Mon identité, c’est mon passé regardé avec mes yeux du présent.
Je suis qui j’étais. Je suis la somme de mes « moi ». De mes émois.
Ma mère se disait Acadienne. Moi je me disais Brayonne et rien d’autre. L’Acadie, j’en avais rien à foutre. C’était quoi ça de toute façon l’Acadie? Le monde qui parle chiac? Je ne parle pas chiac. Non, l’Acadie c’était les maux de tête causés par la musique de 1755 en route vers Dalhousie avec mes parents. « J’suis tired d’me voir promener sur les highway », ma situation était plutôt « J’suis tired d’écouter 1755 sur les highway » huh! L’Acadie, c’était aussi mon père qui me taquinait en me disant que je ressemblais à la Sagouine quand je me mettais un foulard sur la tête. L’insulte du siècle! L’Acadie, c’était les Méchants Maquereaux, leurs gros houmards et leurs pets-de-soeur à Nouel. L’Acadie, c’était quelque chose de folklorique et cet espèce de rapport constant avec un passé lourd de déportation qui n’avait rien à voir avec moi. Je ne m’y identifiais pas. J’étais trop moderne pour l’Acadie. Je déménageais à Montréal et ce n’était pas parce que ma branche de Richard venait d’Acadieville que j’allais me dire Acadienne. Oh non! J’étais Brayonne, un point c’est tout.
Mais l’an passé, en regardant L’Acadie, l’Acadie !?! de Brault et Perrault, tout ça a changé. Irène, Bernard, Blandine, Michel… Ces jeunes acadiens en 68, c’était moi. Je me sentais comme eux. Cynique, incertaine, perdue. Francophone hors-Québec désillusionnée par l’utopie d’un Canada beau, uni et multiculturel. Bien que le documentaire venait confirmer une vision plutôt pessimiste d’un avenir qui était en fait mon présent, ça a étrangement allumé quelque chose en moi. Comme si je venais de trouver ce qui me reliait aux autres francophones qui, comme moi, se sentiront jamais vraiment chez eux au Québec, mais qui doutent qu’une Acadie instable et éparpillée soit l’endroit propice pour s’épanouir. Me dire Brayonne et rien d’autre, c’était m’isoler de ces gens-là. C’était faire de moi une minorité dans une minorité, alors qu’on ne devient plus fort qu’en s’unissant.
J’étais peut-être donc Acadienne…
Peut-être que l’Acadie c’est ma mère, son accent, son amour de la mer, mon amour de mère. L’Acadie, c’est peut-être aussi mon père, son Acadie Nouvelle quotidienne, son drapeau acadien qu’il accroche sur la maison la semaine du 15 août, quitte à être le seul du quartier à s’afficher aussi fièrement. L’Acadie, c’est mon enfance, la plage de Cap-Pelé, mon grand-père qui pêche des coques. L’Acadie, c’est mon arrière grand-père qui a changé son nom de famille d’Aucoin à Wedge histoire de se décrocher un emploi, parce qu’un nom de famille anglophone passait mieux à l’époque. L’Acadie, c’est mes parents, leur histoire d’amour qui a commencé à l’Université de Moncton, cette grande rassembleuse des francophones du Nouveau-Brunswick. L’Acadie, ce n’est pas seulement dans l’Histoire, mais bien au cœur des relations. L’Acadie, ce n’est pas seulement dans les accents, mais plutôt une manière particulière de voir le monde. L’Acadie, c’est surtout une façon d’être, un sentiment de familiarité et une grande partie de qui je suis, que je le veuille ou non.
L’Acadie, au fond, c’est juste un mot. Polysémique et complexe. Un tout petit mot qui vient faire vibrer la corde sensible qu’est l’identité. Une identité difficilement définissable justement par un seul mot.
Je suis Sophie, 7 ans, frustrée, qui ne veut pas ressembler à la Sagouine, mais qui aime la poutine râpée.
Je suis Sophie, 20 ans, qui fait un « road trip » Edmundston-Beresford-Caraquet-Bouctouche-Moncton en écoutant Radio Radio en boucle et qui trouve un mot de plus pour s’identifier.
Je suis qui j’étais. Je suis la somme de tous ces « moi ». De mes émois.
