Labyrinthe montréalais – Véronique Arseneau

Leblanc-Poirier, Daniel. Le cinquième corridor, Moncton, Perce-Neige, coll. « Prose », 2015, 114 p.c

D’abord connu pour ses talents de poète grâce à ses trois recueils de poésie – La lune n’aura pas de chandelier (2007), Gyrophare de la danse parfaite (2010) et Le naufrage des colibris (2013) –, Daniel Leblanc-Poirier publiait en février dernier son tout premier roman, Le cinquième corridor, aux Éditions Perce-Neige. Ce court texte met en scène un narrateur dérouté qui tente de reconstituer le puzzle de son existence à partir des pièces suivantes : Mylène, son premier amour; Margaux, son amante, avec qui il trompe la première; Pagona, une patiente assez particulière de l’hôpital où il travaille; Claudie, une vendeuse de crack; et sa mère, une femme bipolaire.

Crédit photo : Perce-Neige.

Crédit photo : Perce-Neige.

Décousue, l’écriture de Leblanc-Poirier est tout sauf linéaire : les nombreux chapitres du roman partent dans tous les sens. Le narrateur, qui s’appelle Daniel comme l’auteur, aime « recommencer » le fil de ses pensées et de son récit, comme s’il n’était pas certain de la façon de raconter ce qu’il s’apprête à dire. L’extrait présenté en quatrième de couverture est un parfait exemple de ces recommencements :

Il est facile de confondre le vertige et la passion. C’est pourquoi les prisons ne sont jamais construites en hauteur. La police était stationnée sur le coin de la rue le jour où je suis déménagé à la Place du Boulevard. J’avais 19 ans. J’ai abouti dans un appartement sans balcon au troisième étage, mais à la base j’avais été attiré par la hauteur du building. Je recommence. La Place du Boulevard est un édifice de 18 étages. J’arrivais d’une banlieue avec l’idée de me jeter en bas du vertige. Ok. Je recommence. Je commande un café au lait dans un établissement de la rue Ste-Catherine que je ne connais pas encore. (C’est moi qui souligne.)

Ces nombreux recommencements ponctuent tout le récit et donnent l’impression que le narrateur est incapable de se créer une image fixe de sa propre réalité et de ses souvenirs.

Avec ces nombreuses hésitations, le narrateur déambule dans les rues de Montréal, faisant « en boucle Ste-Catherine, entre St-Denis et St-Laurent » (p. 17-18) tout en se remémorant les moments forts de sa relation avec Mylène, mais aussi avec Margaux. Un peu perdu, il affirme lui-même que « [c]’était une période fuckée » (p. 12) où, sans trop savoir comment ni pourquoi, il s’est « retrouvé avec deux blondes » (p. 12) et beaucoup de problèmes.

Par la suite, le lecteur rencontre une panoplie de personnages qui entrent et sortent de la vie du narrateur, alors que Mylène demeure au centre du récit, malgré son absence. Son départ laisse un vide que Daniel tente de remplir par les nombreux récits qu’il livre dans le roman. Tous les aspects de sa vie, ou presque, y passent : on apprend pourquoi il a arrêté ses études à l’université, comment il vit son deuil suite à la mort de Claudie, la vendeuse de crack, et comment il a célébré Pâques dans la chapelle de l’hôpital. Le tout est ponctué de plusieurs commentaires du psychiatre à qui Daniel rend visite régulièrement.

Entre les punaises de lit, les amours passagers et les problèmes psychologiques aigus, Le cinquième corridor explore, sans poser de filtre, l’esprit et les sentiments d’un narrateur déboussolé qui tente d’avancer malgré le poids de ses souvenirs. Raconté par un personnage qui « écrit des poèmes en pissant du haut du 16e étage » (p. 81), ce livre choque en alliant de belles réflexions poétiques à une réalité crue et brutale. Malgré ce mélange parfois difficile à suivre, Daniel Leblanc-Poirier signe un premier roman des plus colorés. Cette œuvre dédiée à un premier amour transportera le lecteur dans un labyrinthe urbain, mais surtout intérieur.

À propos…

Véronique Arseneau

Véronique Arseneau est étudiante à l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse, où elle termine un baccalauréat ès arts avec une spécialisation en études françaises. Véronique lit beaucoup, écrit un peu et écoute toujours les Hay Babies pendant ses nombreux roadtrips de Pointe-de-l’Église à Bathurst, au Nouveau-Brunswick, sa ville natale. Sa prochaine destination? Ottawa.

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