« Acadien? Ah non, je ne connais pas ». Cette phrase, les voyageurs et backpackers acadiens qui voyagent dans la francophonie mondiale et qui tiennent à la distinction entre le francophone du Québec et celui du Nouveau-Brunswick l’entendent pratiquement à chaque nouvelle rencontre. Elle survient habituellement tout juste après l’inévitable : « Quel bel accent, vous venez du Québec? ». La question a de quoi faire soupirer et grincer des dents puisqu’une longue explication s’ensuit presque à coup sûr. J’adore le Québec, cette sentinelle francophone qui assure une place à la culture française en Amérique du Nord, mais Grand Dieu, c’est pas là que j’suis né!
Pourtant, c’est en répondant à cette agaçante question et durant les longues explications qui s’ensuivirent où je me suis retrouvé à imiter différents accents acadiens et à gribouiller le drapeau étoilé sur un bout de napkin que je peux dire que je me suis senti membre de patrie.
Force est d’admettre que mes premiers pas sur Astheure se font sur un ton de confidence; je ne me sens pas acadien… ou plutôt, je ne me sens acadien que dans l’exil. Pourtant, je suis un 727 (terme dérisoire que les Acadiens du Nord utilisent pour designer les « fendants » de Caraquet) et j’ai été élevé à deux pas de Sainte-Anne du Bocage au milieu des drapeaux acadiens et des Ave Mari Stella. J’aime avoir un chez-nous lointain même s’il est pour moi plutôt intangible et vaguement identitaire. C’est une bouée de sauvetage en temps de tempête qui rajoute quelques délimitations noires et blanches sur mon gris qui se fait parfois trop vaste à vouloir me faire homme du monde.
Ce besoin de frontière, les chamanes shipibos conibos le reconnaissent et le comblent admirablement à l’aide de la douceur de leurs chants. Ces chamanes ayahuasqueros accompagnent leurs disciples qui voyagent sur l’ayahuasca, une drogue hallucinogène, par des mélodies qu’ils sifflotent et chantonnent doucement. Ces chants qu’ils apprennent lors de leurs propres expériences sur le breuvage des dieux permettent aux voyageurs de voguer en sécurité dans l’immensité d’un océan de possibilité ou, à tout le moins, de contrôler une barque qui risquerait sinon de dériver jusqu’à perdition. À l’image des chants de ces chamanes, ma façon de penser, parler et percevoir le français me tient à l’intérieur de certaines limites qui me permettent de bien vivre l’exil.
C’est donc de loin ou en marge que j’ai appris à aimer une Acadie non officielle. À commencer par Grand-Mère Sainte Anne qui suit mes pas depuis l’enfance. Elle qui veillait sur son bocage à Caraquet, jadis mon terrain de jeu préféré. Il s’agit, sans l’ombre d’un doute, de la sainte acadienne par excellence. Elle qui officieusement a toujours surpassé en importance la Vierge Marie, l’un des symboles d’une Acadie qui dégage parfois une odeur de rance. Les tentatives d’un clergé obtus d’effacer et de remplacer Sainte Anne en officialisant la Vierge Marie, un symbole canonique beaucoup moins controversé, en tant que symbole acadien n’auront suffi à ternir son image puisqu’elle jouit encore et toujours d’une place sur le panthéon des saints Acadiens.
La relation pour le moins antagonique qui unie culture d’élite et culture populaire est un phénomène universel et toujours d’actualité. Lorsqu’un phénomène gagne en popularité et s’installe dans les pratiques populaires sans un accord officiel, il se trouve souvent à suite un groupe de puriste pour tenter d’étouffer le mouvement. Si l’on se tourne vers une Acadie plus actuelle, ce combat des classes engendré par la popularité de la Sainte Anne ne manque pas de rappeler les épreuves que doit surmonter Acadieman, notre first superhero acadien. C’est réellement devant une tâche herculéenne que se retrouve Dano LeBlanc puisque c’est la popularité dont jouit Acadieman qui demande à ce qu’il défende sa création devant les manitous d’une scène culturelle acadienne qui, sans doute, bénéficierait d’un vent de renouveau. Finalement, nous perdons au bout du compte, puisque l’Acadie aurait pu jouir d’une ouverture de plus sur le monde n’eût été de l’annulation douteuse d’un contrat qui aurait permis à ce que la série télévisée Acadieman soit diffusée en France.
