De la francophonie au Maine (partie 2) – Luc Léger

Une présence francophone indéniable…

En parcourant la Route 1 entre Van Buren et Fort Kent dans le nord du Maine, ce que l’on y observe est frappant. La présence d’une population d’origine acadienne est évidente, mais celle d’une population qui parle encore le français l’est moins. Plusieurs drapeaux américains décorent le paysage, mais on remarque rapidement la place spéciale accordée au drapeau acadien. La ville de Madawaska a même fait du drapeau acadien son drapeau officiel! S’il est rare (en temps normal évidemment) de voir le drapeau acadien dans la ville d’Edmundston, il flotte fièrement à côté du drapeau américain au-dessus de tous les édifices de la municipalité de Madawaska. Même les raisons sociales de plusieurs commerces et entreprises font un clin d’œil à l’Acadie ou portent des noms francophones. L’affichage de ces mêmes commerces et entreprises, cependant, ne fait pas de place au français pour autant – sauf, quelques fois, pour dire «On parle français ici». Même quand on parle d’Acadie ou d’Acadiens, on écrit souvent Acadia ou Acadian comme c’est le cas pour la Acadia Federal Credit Union ou pour le Acadian Restaurant par exemple. Difficile de croire qu’à quelques kilomètres, au Nouveau-Brunswick et au Québec, l’affichage se fait quasi exclusivement en français.

Si l’affichage met en évidence la présence acadienne, il nous en apprend peu sur la place réelle du français. Afin de saisir l’ampleur de la présence francophone, il faut surtout fréquenter les mêmes lieux que les gens de la place. J’ai rapidement constaté que l’anglais est l’unique langue d’affichage dans les commerces et les entreprises, mais que l’affichage voile complètement la réalité sociolinguistique locale. Le français jouit d’un certain statut dans le nord du Maine. Si le français est très peu écrit, il est souvent parlé, notamment lorsqu’il est question de s’entretenir avec des amis et de la parenté. Toutefois, même si l’anglais domine largement les échanges formels, il est possible d’affirmer sans se tromper que le français sert parfois en contexte de travail, au magasin ou même dans le cadre de certaines réunions. Au début de mon séjour en sol américain, j’ai souvent été surpris d’entendre des gens qui s’entretenaient en français dans une épicerie, dans une pharmacie, dans un dépanneur ou dans un restaurant.

Une exception existe chez les plus jeunes. La plupart des jeunes qui ont moins de 25 ans utilisent très peu le français en public. Nous y reviendrons plus tard, mais je dois avouer que plusieurs jeunes d’à peine vingt ans s’adressent à des clients en français (dans un français plus cassé que celui de la génération précédente toutefois) dans certains commerces de la région. En fait, il m’est arrivé de commander un café en anglais et de le recevoir en français. On avait sûrement détecté un accent chez moi! Bref, la présence du français dans le nord du Maine est indéniable. Au-delà de mes observations, quelques sources prétendent que plus de 85% de la population de la ville de Madawaska peut parler le français, tandis que dans les villes voisines, c’est près de 80% de la population qui peut parler le français (c’est-à-dire à Van Buren, à Frenchville et à Ste Agatha – qu’il faut prononcer Sainte-Agathe malgré l’épellation anglicisée donnée par l’État du Maine). À Fort Kent, ville universitaire du nord du Maine, près de 60% de la population peut parler le français.

…malgré un manque d’institutions

Ce qui m’étonne le plus dans toute cette histoire, c’est que la population acadienne du nord du Maine continue de parler français même si elle ne possède pas de véritables institutions. Elle possède quelques organismes communautaires (dont le Maine Acadian Heritage Council et des sociétés historiques dans chaque ville et village), quelques lieux symboliques (dont certaines églises et le Village acadien de Van Buren) et quelques festivals (dont le Festival acadien de Madawaska notamment), mais elle ne possède pas la pleine gestion des institutions d’éducation (de l’école primaire jusqu’au postsecondaire) ou des institutions de soins de santé (c’est-à-dire aucune clinique médicale, aucun hôpital, aucun foyer de soin). Même si elle est majoritaire sur le territoire, la population acadienne doit exprimer, plus souvent qu’autrement, ses idées et ses doléances (ses bobos même) en anglais et rien ne garantit une réponse favorable de la part des autorités. Il est possible de constater les conséquences de cette situation dans les écoles primaires et secondaires notamment.

