La rançon de la gloire (sic) – Benoit Doyon-Gosselin

Les années se suivent et la remise des prix littéraires en Acadie continue de soulever des controverses. Il s’agit d’une constante et le contraire surprendrait presque. Dans un milieu aussi exigu que l’Acadie, on finit toujours par être juge et partie, auteur et lauréat. Certes, il n’y a jamais de grand scandale, mais uniquement en 2014, deux acteurs du milieu littéraire – Denis Sonier, des Éditions de la francophonie et moi-même, simple professeur devant l’Éternel – ont remis en question le choix d’un lauréat et le choix d’une nomination. Mon objectif n’est pas de proposer un historique de toutes les controverses entourant les prix littéraires en Acadie, mais peut-être de résumer et contextualiser les deux plus récentes chicanes de famille.

Le Prix des lecteurs Radio-Canada 2014

Le 20 mars 2014, j’écoutais l’émission radiophonique Plus on est de fous, plus on lit qui présentait les œuvres finalistes pour le Prix des lecteurs Radio-Canada 2014. L’objectif du prix est de faire découvrir la littérature francophone en milieux minoritaires au Canada. Dans la liste des nominés, on retrouve l’auteure d’un premier recueil de nouvelles, Maude Déry, doctorante à l’Université Laval. Je la connaissais vaguement et j’étais surpris d’apprendre qu’elle était Acadienne. Puis, je me suis littéralement étouffé en entendant ceci :

Marie-Louise Arseneault : Vous êtes née à Campbellton au Nouveau-Brunswick le 3 octobre 1985 mais c’est à cause de l’hôpital finalement (rires), comme un accident, vous avez grandi à Québec en fait, où vous vivez depuis toujours. Qu’est-ce que vous gardez dans votre famille ou dans vos racines, comment ça se fait que vous êtes née à Campbellton?

Maude Déry: En fait c’est qu’on était à Matapédia, c’est juste parce c’était l’hôpital le plus proche, rien de moins. Je suis déjà retournée au Nouveau-Brunswick lors d’un voyage mais c’est tout, je n’ai pas de grandes racines, si on veut, au Nouveau-Brunswick.

(Verbatim de l’émission Plus on est de fous plus on lit, émission spéciale Prix des lecteurs Radio-Canada, entrevue avec Maude Déry, 28:34 minutes.)

Lisons maintenant le règlement du Prix des lecteurs Radio-Canada :

« (2.2) Un auteur doit être né ou vivre ou travailler dans une des trois grandes régions géographiques de la francophonie canadienne[1]. »

En ce sens, la nomination de l’auteure répond au règlement. Par ailleurs, je ne remets nullement en question la qualité de l’œuvre. Là n’est pas la question. Le cas de Maude Déry est plus qu’un cas limite et témoigne surtout du ridicule du règlement lorsque appliqué à la lettre. Elle a vécu au maximum 48 heures en Acadie par accident. Si maman Déry avait accouché dans la voiture avant de traverser la frontière, sa fille n’aurait pas pu être en nomination. Elle ne possède aucun lien, aucune racine avec le Nouveau-Brunswick et on sent bien son malaise à la radio. Est-ce que le fait d’être né par un hasard géographique en Acadie, d’y avoir vécu deux jours, fait de nous un auteur de la francophonie canadienne en milieu minoritaire? L’auteure se définit comme Québécoise, le recueil de nouvelles est publié au Québec. Tout son parcours d’écrivaine, de l’enfance à la vie adulte, provient de son expérience de la vie au Québec d’abord et avant tout. En fait, si Maude Déry avait gagné, cela aurait été d’une certaine façon à l’encontre du but premier du prix (1.1) : faire découvrir la littérature francophone en milieux minoritaires au Canada[2].

Soyons sérieux. Je sais bien que Dany Laferrière est un écrivain japonais, mais pourrait-il gagner un prix littéraire pour les écrivains japonais? Bien que cette situation ne risque pas de se reproduire, il me semble qu’il faudrait revoir les règlements afin de ne plus permettre une telle échappatoire. Ma suggestion serait de non seulement être né dans une région de la francophonie canadienne mais d’y avoir vécu pendant une période de temps significative. Les avocats de Radio-Canada s’insurgeront peut-être au sujet du flou artistique de l’adjectif « significative », mais la souplesse me semble de mise.

