L’école francophone, l’immersion et la dualité – Martin LeBlanc Rioux

Dans un article publié le 2 avril 2015 sur le site de la CBC et dans la foulée du débat relatif aux autobus « bilingues », la SANB suggère d’améliorer l’enseignement du français au sein de la majorité anglophone. Elle suggère notamment d’intégrer les classes d’immersion française au sein des écoles francophones. Cette suggestion est surprenante et le fait qu’elle émane de la SANB est inquiétant.

Les écoles francophones et l’immersion française ont deux missions distinctes. Les écoles francophones ont non seulement pour but de fournir un enseignement de langue française, elles ont également pour mission de constituer des espaces francophones, linguistiquement homogènes, qui permettent à la langue française de s’épanouir sans entrave et à la minorité linguistique de développer sa solidarité et d’assurer sa vitalité artistique, culturelle et communautaire. Ainsi, l’importance de l’école francophone pour la minorité ne se situe pas uniquement dans la salle de classe et dans la langue d’enseignement, elle se situe dans la cour de récréation, dans les activités parascolaires, dans le « carrefour », la cafétéria et, oui, dans l’autobus. L’ensemble de ces lieux et de ces moments font partie de l’espace et de l’expérience francophones qu’il incombe aux écoles francophones d’incarner et de protéger.

Intégrer les classes d’immersion au sein des écoles francophones compromet cette mission. Cela aura pour effet immédiat d’angliciser la cour d’école, la cafétéria, sans compter les activités parascolaires. L’école francophone deviendra rapidement un espace « bilingue » et anglo-dominant.

D’ailleurs, les écoles francophones font déjà face à plusieurs défis afin d’éviter que leurs établissements deviennent des espaces de socialisation dominés par l’anglais. Le nombre de couples exogames augmente, tout comme le nombre d’enfants qui ont le droit d’être inscrits à l’école francophone mais qui ne maîtrisent pas le français ou qui ne le parlent pas du tout. Il est important d’intégrer ses élèves à l’école francophone, mais cela demande d’ores et déjà des efforts supplémentaires exigeants à plusieurs écoles francophones. Imaginez donc pour un instant que ces écoles aient le défi additionnel d’intégrer des étudiants anglophones du programme d’immersion. Imaginez qu’une école comme Sainte-Anne à Fredericton ou Samuel-de-Champlain à Saint John ait à intégrer les élèves anglophones du programme d’immersion en plus du nombre croissant d’élèves de couples exogames qui ne maîtrisent pas le français. Ce serait une tâche insurmontable.

Mais ça ne s’arrête pas là. Dès qu’un élève anglophone aura poursuivi ses études dans une école francophone par le biais du programme d’immersion, l’ensemble de ses frères et sœurs ainsi que ses enfants éventuels auraient le droit constitutionnel de s’inscrire à l’école francophone en vertu de l’article 23. L’anglicisation de l’école francophone sera donc exponentielle en créant toute une population d’élèves anglophones ayant le droit de s’inscrire à l’école francophone en vertu de l’article 23 de la Charte sans qu’elle ne connaisse un mot de français ou ne vive au sein de la communauté francophone, de près ou de loin. L’école francophone deviendra une école d’immersion servant davantage la population de langue anglaise qui veut transmettre le français comme langue seconde à leurs enfants, plutôt qu’un véritable établissement de la minorité francophone. Cette perversion de l’école francophone prendra tout au plus une génération à se réaliser, c’est pourquoi il est important de rejeter l’idée sans délai. C’est également pourquoi, ultimement, l’intégration du programme d’immersion française au sein des écoles francophones irait à l’encontre de l’article 23 de la Charte.

Je suis persuadé que la présidente de la SANB n’avait aucune mauvaise intention en accordant son entrevue à la CBC. Je soupçonne d’ailleurs que son propos a peut être mal été compris ou rapporté hors contexte, du moins je l’espère. Je crois toutefois qu’il est important pour cet organisme de ne plus s’engager sur cette voie et de rectifier le tir auprès du gouvernement provincial et des commissions scolaires. On ne peut laisser entendre ni même laisser de doute voulant que le porte-parole de la communauté acadienne appuie l’idée d’intégrer le programme d’immersion aux écoles francophones.

Finalement, je crois qu’il est important de revenir sur un aspect du débat sur la dualité qui me paraît préoccupant. À la défense de la dualité, certains commentateurs ont récemment affirmé que la communauté francophone, notamment la SANB, devait en faire plus pour promouvoir l’apprentissage du français au sein de la majorité anglophone. Je conviens qu’il s’agit d’un objectif noble et d’une perspective qui faciliterait parfois le dialogue entre francophones et anglophones. Toutefois, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un choix judicieux dans la détermination de nos priorités. Il faut choisir ses batailles. La communauté acadienne a plusieurs défis à relever et une diversité de dossiers à mener avant de faire la leçon aux anglophones ou de mener leurs batailles pour un meilleur enseignement du français comme langue seconde. Il s’agit là d’un dossier au sein duquel nous pouvons agir comme allié stratégique lorsque l’occasion se présente, mais pas comme chef de fil. Il incombe d’abord à la communauté anglophone de se prendre en main. Nous ne devons pas les devancer, encore moins offrir de pervertir nos institutions et nos écoles pour améliorer l’enseignement du français comme langue seconde.