(Texte composé le 30 septembre 2011)
À propos…
Sophie Richard est originaire d’Edmundston. En 2009, elle déménage en terre québécoise afin de poursuivre ses études à l’Université de Montréal. Lorsqu’elle rencontre des Québécois et qu’ils apprennent qu’elle vient du Nouveau-Brunswick, on lui fait souvent la remarque : « Ah, t’es une p’tite Acadienne! ». Ainsi commence le long questionnement identitaire d’une Brayonne en exil. Passionnée par le web et intéressée par la philosophie, elle termine présentement une maîtrise en communication qui porte sur l’éthique de travail des entrepreneurs issus du capitalisme cognitif.
Un récit individuel touchant, nuancé, sensible et d’une telle profondeur que d’aucuns ayant résidé ou rêvé à l’Acadie se sentent interpellés. Par votre histoire bien personnelle, vous semblez transpercer le mal de vivre Acadien que certains, dont Irène et Bernard, ont vécu. Mais vous saisissez aussi tout le potentiel libérateur de l’identité acadienne, son avenir prometteur. Votre récit, en partant du moi, émoi en effet. Il évoque des émotions de nostalgie et de fierté pour plusieurs Acadiens dont moi-même. Une histoire bien singulière qui touche l’universel. Vous n’êtes pas la première « p’tite acadienne » à être ainsi identifiée par des Québécois obsédés par les accents atlantiques. Mais je pense que vous en être une des meilleures ambassadrices.
Pingback: Plus de 200 publications depuis le lancement : Astheure on fait quoi? – Collectif | Astheure·
J’aime lire ces propos au sujet de ce que représentent nos racines acadiennes. De par trois grand-parents, mes racines sont acadienne, il n’y a pas de doute. Et de par un grand-père, mes origines sont irlandaises et québécoises. Je suis née « Brayonne » et de ce joyeux mélange, je ne ressens pas de dominance d’une culture par rapport à une autre. Cependant, j’ai le caractère forgé de ce que m’ont légué mes vaillants ancêtres, et je suis faite de ce qu’ils ont vécu. Mon éducation a été celle qui était donné dans mon coin de pays, avec les façons d’être et de penser des gens qui m’ont entourée, façonnée. Je ne pourrai jamais nier cette culture, elle fait partie de moi. Bien que j’aie choisi de vivre au Québec depuis plusieurs années, je suis différente d’une Québécoise née au Québec de parents québécois. Mes origines sont indéniablement d’Acadie puisque j’en suis de descendance et de cette partie de l’Acadie moins bien connue, le Madawaska où logent les Brayons. Les gens qui s’y sont installés arrivaient, selon les faits historiques, de certains endroits démantelés où ils n’étaient plus les bienvenus. Ce sont des survivants de ces batailles de territoires qui caractérisaient tous les pays. Je ne ressens pas le besoin de faire quoi que ce soit parce que je suis Acadienne, ni d’affirmer ma différence, je la vis, je la ressens. Je ne suis pas en bataille pour exister, j’existe et mes descendants existeront, c’est un fait, c’est une réalité l’Acadie.
Tres d’accord….tant quon me laisse le choix de choisir ce que je veut etre MOI,j’ai zero probleme avec sa……..j’ai autant de racine acadienne que quebecoise,donc je suis acadien,C’est sur!!!! Par contre je demeure pas au Quebec (meme si j’ai plus de parenter par labas!)
Je me dit Brayon avant tout…..et pas personne ne pourra changer mon point de vue la dessue,MAIS jai une Opinion qui diverge des Brayon pur et dur…..Etre Brayons c’est aussi etre acadiens!!! 🙂
J’ai evoluer dans ces dernier mois,P-E que l’aura du CMA fait son oeuvre qui sais…….Mais a priori certains pur et dur Acadien qui vienne me dire ce que je devrait etre et resentir,peut-etre que c’est sa qui me fesait suer au plus haut Point…..au point d’en etre presque un acadien hater….
J’ai 31 ans dans 7 jours,et je faif maintenant mes propre choix,Ce que les autre pense je m’en sacre litteralement,je suis Brayon ET Acadiens, Comme un Quebecois peut-etre Quebecois ET Canadien,et ce a son Choix!
Merci de respecter mon opinion!
dsl la mon francais….
