De la francophonie au Maine (partie 1) – Luc Léger

À la découverte de l’Acadie du Maine

Depuis que les responsables de la Société nationale de l’Acadie (SNA) ont annoncé la tenue du Congrès mondial acadien 2014 dans la région nommée l’Acadie des terres et des forêts (regroupant le Témiscouata au Québec, le nord-ouest du Nouveau-Brunswick et le nord de l’État du Maine), une série de questions m’est venue à l’esprit. J’étais tout à fait au courant des revendications identitaires de la population du nord-ouest du Nouveau-Brunswick, et je savais qu’une partie de cette population, tout comme une partie de la population du Témiscouata, avait des ancêtres acadiens. Dans un certain sens, c’est moins la participation des communautés du Nouveau-Brunswick et du Québec qui m’intriguait que celle des communautés du Maine. Jamais on ne m’avait parlé d’une présence acadienne dans le nord du Maine. J’ignorais tout de cette population. J’avais le goût de savoir comment elle vivait son acadianité. J’avais le goût de savoir quel rapport elle entretenait avec le français et la culture acadienne. Surtout, j’avais le goût de savoir si le français servait toujours dans cette région des États-Unis. Quelques idées reçues me portaient à croire que l’omniprésence de l’anglais au travail, à l’école, dans les médias et dans les institutions publiques avait sûrement causé l’assimilation linguistique et culturelle de cette population. Bref, j’avais l’impression (bien que fausse) que l’Acadie n’était guère plus qu’un vague souvenir pour les Acadiens du Maine.

Questions et idées en tête, je suis parti en janvier 2013 à la découverte de la francophonie du nord du Maine, un peu comme Alexis de Tocqueville (qui a inspiré le titre de ce texte) était parti à la découverte de la démocratie aux États-Unis du XVIIIe siècle. Avant d’aller plus loin, je sais que vous vous posez sûrement la question à savoir ce qui a porté un jeune à vouloir passer (d’autres diront s’exiler) quelques mois dans le nord du Maine. En gros, j’avais le goût de partir à l’aventure et c’est un projet de la SNA qui m’a permis de le faire. À partir de mon bureau aux Archives acadiennes de l’Université du Maine à Fort Kent (UMFK), je devais, essentiellement, sonder le terrain afin de comprendre les sentiments des élèves des écoles secondaires à l’égard du français dans le but ultime de développer des initiatives en français pour les jeunes (un peu comme on le fait en Louisiane depuis quelques années). Réflexe de chercheur oblige, j’en ai profité et j’ai observé la situation linguistique de façon plus générale. Avant de traverser le pont qui agit comme lien physique entre la ville d’Edmundston au Nouveau-Brunswick et la ville de Madawaska au Maine, j’ignorais tout à fait ce qui m’attendait. J’avoue même avoir pratiqué mon anglais!

Américain? Canadien? Ou, tout simplement Acadien? L’histoire de l’Acadie du Maine en quelques mots

Afin de mieux saisir la situation linguistique et culturelle du nord du Maine, il est nécessaire de faire un petit retour sur l’histoire des Acadiens de la place. Si plusieurs francophones du Canada s’étaient installés dans le sud du Maine (principalement dans la région de Lewiston et d’Augusta) pour y trouver de meilleures occasions de travail, les Acadiens qui se sont installés au nord de l’état ne l’ont pas fait pour les mêmes raisons. Cette population a plutôt fui la Déportation en quittant la région de Sainte-Anne-des-Pays-Bas (aujourd’hui Fredericton) pour s’installer plus au nord le long du fleuve Saint-Jean. À l’époque, la frontière qui sépare actuellement le Nouveau-Brunswick du Maine n’était pas tracée de façon définitive et les familles s’installaient sur l’une ou l’autre rive. Certains documents officiels disponibles aux Archives acadiennes de l’UMFK relatent même que certains terrains pouvaient facilement s’étendre d’un bord et de l’autre du cours d’eau. Le fleuve n’était pas une véritable frontière et ce n’est qu’à partir de 1842 qu’un traité a mis fin à une longue dispute entre ce qui est devenu le Canada et les États-Unis. Dorénavant, le Fleuve Saint-Jean devait agir en tant que frontière naturelle.

Maine1

Photo : Luc Léger.

Ce sont des raisons politiques qui ont fait des Acadiens du nord du Maine des citoyens américains. Malgré la frontière, cette population continue d’entretenir des liens étroits avec le Canada. Un de mes premiers constats lors de mon séjour en Acadie du Maine a été de voir que nombreux sont ceux qui ne voient pas de problème à porter et à affirmer plusieurs identités. À ce point que la question de l’identité dépasse la question de la citoyenneté. Tantôt les gens se disent Canadiens, tantôt ils se disent Américains, mais toujours ils se disent Acadiens (ce qui n’est pas nécessairement le cas dans le nord-ouest du Nouveau-Brunswick et au Témiscouata). Ils sont nombreux à traverser la frontière pour y travailler, pour y faire des emplettes ou pour visiter de la parenté. Certaines personnes traversent même plusieurs fois par jour. De toute évidence, cette réalité s’applique également aux gens du nord-ouest du Nouveau-Brunswick qui en profitent non seulement pour visiter de la famille, mais surtout pour y faire le plein d’essence. Quoi de plus normal quand le prix de l’essence frôle les 99 cents le litre? Dans les faits, la frontière reste assez symbolique, même si les autorités américaines ont resserré leur contrôle depuis le 11 septembre 2001. Il est possible de dire avec confiance que si le fleuve sépare deux États, il ne réussit pas à séparer la population des deux rives.

À suivre. Dans la deuxième partie, il sera question de la situation linguistique, culturelle et institutionnelle des Acadiens du Maine.

À propos…

Luc LégerLuc Léger est originaire de Moncton. Il détient un baccalauréat en science politique et une mineure en études françaises de l’Université de Moncton ainsi qu’une maîtrise en science politique de l’Université Laval. Il est présentement inscrit au programme de doctorat en sociologie à l’Université d’Ottawa. Il est un des cinq membres fondateurs de la revue Astheure.

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