Après plus d’un an de consultations en messes basses, le gouvernement conservateur du Nouveau-Brunswick a présenté, le 14 juin dernier, un projet de loi visant à modifier la Loi sur les langues officielles. Le projet de loi était attendu depuis un bon bout de temps et vient clore une période de révision de la Loi entamée en juin 2011. Une révision, que le gouvernement n’avait pas le choix que d’entreprendre, puisque, depuis sa dernière mise à jour en 2002, il est désormais prévu qu’elle sera révisée tous les dix ans. Une sage décision du gouvernement de l’époque qui pousse nos dirigeants à s’attaquer, au moins une fois de temps en temps, à un sujet que la plupart d’entre eux aimeraient surement éviter.
D’autres que moi seront mieux placés pour analyser le contenu de la nouvelle version de cette Loi qui, entendons-nous, demeure extrêmement importante pour tous les Néo-brunswickois et pour les Acadiens en particulier. Même si elle pourrait toujours faire preuve d’un peu plus de mordant.
Ce qui retient mon attention, c’est plutôt le manque de débat public entourant cette révision. D’ailleurs, on ne s’étonnera pas de voir que le projet de loi reçoit l’appui unanime des libéraux et des conservateurs. Même que le projet de loi aura été présenté lors d’une conférence de presse commune du premier ministre David Alward et du chef de l’opposition Brian Gallant. Fait rarissime, le chef de l’opposition est même cité dans le communiqué de presse officiel du gouvernement.
Je ne m’étendrai pas sur le fait que la conférence de presse a eu lieu un vendredi. On peut bien leur donner le bénéfice du doute, mais tous ceux qui ont déjà travaillé dans les médias vous diront que c’est généralement une bonne façon d’essayer de noyer le poisson.
Non, ce qui étonne, c’est que dès que l’on parle de langues officielles au Nouveau-Brunswick, libéraux et conservateurs réussissent étrangement à mettre de côté leurs différents. Bon, il y a bien des dérapages de temps en temps. Les Jim Parrot de ce monde pourront en témoigner. Mais quand on y regarde de plus près, on se rend vite compte que, dès qu’un projet de loi touche aux langues officielles, il réussit à être adopté en un temps record et en recevant un appui unanime des deux bords de la Chambre des communes.
Ce fut notamment le cas en 2010 lors de l’adoption du projet de loi 58 qui visait à amender la réforme de la santé entreprise par le ministre Michael Murphy et qui entraina le dépôt d’un avis de poursuite de la part d’Égalité santé en français. L’enjeu était pourtant controversé et plusieurs députés conservateurs s’étaient inquiétés publiquement de ce qu’ils voyaient alors comme une volonté d’imposer la dualité linguistique en santé. Mais lorsque vint le temps de voter, hey tout était cool.
Loin de moi l’idée de jouer les trouble-fête. Après tout, on devrait se réjouir que nos élus puissent arriver à un consensus sur les questions linguistiques. On ne voudrait quand même pas un retour du CoR, non?
Ce qui m’inquiète, c’est plutôt que ces apparences de consensus ne cachent, en réalité, un profond malaise de notre classe dirigeante face aux questions linguistiques. Nos politiciens essayent tellement dur de projeter un air d’harmonie joviale qu’on ne peut qu’être un peu suspicieux. Après tout, ça reste des politiciens…
C’est comme s’ils avaient tellement peur de s’attirer les foudres de l’électorat que les deux principaux partis politiques provinciaux en étaient arrivés à un genre d’entente tacite. Et ce, peu importe lequel est au pouvoir. Depuis, les langues officielles sont off limit. Quand on en discute vraiment, c’est dans le cadre de comités bipartisans et généralement derrière des portes closes, comme ce fut le cas pour la révision de la Loi sur les langues officielles. Comme ça, tout reste bien clean. La Anglo Society a à peine le temps de gueuler, puis on passe à autre chose.
Mais est-ce vraiment sain de toujours prendre avec des pincettes, ce qui reste un élément incontournable de l’identité néo-brunswickoise?
