Comeau, Fredric Gary. Dérive novembre, Sudbury, Prise de parole, 2015, 63 p.
Dans les semaines précédant l’arrivée par la poste du nouveau recueil de poésie de Fredric Gary Comeau, je m’étais mis en tête qu’il s’intitulait Dehors novembre. Je confondais bien sûr avec le dernier et magnifique album des Colocs, qui est devenu le testament de Dédé Fortin. Rectifions donc les faits si ce n’est que pour moi-même. Publié chez Prise de parole, le 13e recueil de poésie de Comeau s’intitule Dérive novembre. Depuis longtemps, Comeau nous avait habitués à des titres comportant un seul mot au pluriel : Routes (1994), Naufrages (2005), Aubes (2007), Vérités (2009), etc[1]. Ce titre surprend quelque peu et on aurait pu s’attendre à une approche poétique différente dans cette plaquette de 63 pages. Ce n’est malheureusement pas le cas.
Constitué de trois parties sans titre comprenant respectivement 24, 15 et neuf poèmes, le recueil propose un lyrisme prévisible qui prévalait dans les offrandes précédentes de l’auteur. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur, mais plutôt d’un constat qui tient peut-être aux années d’écriture du recueil. À la dernière page, on apprend que Comeau a écrit les poèmes entre le 17 décembre 1996 et le 2 juin 2012. En vérifiant quelques-uns de ses autres recueils, on note qu’Aubes a été écrit entre 1996 et 2005 et Vérités, entre 2006 et 2008. Ainsi, l’auteur compose des poèmes qui alimentent simultanément plusieurs recueils. L’impression de déjà-lu, d’un certain non-renouvellement autant dans la forme que dans le propos s’explique peut-être plus facilement dans cette mesure. Comprenons-nous bien. Il s’agit d’un bon recueil. Comeau possède un souffle poétique certain, mais plus on avance dans le temps et plus ses recueils semblent interchangeables.
La première partie du recueil met en scène un locuteur qui traite de « toi et ton souffle » (p. 9). Même si Comeau fait parfois appel à la première personne du pluriel, il s’agit de la relation lyrique classique entre un « je » et un « tu » comme en témoigne ce poème représentatif de l’esprit du recueil :
souvenir languissant sur ta langue
nuit de beuverie dans un jardin
ici
c’est le matin et je respire jaune
le parfum de ton abattement
ne menace plus (p. 29)
Cette première partie fait justement la belle part à la langue (de l’autre) et à ses dérivés : « langue lointaine » (p. 14), « langage tactile » (p. 20), « langue foisonnante » (p. 21), « heures languides » (p. 27) et tutti quanti. On ressent un trop-plein d’émotions chez le locuteur qui admire et désire l’autre.
La deuxième partie ne tourne pas nécessairement autour d’un thème fondateur. On y retrouve des vers bien travaillés qui mettent en évidence tout le talent de Comeau : « plus tard mes pas traceront / des chemins étrangers / à la recherche de nouvelles peaux / au goût du songe » (p. 45). Plus diffuse, la relation entre le « je » et le « tu » reste tout de même présente en filigrane.
Dans la dernière partie, on réalise que si dérive il y a, la poésie ramène toujours le locuteur dans le droit chemin. En effet, « les dérives nourrissent / désirs d’ancrage » (p. 56). On finit d’ailleurs par comprendre que la poésie demeure la planche de salut du locuteur. Dans un rare appel au lecteur, le dernier poème du recueil justifie sa propre création :
par le poème devenir
l’envers
par les vers vivre
[…]
vous m’entendrez
encore et encore
et alors
au-delà (p. 61)
À la suite de ma deuxième lecture du recueil, un vers m’est resté en tête. Dès les premiers poèmes, le locuteur avoue qu’« il ne peut y avoir de confession adéquate / le lyrisme remonte toujours à la surface » (p. 16). C’est peut-être là que réside le plus grand problème de la poésie de Fredric Gary Comeau en 2015. À tout prendre, je préfère un recueil inégal qui ose une nouvelle proposition (Les anodins de Gabriel Robichaud par exemple) que ce lyrisme bien maîtrisé qui reste à la surface.
Une douzaine de recueils en un quart de siècle signifie que l’auteur d’origine acadienne publie de façon constante, à tous les deux ans ou à peu près. Cela est louable, mais la trop grande ressemblance de tous ces recueils témoigne de la place mitigée qu’occupe Comeau dans le panthéon des poètes acadiens. Or, si je prédis la parution d’un prochain recueil en 2017, je souhaite me tromper en avançant que le poète nous proposera du pareil au même.
[1] Question quiz pour les férus de littérature acadienne. Quel autre auteur propose toujours des titres comportant un seul mot au pluriel ?
À propos…
Benoit Doyon-Gosselin est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et milieux minoritaires et professeur agrégé au Département d’études françaises de l’Université de Moncton. De 2007 à 2014, il était professeur au Département des littératures de l’Université Laval. Spécialiste des littératures francophones du Canada, il a fait paraître en 2012 aux Éditions Nota Bene un ouvrage intitulé Pour une herméneutique de l’espace. L’œuvre romanesque de J.R. Léveillé et France Daigle. Il a publié des articles dans Romanica Silesiana, @nalyses, temps zéro, Mémoires du livre, Voix et images,Port-Acadie, Raison publique et dans de nombreux collectifs.