Ce texte est le deuxième d’une série de trois portant sur la Loi sur l’inclusion économique et sociale adoptée par Shawn Graham en 2010. Le premier texte de la série est disponible ici.
Le gouvernement de Shawn Graham a adopté la Loi sur l’inclusion économique et sociale (LIÉS) en février 2010 et s’est empressé de mettre en place une nouvelle société de la Couronne avec nos deniers publics, soit la Société d’inclusion économique et sociale (SIES). Au même moment il a annulé, pour 2009 et 2010, les augmentations des taux de base de 2% pour les milliers d’individus et familles vivant d’aide sociale. On a donc pris les fonds qui auraient dû aller aux assistés sociaux pour financer cette nouvelle société.
La nouvelle société de la Couronne s’est dotée d’un Conseil d’administration de vingt-quatre personnes dont quatre co-présidents provenant du gouvernement, du secteur des affaires, du milieu communautaire et une personne représentant les personnes en pauvreté. Elle a mis en place douze Réseaux d’intégration communautaire (RIC). La livraison de tous les services de cette société de la Couronne va désormais se faire par ces réseaux. La prise de décision et la responsabilité sociale dans ce dossier seront dorénavant encore plus éloignées des élus à l’Assemblée législative.
Entre 2010 et 2013 le budget original de cette nouvelle société a presque doublé passant de 1,680 $ million à 2,789 $ millions de dollars. Cependant, dans le budget provincial de 2013-2014, nous ne retrouvons plus les montants exacts octroyés à la SIÉS.
Les réseaux communautaires d’intégration deviennent la voie par laquelle les gens vivant en situation de pauvreté auront accès aux services tels que l’intégration au travail, le mentorat-littéracie, le transport en commun, le développement économique communautaire, les entreprises sociales et l’établissement des priorités en matière d’habitation. Cette allocation des services publics à ces nouveaux réseaux a des répercussions énormes. Elle soulève des questions importantes dans cinq domaines: a) la polarisation urbaine-rurale;
b) le respect de la Loi sur les langues officielles; c) la formule budgétaire qui sera
entachée par le lobbying politique; d) les défis que pose la livraison de services par le secteur communautaire sans but lucratif; et e) le rôle du secteur privé dans les prises de décisions majeures.
Je sais bien que toutes les régions rurales n’ont pas développé le même niveau de services communautaires que les trois grandes régions urbaines de Saint-Jean, Fredericton et Moncton. Cette réalité m’amène à me poser trois questions : Quel poids réel auront les organisations bien établies comme Centraide, Vibrant Communities ou le Centre de Bénévolat de la Péninsule acadienne sur les orientations des RIC ? Comment sera comblé le déséquilibre rural-urbain dans le nombre et la qualité des services offerts aux personnes vivant en situation de pauvreté ? Quelle place réelle auront les gens vivant en situation de pauvreté dans ces Réseaux d’intégration communautaire ?
Je suis bien conscient de la nécessité d’inclure les régions dans la conversation lorsqu’on met en place de nouveaux services, mais la réalité présente c’est que les Réseaux d’intégration communautaires décident de leurs priorités et mettent ainsi en place des services disparates et inégaux. Il n’y a pas de vue d’ensemble et de services semblables pour l’ensemble de la province. Le résultat : une couverte piquée mal cousue comme le démontrent les rapports des histoires de réussites des RIC.
Un des défis majeurs identifiés dès les débuts par le Front commun pour la justice sociale était la capacité pour les organisations communautaires de donner aux citoyennes et citoyens des services dans la langue de leur choix. Nous savons tous comment il est parfois difficile d’obtenir un service dans sa langue lorsque ce service est donné par le gouvernement provincial, imaginez si ce service est donné par un organisme communautaire. Présentement, la majorité des organisations communautaires ne peuvent le faire.