Photo : Luc Léger.

Photo : Luc Léger.

L’école joue un grand rôle quand vient le temps de transmettre des référents culturels et une langue aux plus jeunes générations. Malheureusement, le système d’éducation américain fait peu de place à l’Acadie et fait encore moins de place à la langue française. Depuis quelques années, les programmes d’immersion mis en place dans les années 1990 ont été éliminés et l’offre de cours de français a chuté en raison de compressions budgétaires. Le français est enseigné dans les écoles, mais il est enseigné comme s’il s’agissait d’une langue étrangère ; laissant ainsi un vide en matière de transmission culturelle. Cette situation explique pourquoi la population acadienne du nord du Maine peut parler en français, mais éprouve de la difficulté à écrire ou à lire dans cette langue (ce qui explique, en partie, l’omniprésence de l’anglais au niveau de l’affichage). Le phénomène n’est pas encore présent dans le nord du Maine, mais dans d’autres régions de l’État qui ont également un passé francophone, l’offre de cours en espagnol dépasse largement l’offre de cours en français.

Certaines personnes plus âgées m’ont affirmé que les écoles du nord du Maine ont favorisé l’assimilation des jeunes acadiens. À une certaine époque, les jeunes arrivaient à l’école sans connaître un seul mot d’anglais. Le traitement qu’on réservait à ces jeunes a fait en sorte de diminuer la valeur du français. Les parents qui avaient eu honte de ne pas pouvoir s’exprimer en anglais décidaient donc de transmettre l’anglais à leurs enfants avant de les envoyer à l’école. Dans les écoles, on disait aux jeunes que le français parlé dans la région n’était pas un bon français. On leur faisait croire qu’il valait mieux maîtriser l’anglais pour réussir dans la vie. On leur avait répété : « Be wise, speak English ». Les jeunes étaient même invités à dénoncer leurs amis quand ils parlaient en français. En plus de cette situation dans les écoles, il ne faut pas oublier que le Ku Klux Klan était particulièrement actif au Maine et menaçait les francophones. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais il ne faut pas s’étonner que plusieurs personnes hésitent toujours à parler en français dans certains contextes!

À suivre. Dans la troisième partie, il sera question de la vitalité linguistique, de la situation des jeunes et du Congrès mondial acadien 2014.

À propos…

Luc LégerLuc Léger est originaire de Moncton. Il détient un baccalauréat en science politique et une mineure en études françaises de l’Université de Moncton ainsi qu’une maîtrise en science politique de l’Université Laval. Il est présentement inscrit au programme de doctorat en sociologie à l’Université d’Ottawa. Il est un des cinq membres fondateurs de la revue Astheure.

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3 réponses à “De la francophonie au Maine (partie 2) – Luc Léger

  1. Pingback: De la francophonie au Maine (partie 1) – Luc Léger | Astheure·

  2. J’ai trouvé votre texte très intéressant! Il semble que ça se compare presque étant dans le Maine, et d’être en partie assimilé du Nouveau-Brunswick. À Moncton, je ne lis jamais en français autre que pour l’école (école française malgré), ou regardé la télévision ou des films français. Mes amis et moi n’ont jamais écouté de la musique française non plus. Shania Twain était plus populaire que Suroit.
    Mais parler en français à l’épicerie avec ma mère, bien sûr! Ou à un pique-nique familial. Je n’ai pu honte Asteur…C’est comme j’ai manqué un bateau culturel!

    Mais, pour la majorité de ma famille à Memramcook, ont irait au docteur en anglais parce que c’est plus facile dans cette langue, juste comme que c’est chez le mécanicien. Peut-être c’est parce qu’ont est entouré d’anglophones.

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