La définition qui m’a semblé le plus juste, c’est la suivante: comme l’Acadie n’a pas de frontières précises, être Acadien, c’est participer au projet de société que se veut l’Acadie, de près ou de loin, comme on le peut. Ça peut sembler bien peu, mais à mon sens, c’est déjà beaucoup. Pi Montréal, ça peut sembler loin, mais c’est pas si loin que ça 🙂
C’est beau comme définition. J’adopte! 🙂
Connaitre l’histoire de ces ancetres est un excellent moyen de savoir ou on en est…. Savoir ou ils ont vécu, qui ils étaient… Il n’y a rien de pareille
Guillaume si je me fit a sa,je suis avant tout Quebecois……je ne suis PAS quebecois,j’ai j’amais vecu labas….Est-ce quon dit a un imigrer Polonais quil est uniquement Polonais???
Non ils est maintenant canadien……C’est une question d’identite,Donc,par le fait meme une question de choix personel!!
Je n’ai jamais réussit à voir la différence culturelle entre mon père Gaspésien et ma mère acadienne!
Je n’ai jamais réussit à voir la différence culturelle entre mon père Québécois de la Gaspésie et ma mère de Caraquet, NB sur la péninsule acadienne! Mes ancêtres ont pêchés la morue des deux cotés de la baie des chaleurs.
Mes recherches généalogiques m’ont appris que mes ancêtres des deux rives de la baie-des-chaleurs revenaient avec plus que de la morue… … mais bien avec les plus belles filles des deux rives ! De plus, la Gaspésie a été peuplée par les Acadiens après la déportation, avant que ceux-ci se rendent sur la péninsule acadienne !
C’est ce qui fait que je partage cette belle dualité depuis des siècles!
D’ailleurs, les acadiens des deux rives ont un autre point en commun, c’est-à-dire le métissage avec les Mi’kmaq et Wolastoqiyik.
Je crois que ces histoires sont du « diviser pour régner » révisioniste et fédéraste canadian!
Moi en tout cas, je suis Québécois d’origine Acadienne, comme ceux de la Gaspésie, des Iles de la Madeleine et de la Côte Nord.
On estimait, en 1996, qu’il y un million de Québécois avec un patronyme (nom de famille) acadien (étude Léger et Léger), et 3 millions de Québécois avec des ancêtres acadiens (Étude UQAM), soit 1 francophone au Québec sur deux!
Vous insinuez que les Acadiens et les Métis ne peuvent être Québécois ?
Ne te déplaise, je suis :
-Ex-franco-hors-Québec, d’origines métis et acadienne,
-fier Québécois depuis quarante ans,
-et canadian… par la force des choses et temporairement …. sur papiers seulement!
c’est bien beau mais où est-ce qu’on en est?
c’est merveilleux de se découvrir sois-même mais comme dirait E. Chiasson les yeux n’en finissent pas de s’ouvrir.
j’ai adoré la mention de « Acadie?Acadie! » qui est un film trop peu connu que j’ai moi aussi découvert que récemment (j’ai également 20 ans). je me lis aussi à ce sentiment de révolte, de confusion, de mépris, de mécontentement et d’éparpillement, mais où est-ce qu’on en est?
une identité c’est peut-être aussi ce qu’on en fait, alors veut-on n’en faire que des balades en voitures en écoutant nos musiques en se contentant de dire « je me découvres », ou veut-on aussi, comme les « agonis », au sens grec du terme, de ce film, faire progresser les choses
C’est une excellente réflexion. Disons que bientôt 4 ans plus tard, je ne suis pas tellement plus avancée. La seule différence est que je me sens plus attachée à l’Acadie et que j’essaie de m’impliquer dans certaines choses quand je le peux à Edmundston avec espoir que la région se développe et offre quelque chose d’intéressant pour donner aux gens le goût de rester. L’ironie est que j’habite toujours à Montréal et que je me sens plutôt loin de la réalité acadienne par moment. Ce que je fais de mon identité, pas grand chose, enfin, de toutes petites choses. Le vrai problème est que je ne sais pas plus quoi faire qu’avant, quelles actions poser, par où commencer… C’est probablement très décevant, mais à ta question « Où est-ce qu’on en est? », ma réponse est: pas ben loin… Je demeure néanmoins ouverte aux suggestions.