La nouvelle Société d’inclusion économique et sociale avait pris comme position que les RIC, dont les organismes communautaires qui les composent, n’étaient pas assujettis à la Loi sur les langues officielles, donc n’avaient aucune responsabilité de donner des services dans la langue de choix de leurs clients. Le Front commun a déposé une plainte en janvier 2011 devant le Commissaire aux langues officielles lui demandant d’étudier la question. Sa décision de mai 2012 était très claire et donnait raison au Front commun :
Contrairement à ce que semble avoir conclu la SIÉS, nous jugeons que les RIC sont des tiers assujettis à l’article 30 de la LLO (Loi sur les langues officielles) et, à ce titre, ont les mêmes obligations en matière de langues officielles que celles que doivent respecter les institutions du gouvernement provincial. Nous sommes parvenus à cette conclusion en nous inspirant notamment de la Loi sur l’inclusion économique et sociale et de son règlement. En effet, cette Loi donne un pouvoir de contrôle et de supervision à la SIÉS, pouvoir qui lui permet non seulement de reconnaître un groupe à titre de réseau, mais de suspendre ou d’annuler cette reconnaissance. Selon le Règlement, un des motifs que peut invoquer la SIÉS pour suspendre ou annuler une reconnaissance est que le réseau « ne répond pas aux besoins linguistiques des deux communautés linguistiques officielles dans la région où il œuvre ». Cette responsabilité selon nous est semblable à celle qu’ont les institutions en vertu de l’article 30.
Le commissaire Michel Carrier faisait trois recommandations dont une qui demande que « la Société d’intégration économique et sociale élabore une planification stratégique à l’intention des Réseaux d’intégration communautaires contenant notamment, politiques et des lignes directrices claires, échéanciers pour l’implantation de mesures correctives et outils d’évaluation afin d’assurer que les réseaux agissent en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires en matière de langues officielles. »
Il reste maintenant à savoir comment les Réseaux vont mettre en application cette décision dans le travail de tous les jours lorsqu’on sait qu’elle n’est pas légalement contraignante.
D’autre part, les députés provinciaux sont sollicités par les citoyens, les employeurs et les organismes communautaires pour différentes questions, dont l’obtention de financement. La mise sur pied des Réseaux d’intégration communautaires ne va qu’accentuer cette tendance. Les RIC devront soumettre des demandes pour des budgets de fonctionnement et pour des projets. Imaginez les énergies dépensées par les bénévoles et le personnel pour convaincre leur député. Les Réseaux des milieux ruraux sont encore une fois désavantagés. Comme exemple nous avons le RIC de Moncton avec ses six députés dont trois ministres et celui de Restigouche avec seulement trois députés et aucun ministre.
Enfin, que vient faire le secteur privé dans la lutte contre la pauvreté? Ce secteur, en particulier les petites et moyennes entreprises, a généralement été contre toutes mesures pouvant réduire la pauvreté ; que ce soit l’augmentation du salaire minimum, la hausse des taux de bien-être social, l’équité salariale ou même un système public de garderie. Le désir du secteur privé de jouer un rôle dans les réseaux d’intégration communautaires pourrait être dû, soit au fait qu’il y voit une possibilité d’influencer les politiques sociales, soit qu’il perçoit là un moyen de redorer son blason, ou possiblement qu’il entrevoit là une nouvelle source de revenus par le biais de contrats privés.
Un dernier point, mais non le moindre, est la question de la transparence et de l’imputabilité. Lorsque les services à la population sont livrés par le gouvernement provincial, le public a accès aux rapports annuels, il peut faire appel à son député pour faire connaître son point de vue, poser des questions. Il peut déposer une plainte au Commissaire aux langues officielles, faire appel à l’Ombudsman ou demander de l’information en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. En d’autres mots, le citoyen a des recours tandis qu’avec un service ou un programme d’un organisme communautaire ce n’est absolument pas le cas.
On détruit ainsi un pan important de notre filet de sécurité sociale, composé de programmes publics basés sur une accessibilité qui ne dépend pas du lieu de résidence, de normes communes dans la livraison des services et de l’universalité d’accès. Présentement on transfère des argents publics pour soutenir les organismes communautaires qui ne sont pas imputables. On assiste dans les faits au désengagement de l’État par rapport à la lutte pour réduire la pauvreté et la gérance de cette pauvreté par le secteur communautaire.
La décision du gouvernement Alward d’amorcer le renouvellement du plan pourrait laisser penser que nous en sommes à la cinquième année du début du long chemin pour réduire la pauvreté dans notre province. Mais attention, en sommes-nous vraiment à la cinquième année, ou plutôt à la troisième année ? Le Plan n’a été adopté qu’en février 2010. Est-il possible que le gouvernement Alward se sente pressé de renouveler le plan pour essayer de redorer son blason avec la lutte contre la pauvreté avant les prochaines élections ?
À propos…
Jean-Claude Basque est originaire de Tracadie, mais demeure à Moncton depuis 1996. Pendant plus de quarante années, il fût impliqué dans des causes sociales et syndicales. Depuis sa retraite, il est le coordonnateur provincial bénévole du Front commun pour la justice sociale du Nouveau-Brunswick.
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