Je ne peux faire autrement que de me révolter tranquillement, comme à mon habitude devant l’absurde. Cette absurdité qui m’a poussé hors de mon pays m’a au moins permis de trouver mon Acadie dans une marge qui subit trop souvent les violences silencieuses de dignitaires qui entretiennent jalousement une culture du pouvoir. Les rencontres avec ces symboles qui m’auront amené à trouver un équilibre identitaire à travers une culture qui me donne souvent l’impression de poser mon pied sur une slack line, je les dois, en grande partie à la Professeure-Chercheure Denise Lamontagne qui, à travers la Sainte Anne, a fait de la marge acadienne son sujet de recherche depuis plus de vingt ans.
Avant de réapprendre à aimer ma culture maternelle, j’ai dû me défaire de certains réflexes identitaires et automatismes culturels afin de me donner l’espace pour reconstruire une nouvelle Acadie qui me donne enfin l’envie de me sentir acadien. La Sainte Anne et Acadieman se sont présentés à moi comme deux symboles qui m’auront permis de m’ouvrir à une nouvelle lecture identitaire. Ce Processus de construction, déconstruction et reconstruction ne manque pas de me rappeler la recherche de symétrie à travers le geste que l’on retrouve dans la danse des Poïs, une danse maorie traditionnelle. L’apprentissage de chaque nouveau mouvement oblige à sortir d’une façon symétrique de penser son corps. C’est en se défaisant de certains de nos automatismes corporels qu’il devient alors possible de trouver une harmonie gracieuse dans un geste qui, de prime abord, peut apparaître comme totalement asymétrique.
Finalement, mes détours enchevêtrés m’ont amené à me rendre compte que je me sens acadien sans l’être complètement. Mon article se présente comme un patchwork d’idées et de symboles puisque ma culture je la vis dans mes méandres identitaires qui s’avèrent nécessaires à une lente construction qui, je le souhaite, est loin de se terminer. En fin de compte, je sais très bien que je ne peux faire autrement que de continuer à danser avec l’idée d’une Acadie qu’on pourrait qualifier de marginale.
À propos…
Jean-Daniel Boudreau :
J’ai ragé devant l’idée d’écrire une bio durant près de deux heures. Parler de moi-même à la troisième personne m’apparaît comme foncièrement absurde. Devant ma défaite face à cette tâche fastidieuse, je me vois contraint à utiliser l’honnêteté du « Je » pour passer un message qui se veut à la base très simple : J’adore l’idée véhiculée par Astheure et j’ai soulevé le stylo pour noircir mes pages blanches afin de contribué à ce site internet qui, je le crois bien, répond admirablement à un Désir de Dire qui touche actuellement l’Acadie!
Génial comme perspective.. Petit bémol/nuance à ta définition de l’Acadie quand tu la limites aux francophones du Nouveau-Brunswick, alors que justement la diaspora que tu évoques a des racines plus larges. C’est un autre débat, mais je trouve que bien souvent les francophones du Nouveau-Brunswick s’approprient à tort l’Acadie (un peu comme le Québec le fait francophone au Canada/en Amérique du nord) alors qu’on l’est tout autant que les néo-écossais, insulaires, terre-neuviens, gaspésiens, madelinots, et autres de ce monde.. Bref, petit clin d’oeil à ton clin d’oeil. Et tout à fait d’accord sur la notion de la prise de conscience de l’acadienneté de par le voyage. Personnellement, je ne me suis jamais senti autant acadien qu’au moment où après avoir pris l’avion et le train pour me rendre à Namur en Belgique voir un spectacle et de rencontrer l’artiste de ce spectacle que j’étais venu rencontré, il m’a signé l’album que je lui ai tendu de la phrase « À ton étoile ». Ça voulait tout dire.
Très bel article mon ami! Moi aussi c’est quand je voyage que j’me sens plus acadien! C’est comme tes pieds, tu ne sentira pas tes pieds dans la douche, mais si tu enlève tes soulier après avoir marché une longue distance, c’est la que tu les sens !