En s’entendant toujours avant de passer au vote, les libéraux et les conservateurs semblent plutôt vouloir se déresponsabiliser par rapport à des prises de décisions que, de part et d’autre, l’on voit encore comme politiquement dangereuses. Au moins, si le vote est unanime, la responsabilité est partagée et l’on évite de s’exposer aux reproches de l’autre lorsque viendront les élections. Quant à l’électeur, si les deux partis ont la même position, ce n’est pas là-dessus qu’il basera sa décision. L’on finit donc par défendre les langues officielles, certes, mais sans convictions.
Ensuite le premier ministre nous sort de belles paroles du genre :
« Ces modifications à la Loi sur les langues officielles nous assurent une progression continue des droits linguistiques au Nouveau-Brunswick et elles permettront aux deux communautés linguistiques de la province de mieux se comprendre et de reconnaître les avantages et les possibilités qu’offre le bilinguisme officiel. Ces modifications permettront également de renforcer l’une des caractéristiques les plus importantes du Nouveau-Brunswick : être la seule province officiellement bilingue du Canada. »
Merci monsieur Alward, mais je ne vois pas bien où vous voulez en venir. Est-ce vraiment pour cette raison que vous venez de réviser la Loi sur les langues officielles? Pour réaffirmer que le Nouveau-Brunswick est effectivement la seule province officiellement bilingue au Canada, puis que, yup, c’est pas mal cool.
Pour ce qui est de « permettre aux deux communautés linguistiques de la province de mieux se comprendre et de reconnaître les possibilités qu’offre le bilinguisme », j’ai bien peur que ça aussi ça sonne creux. Comment devons-nous apprendre à mieux nous connaître, lorsque l’on peine à débattre de questions linguistiques en public? En fait, il y a encore bien des raisons de croire que le bilinguisme est encore très mal compris au Nouveau-Brunswick.
Par exemple, la dualité linguistique en éducation est régulièrement critiquée et remise en question dans les médias anglophones. On croirait qu’après quelques quatre décennies de bilinguisme officiel, l’éducation en français pour les jeunes acadiens ne serait plus à défendre, mais pour bien des gens, il s’agit encore d’un gaspillage de fonds publics et d’une source de tensions entre les communautés linguistiques.
Entre temps, la People’s Alliance of New Brunswick a récemment adopté une plateforme aux forts relents coristes et qui s’oppose à peu près en tous points aux revendications récentes de la société civile acadienne. So much pour le dialogue entre les communautés linguistiques.
Bon, je ne voudrais pas suggérer que la majorité des Néo-brunswickois partage ce point de vue. L’Alliance reste un parti assez marginal et les sondages ont généralement tendance à montrer le contraire. Mais je m’inquiète que, pour bien des gens qui ne suivent pas de près les débats linguistiques, ses positions ne sembleront pas aussi radicales qu’elles le sont.
Le problème, c’est qu’en contournant complètement les débats sur la langue, personne au gouvernement ne finit par répondre clairement à ceux qui remettent en cause la légitimité du régime linguistique néo-brunswickois. À long terme, cela pourrait devenir problématique. Il serait peut-être temps que nos élus s’assument un peu mieux dans leurs prises de position et prouvent à tous que la langue est bien plus qu’une patate chaude. Qu’on peut parler de langues officielles de façon franche et honnête sans toujours craindre le dérapage. Après tout, si on continue à traiter le régime linguistique néo-brunswickois comme un sujet controversé, c’est exactement comme cela qu’il continuera à être perçu.
Julien Abord-Babin
Membre d’Astheure.
Je partage aussi ton analyse et je crois qu’il faut continuer à interpeller et à rappeler au gouvernement qu’il a des obligations constitutionnelles envers sa minorité linguistique et que celles-ci passent aussi par une approche d’éducation et de sensibilisation pour que les citoyennes et citoyens de notre Province comprennent ce que cela signifie d’une façon concrète. Et oui il faut prendre le taureau par les cornes et clairement expliquer ce que signifie l’application de ces droits constitutionnels. Bravo pour cette réflexion!
D’accord avec toi, Julien!