabriel Robichaud va en sens inverse. Il choisit un non-lieu magique où les falaises peuvent disparaitre et repousser. Le personnage de Ti-Gars doit décider s’il va grimper la falaise sous les conseils de la Fille du lac ou rester avec son Pépère à jouer aux cartes et à se plaindre. L’ascension de Ti-Gars fera repousser une autre falaise qui avait disparu et ramènera d’autres personnes au village jusqu’alors en voie de dépeuplement.

C’est bien la stratégie du Festival à haute voix : celle de repeupler par de nouvelles voix un milieu théâtral dont on décriait l’absence de relève dramaturgique au tournant de l’année 2000. La présence de textes dramatiques et d’un discours sur ces textes chez les auteurs est certes le gage du succès de cette stratégie. On a également relevé à plusieurs reprises que le tiers des textes présentés en lecture au Festival avaient été montés par la suite, soit par l’Escaouette, le Théâtre populaire d’Acadie, de jeunes troupes ou des regroupements communautaires.

Dans l’optique de la mise en scène de textes lus au Festival, il est intéressant de noter qu’on présentait aussi une lecture de Et que ça saute!, de Danielle Séguin-Tétreault du Manitoba, en vertu du Protocole d’entente Manitoba/Nouveau-Brunswick sur la coopération intergouvernementale. Cette comédie repose sur l’homographe bombe qui peut avoir des acceptions aussi violentes que délicieuses… L’auteure dit espérer que le texte soit monté soit par le Cercle Molière ou comme comédie d’été.

Devant le bouillonnement dramaturgique que démontre le Festival à haute voix, on ne peut qu’espérer qu’il y aura des suites pour favoriser la diffusion des textes présentés. D’abord (et c’est un appel récurrent en Acadie), il y a tout un travail de mise en circulation de textes qui aboutissent souvent dans des tiroirs et qui bénéficieraient de se retrouver dans une banque centralisée, peut-être même en ligne. Ensuite, il y aurait aussi des débouchés possibles du côté de la publication, une avenue encore trop rare en Acadie. Enfin, une fois passées les formations, les lectures et les réécritures, il reste encore des textes aptes à être mis en scène, d’autres à être repris, d’autres à intervenir dans les enjeux régionaux, d’autres à circuler au-delà de l’Acadie… L’avenir de l’Escaouette comme institution théâtrale majeure en Acadie ne peut, au sortir, que se consolider d’un milieu qui va en se diversifiant.

À propos…

Nicole Nolette est originaire de l’Alberta et se promène pour voir du théâtre un peu partout en Amérique du Nord. Son livre, Jouer la traduction. Théâtre et hétérolinguisme au Canada francophone, sera publié aux Presses de l’Université d’Ottawa en mai 2015.

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Une réponse à “Rester et écrire : lectures du Festival à haute voix – Nicole Nolette

  1. 15 JUIN 2015
    Bonjour,
    Je travaille au théâtre l’Escaouette de Moncton (secteur de la promotion et des communications) et j’aurais aimé entrer en contact avec Nicole Nolette, auteure de l’article ci-dessus. A t-elle une adresse courriel ou un numéro de téléphone que vous pourriez me communiquer? En vous remerciant.
    Catherine Laratte 8555 0001, poste 101

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