L’égalité entre la communauté francophone et la communauté anglophone sera acquise lorsque chaque communauté sera autonome. L’égalité, ce n’est pas une population entière qui parle parfaitement le français et l’anglais. L’égalité sera acquise lorsqu’un francophone pourra vivre chaque moment de sa vie au Nouveau-Brunswick dans sa langue autant qu’il est possible pour un anglophone de vivre ainsi, et ce, à l’aide d’institutions distinctes.

Entre temps, le « dialogue » harmonieux et le rapprochement des « deux solitudes » dépendra uniquement d’une conversation qui vise à expliquer la nature de notre régime linguistique, de nos droits linguistiques et des besoins particuliers d’une minorité linguistique. Mais ce « dialogue » et ce rapprochement des « deux solitudes » ne doit pas se faire au détriment des institutions de la minorité acadienne et par l’adoption de programmes et de politiques publiques intégrationnistes. L’explication de notre régime linguistique et des réalités de la minorité francophone ainsi que la détermination de plusieurs anglophones sensibles et rationnels, j’en suis convaincu, suffiront à convaincre nos concitoyens anglophones que pour vivre dans un tel régime linguistique, il est avantageux pour eux d’améliorer leurs programmes d’enseignement du français langue seconde. Une fois qu’ils se seront rendus à cette évidence et que notre besoin d’autonomie aura été compris, peut-être sera-t-il plus facile de chercher à « rapprocher les solitudes » et à entamer des « dialogues », car cette « conversation », cette « harmonie » et cette « collaboration » ne se déroulera pas toujours en anglais et se fera sur un pied d’égalité.

À propos…

Martin LeBlanc RiouxMartin LeBlanc Rioux est originaire de Dieppe. Diplômé en science politique (Laval, 2007) et en droit (McGill, 2011), il s’est engagé dans différents dossiers linguistiques au Nouveau-Brunswick de 2008 à 2013. Il est avocat et habite actuellement Fredericton.

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4 réponses à “L’école francophone, l’immersion et la dualité – Martin LeBlanc Rioux

  1. Bonjour,

    Je suis, de façon générale, d’accord avec les propos de M. LeBlanc Rioux et Mme Gaudet. La SANB fait un travail remarquable au niveau de l’organisation de la communauté acadienne du N.-B. et de la défense de ses droits. Ceci n’est pas une critique à son égard. Je me pose plutôt des questions… Est-ce qu’il n’y aurait pas un travail à faire (de notre part) pour faire mieux comprendre à nos confrères et consoeurs anglophones et des Premières Nations l’importance de notre langue et de notre culture ? Tout ce que j’entends ces derniers temps, c’est des parents anglophones qui « veulent que leurs enfants s’inscrivent en immersion/ français langue seconde pour qu’ils puissent avoir accès à des bons emplois ». Est-ce suffisant comme motif pour les convaincre d’apprendre d’autres langues ? N’est-ce pas là l’échec des politiques linguistiques des 40 et + dernières années au N.-B. et au pays ? Est-ce que l’argument économique est suffisant ? Est-ce que nous ne devrions pas être en mesure de leur faire voir la valeur intrinsèque de notre langue/culture en tant que telles ? Avec le vieillissement de la population et l’exode des jeunes, j’ai l’impression que bientôt, nous n’aurons plus le poids démographique nécessaire pour faire respecter nos droits…Je trouve que c’est dangereux de se fier uniquement à « l’argument économique » pour convaincre les anglophones d’apprendre le français, puisque, pour de plus en plus d’entre eux, notre communauté est « un fardeau qui coûte cher » plutôt qu’une richesse…Est-ce que l’avenir ne serait pas du côté des francophiles ? Pour qu’il y ait plus de « réciprocité » entre les communautés anglophones et francophones, est-ce qu’il ne faudrait pas qu’on s’assure que plus d’anglophones apprennent le français ? Je ne suis pas certaine que « la sensibilité et la rationalité » vont les convaincre…

    • Merci pour votre commentaire éclairant. J’aime votre questionnement. Personne est détenteur ou détentrice de la vérité dans ce dossier et poser des questions nous permet de pousser la réflexion plus loin. Dans la recherche de solutions pour un problème complexe, les experts diront que les questions sont plus importantes que les réponses que l’on donne.

      À mon avis, il faut éviter d’entretenir des débats stériles qui divisent bien plus qu’autre chose. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faut courber l’échine comme dirait la Sagouine. À mon humble avis, nous devons tendre la main à nos concitoyennes et concitoyens de la province pour qu’ensemble nous arrivions à mieux nous comprendre et à trouver des solutions pour que les Acadien.ne.s et francophones s’épanouissent en français chez nous au Nouveau-Brunswick.