Le Prix France-Acadie 2014

Cette année, le Prix France-Acadie a été remis à l’écrivain Jean Mohsen Fahmy pour Les Chemins de la liberté (à ne pas confondre avec la trilogie de Jean-Paul Sartre), fiction romanesque en deux tomes, parue aux Éditions JCL (Québec). L’œuvre raconte le périple de deux jeunes Acadiens qui souhaitent revenir dans leur patrie mythique à la fin du XVIIIe siècle. L’auteur est né en Égypte et habite en Ontario depuis longtemps.

Voyons les conditions d’éligibilité du Prix France-Acadie :

« Le concours est ouvert à tous les auteurs de langue française qui se recommandent à un titre ou à un autre de l’identité acadienne des Provinces atlantiques du Canada ou à titre exceptionnel, de travaux remarqués sur l’Acadie par des auteurs canadiens-français[3]. »

En vertu de ce règlement, l’éditeur Denis Sonier croit que l’auteur n’est pas éligible et que le prix devrait lui être retiré. Il est clair que monsieur Mohsen Fahmy est un auteur de la francophonie canadienne qui peut se réclamer de l’identité franco-ontarienne. Il est également clair que l’œuvre Les chemins de la liberté ne constitue pas un travail remarqué sur l’Acadie. Il ne s’agit pas d’un ouvrage d’histoire ou de sociologie, mais d’une fiction ayant pour cadre l’Acadie historique. Cependant, est-ce que le seul fait d’écrire une fiction acadienne fait en sorte que l’auteur puisse se réclamer « à un titre ou à un autre de l’identité acadienne des Provinces atlantiques du Canada » ? Si oui, alors la Québécoise Pauline Gill ou le Français Alain Dubos auraient pu être éligibles par le passé. Même Sheila Copps dispose d’une plus grande légitimité acadienne !

Par ailleurs, il ne faut pas croire que la position de monsieur Sonier signifie qu’il soit contre les écrivains migrants qui écrivent sur l’Acadie comme l’auteure Gracia Couturier  semblait le sous-entendre dans un entretien téléphonique à Radio-Canada. Elle disait essentiellement qu’en 2014, il fallait accepter que les immigrants puissent écrire sur l’Acadie et donc que le prix remis à l’auteur est justifié. Je suis tout à fait d’accord avec la première partie de son affirmation. Il est en effet réjouissant de voir un écrivain d’origine migrante depuis longtemps arrivé au Canada écrire un roman acadien. En l’occurrence, cela témoigne de la puissance de la catastrophe fondatrice de l’Acadie. Cependant, selon le règlement actuel, le lauréat ne peut pas se réclamer de l’identité acadienne. Le problème ici est que le règlement est devenu anachronique en 2014. La mondialisation permet l’ouverture des frontières. Comme le prix France-Acadie ne peut être remis deux fois au même auteur, le bassin acadien est beaucoup restreint aujourd’hui que lors de la première remise du prix en 1979. Il faudrait peut-être revoir ce règlement. Si on souhaite récompenser un écrivain de langue française du Canada ou de la Franco-Amérique, il faudrait seulement actualiser le règlement ainsi :

« Le concours est ouvert à tous les auteurs de langue française de l’Amérique du Nord qui ont produit une œuvre de fiction traitant de l’Acadie ou à titre exceptionnel, de travaux remarqués sur l’Acadie par des auteurs canadiens-français. »

Il n’y aurait eu aucune controverse… cette année. Comme me le faisait remarquer une collègue, des critères objectifs trop stricts ont mené à une nomination controversée dans le cas du Prix des lecteurs Radio-Canada et des critères subjectifs trop larges ont mené à un couronnement controversé dans le cas du Prix France-Acadie.

À propos…

Doyon Gosselin_BenoitBenoit Doyon-Gosselin est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et milieux minoritaires et professeur agrégé au Département d’études françaises de l’Université de Moncton. De 2007 à 2014, il était professeur au Département des littératures de l’Université Laval.  Spécialiste des littératures francophones du Canada, il a fait paraître en 2012 aux Éditions Nota Bene un ouvrage intitulé Pour une herméneutique de l’espace. L’œuvre romanesque de J.R. Léveillé et France Daigle. Il a publié des articles dans Romanica Silesiana, @nalyses, temps zéro, Mémoires du livre, Voix et images, Port-Acadie, Raison publique et dans de nombreux collectifs.

[1] http://ici.radio-canada.ca/regions/prixdeslecteurs/lib/pdf/reglements.pdf

[2] Ibid.

[3]http://snacadie.org/index.php/nos-dossiers/prix-et-rompenses-leftmenu-216?id=84:prix-france-acadie&catid=73

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