Dans L’Acadie Nouvelle du samedi 2 novembre 2013, deux pages (écrire « un dossier » serait exagéré) consacrées à nos maisons d’édition. Les fermetures annoncées des Éditions de la Francophonie et des Éditions Karo si ces maisons ne trouvent pas d’acheteurs interrogent aussi bien les autres éditeurs interviewés que notre société prise dans son ensemble.
Mais attention: pourquoi ces maisons en sont-elles rendues là?
Pour les Éditions Karo, c’est relativement simple: des livres pour enfants et la jeunesse (la mission de la maison) qui ne se démarquaient pas et qui se heurtent à un marché hautement compétitif. Carole Noël parle de l’insuffisance des subventions et d’une certaine façon elle a raison. Mais les subventions fédérales (les plus importantes) suivent la qualité: elles ne la précèdent pas. Et j’ai l’impression que dans un petit milieu comme le nôtre, une maison est suffisante: Bouton d’or Acadie remplit fort bien ce créneau et il ne faut pas oublier que La Grande Marée en produit également. Dommage, mais c’est ainsi.
Le cas des Éditions de la Francophonie est beaucoup plus complexe. La maison est unique en son genre. La plupart de ses ouvrages ne sont pas des oeuvres littéraires, mais des témoignages, des autobiographies, des essais populaires qui ne sont pas éligibles à des subventions. Il faut donc qu’ils soient « rentables ». D’où le système de partenariat d’affaires mis au point par Denis Sonier et sa femme Faye Breau: l’auteur investit de son propre argent et on partage les profits (quand il y en a, ce qui semble être souvent le cas).
Si ma mémoire ne me joue pas de tour, les Sonier/Breau impriment leurs ouvrages dans leur imprimerie, ce qui n’est pas négligeable. Un nouveau propriétaire n’aurait pas ce privilège à moins de posséder lui aussi une imprimerie.
Denis Sonier et Faye Breau font un travail exceptionnel de promotion ce qui permet à leur maison d’attirer de nombreux manuscrits. Ce type de maison d’édition est souvent passif: on réalise l’ouvrage payé entièrement par l’auteur puis l’auteur se débrouille, ce qui n’est pas du tout le cas des Éditions de la Francophonie: il faut voir le couple Sonier/Breau à l’oeuvre dans les salons du livre, dans les très nombreux lancements, dans leurs efforts de mise en marché (leur site Internet est toujours à jour). C’est cette extraordinaire énergie qui a fait de cette maison un succès.
Quel serait l’impact sur la littérature acadienne si ces deux maisons disparaissaient? Aucun: les auteurs d’oeuvres littéraires sont bien servis par Perce-Neige, La Grande Marée, Bouton d’or Acadie et les maisons de l’extérieur de l’Acadie. Les Éditions Prise de parole (Sudbury) et les Éditions David (Ottawa) ont largement ouvert leurs portes à nos auteurs. Plusieurs maisons québécoises sont également accueillantes. Par exemple Leméac, Boréal, Trois-Pistoles et XYZ. Si l’oeuvre est bonne (littérairement parlant), elle trouvera preneur.
Ce sont les auteurs de romans populaires, des témoignages, des autobiographies, des biographies (le plus souvent familiales) qui auront à se trouver un autre éditeur. En soi, trouver un éditeur qu’on paye n’est pas difficile. Ce qui est loin d’être évident, c’est de trouver ailleurs la qualité de service qu’offre La Francophonie, tant pour l’édition que pour la mise en marché. Là, il risque fort d’y avoir un problème si personne ne reprend la mission et la façon de faire des Sonier/Breau.
À propos…
David Lonergan est Québécois de naissance et vit en Acadie depuis 1994. Il a travaillé dans divers domaines : théâtre, journalisme (écrit, radio, télévision), enseignement (au secondaire puis à l’universitaire). Il a publié plusieurs livres dont plus récemment aux Éditions Prise de parole, Paroles d’Acadie : anthologie de la littérature acadienne 1958-2009 (2010) et Acadie 72 : naissance de la modernité acadienne (2013).
Content que M. Lonergan se soit trouvé une nouvelle tribune!