      • Heureuse de vous entendre dire que personne n’est détenteur ou détentrice de la vérité dans ce dossier…
        Déjà, il me semble que chercher à mettre tout le monde dans soit le camp franco soit le camp anglo est dépassé, erroné. Le monde dans lequel nous vivons, même au N-B, est beaucoup plus complexe et beaucoup moins « noir et blanc » que l’on penserait.
        Dans le cadre éducatif actuel, les « soi-disant » jeunes francophones apprennent mal le français et l’anglais (malheureusement l’anglais ne s’attrape pas) et les « soi-disant » jeunes anglophones apprennent mal le français. Ceci ne représente pas un climat bilingue; c’est plutôt une forme unique, néo-bruswickoise d’illetrisme (en tout cas pour les francophones)! Beaucoup de jeunes familles francophones quittent la province pour cette raison. Alors, est-ce qu’il s’agit d’un environment à protéger ou à rebâtir?
        Malheureusement, à force de se percevoir comme victime on promouvoit un climat de peur et de fermeture et les opportunités d’échange et de réciprocité sont perçues comme des menaces…

  2. Bonjour,
    Je suis étonnée de lire le commentaire de Martin Leblanc Rioux qui s’est basé non pas sur un article, mais bien sur un résumé d’environ 250 mots d’une conversation qui a duré 15 minutes lors d’une entrevue accordée au journaliste de CBC-Moncton sur la question des autobus scolaires. Il écrit: « la SANB suggère notamment d’intégrer les classes d’immersion française au sein des écoles francophones. Cette suggestion est surprenante et le fait qu’elle émane de la SANB est inquiétant ». Pour tirer les choses au clair, je peux vous confirmer que la SANB ne suggère pas d’intégrer les classes d’immersion française au sein des écoles francophones. C’est une question qui n’a jamais fait l’objet d’une discussion à la SANB parce que nous sommes là pour défendre nos intérêts et surtout pour faire la promotion de notre langue et culture. Je doute que la SANB prenne jamais une position qui va à l’encontre de l’article 23.

    Pour décrire le contexte de l’entrevue que j’ai accordée au réseau CBC, celui-ci faisait suite au commentaire que j’ai écrit et signé dans l’Acadie Nouvelle pour expliquer d’un point vue pédagogique et non juridique, le mandat de l’école francophone en milieu minoritaire. Il faut savoir que l’article s’adressait d’abord aux parents et à la communauté francophone qui, pour plusieurs, ne comprennent pas explicitement pourquoi leurs jeunes ne peuvent pas voyager dans les mêmes autobus que des élèves anglophones. J’ai abordé la question d’abord comme une personne qui a passé 30 ans de sa vie dans le domaine de l’éducation et comme chercheuse sur la question. Je suis également présidente de la SANB et mon propos tenait compte que la question de l’éducation est un enjeu prioritaire depuis 40 ans à la SANB.

    Maintenant, je reviens à la question qui m’a été posée par la journaliste au sujet de savoir comment Jeanne d’Arc Gaudet percevait la question de l’immersion pour les élèves anglophones. J’ai tout simplement voulu dire qu’il serait bien pour ces élèves de ne pas simplement apprendre la langue,mais aussi les diverses cultures francophones dont la culture acadienne et pour ce faire qu’il serait bien qu’ils et elles puissent vivre des expériences pédagogique en français dans un environnement francophone avec des élèves francophones. J’admets que j’ai souvent plus de difficulté à articuler ma pensée en anglais qu’en français et oui, j’en conviens qu’en se basant seulement sur le résumé que je n’ai pas eu la chance de vérifier, que les gens peuvent interpréter ce petite commentaire du résumé de plusieurs façon. Mais soyez assurés que notre organisme ne fait pas la promotion de programmes intégrationnistes comme l’écrit Martin.

    En terminant, au cours des années, nous n’avons pas fait un si bon travail pour expliquer aux parents et à la population en général ce qu’est la construction identitaire et pourquoi leurs enfants qui vivent notamment dans des milieux dominés par l’anglais doivent vivre toutes sortes d’expériences en français incluant celles de voyager dans des autobus scolaires pour mousser leur fierté et sens d’appartenance.

    Trop souvent, dans le passé, le débat sur la question a pris une orientation plutôt juridique qui portait sur des articles de la constitution pour expliquer les droits des uns et des autres et malheureusement, le commun du mortel ou les gens qui ne sont pas juristes n’y comprennent pas grand chose. À mon humble avis, ce sont ces situations qui apportent beaucoup de confusion dans l’interprétation et la compréhension de questions aussi complexes qui ne peuvent être expliquées que par la perspective des droits enchâssés dans la constitution canadienne.

    Merci Martin de me donner la chance de préciser mon propos.

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