Le P de la peur – Gabriel Robichaud

… et de la POÉSIE! Non. Attendez. Ne partez pas tout de suite. Donnez-moi au moins une chance. Après, j’arrête de vous tanner avec ça. Je vous le jure! Vous m’accuserez sans doute d’être vendu d’avance au sujet. « C’est clair que t’es biaisé, t’en écris de la poésie ». Je ne saurais vous blâmer. Je ne saurais non plus être d’accord avec vous. Parce que je n’ai pas toujours aimé la poésie et, encore aujourd’hui, il y a beaucoup de poésies qui me déplaisent.

Commençons par un fait vécu. Depuis 2 ans, j’ai donné plus de 80 ateliers scolaires, de la 3e à la 12e année, et ce, dans 4 provinces du Canada. Pourquoi je vous en parle? Pour cette simple raison : après avoir côtoyé au moins 8000 élèves de tous âges, j’en reviens à cette conclusion : en général, on connait très mal la poésie. Pourquoi? Parce que les réponses les plus fréquentes à la question « qu’est-ce que la poésie? », c’est « ça rime », « c’est une façon de s’exprimer », « ça exprime des émotions », « ça a des vers et des strophes » et j’en passe.

Ne vous méprenez pas, ce ne sont pas, en principe, de mauvaises réponses. Et je n’essaie pas non plus de discréditer ceux qui me donnent cette réponse. Au contraire, jusqu’à très tard au secondaire, je partageais leur opinion. En fait, jusqu’en 11e-12e année, je n’aimais pas la poésie. Je m’étais construit un monde autour de l’idée préconçue que la poésie est forcément quelque chose de quétaine-cucul-fleur-bleue ou encore ma-vie-est-une-tragédie-pauvre-de-moi-je-me-réfugie-dans-des-vers. Et pourtant, ô combien j’avais tort. Tout ça jusqu’au Noël de ma 12e année. Je peux dire que c’est vraiment là, et à ce moment-là, que j’ai découvert la poésie. Que j’ai commencé à aimer la poésie. Que j’ai commencé à écrire de la poésie aussi. Pourquoi? À cause de qui? À cause de Guy Arsenault, un homme qui, entre 16 et 18 ans, a écrit un recueil de poésie, Acadie Rock, lancé en 1973, 2e livre édité et publié en Acadie aux Éditions d’Acadie. D’ailleurs ce livre sera réédité cet été à l’occasion de son 40e anniversaire. Vous devriez l’acheter. Sans farce. C’est un must. Publicité terminée.

Ce livre m’est arrivé comme une bombe en pleine face. Une écriture riche, accessible, dans une langue populaire (le chiac*), une écriture de tripes, qui met sur table, sans artifice, une réalité qui est venue me faire réaliser une chose : la poésie, ça peut être vraiment cool! Je me suis alors posé la question toute bête : POURQUOI on ne m’avait pas montré ÇA à l’école quand on me parlait de poésie? En fait, à partir de ce moment-là, de cette initiation là à ce que pouvait être la poésie, et seulement là, j’ai vraiment commencé à comprendre et à apprécier, dans toute leur ampleur, les auteurs classiques, parce que j’ai pu gravir les échelons à reculons à partir de ce qui se faisait maintenant.

Parce que vous serez peut-être surpris de le lire, mais la poésie de nos jours, la plupart en français, ne rime pas. Au contraire. Et ce n’est pas la rime qui fait d’un poème un bon poème comme ce n’est pas la non-rime qui fait d’un poème un bon poème. Plusieurs textes modernes vont même s’approprier une langue plus orale, plus populaire et jouer avec ses sons. Ce qui ne veut pas dire non plus qu’une langue plus soignée n’est pas de mise, ou qu’elle soit foncièrement inintéressante. C’est simplement que les deux existent. La poésie, par moments, c’est aussi de petites histoires racontées de façon humoristique, parfois autrement. Parfois, c’est la description d’un lieu, d’un paysage, d’un/de personnage/s, d’une situation et bien plus que tout ça. Ce que j’essaie de vous dire, c’est que la poésie est tellement vaste et qu’on en apprend tellement peu sur ce que ça peut être réellement au quotidien, qu’on finit par se taper le cliché peu enthousiasmant des gens qui applaudissent en claquant des doigts (ce que je n’ai jamais vu arriver nulle part) et on s’en contente. Je le sais. Je l’ai fait aussi. Longtemps.

Remarquez bien, je ne vous dis pas que ces clichés sont sans fondement. Il existe des poètes qui ne me touchent pas, de la poésie qui ne me parle pas et je suis très capable de m’ennuyer devant la lecture d’un livre de poésie ou l’écoute d’un poète récitant ses vers. C’est possible. Mais ce n’est pas forcément le cas! Ce que j’essaie de vous dire, c’est aussi que dans toute la poésie qui existe et qui se fait dans le monde, il doit y avoir au moins une chose, au moins une (et ça commence par là) qui est capable de venir vous chercher.

Pour moi, la poésie, ça se résume à tout ce qui est Beau. Et c’est là que ça devient peut-être compliqué, parce que ça peut sembler assez abstrait comme « concept ». La Beauté n’est pas quelque chose de physique et je ne vous fais pas non plus la morale sur la beauté uniquement intérieure. Ce sont des choses qui ont leur raison d’être, mais qui ne sont pas pertinentes présentement. Pour moi, le Beau, c’est tout ce qui parvient à venir nous toucher, nous faire rire, nous bouleverser, bref, ce qui ne nous laisse pas indifférents. En fait, je dirais que la base de toute forme d’art, la naissance de la chose artistique, se résume à ça : ce qui ne nous laisse pas indifférents. En ce sens, quelque chose à proprement répugnant ou désagréable peut aspirer à devenir Beau. Comme une poubelle, un déchet, un quartier défavorisé, l’odeur d’un marais, une rupture ou un coucher de soleil (ça a beau être cliché, avouez que ça reste Beau!). Et je ne croirai jamais quelqu’un qui me dit que cette beauté lui est inaccessible.

Après tout, vous vivez une forme de poésie dans votre quotidien, que vous ne le vouliez ou non. Elle est là, présente autour de vous. Suffit de vous y ouvrir pour vous en rendre compte. Dans la musique qui vous entoure par exemple (bon peut-être pas dans toute la musique, car toute chanson n’est pas poème comme tout poème n’est pas chanson, mais quand même). Donc je vous quitte en vous invitant à vous laisser prendre/surprendre, je suis certain que vous vous rendrez compte que ce P de la peur de la poésie devient vite puéril (vous avez remarqué, j’ai mis plusieurs p à la suite de l’autre, c’est pas Beau ça? Prononcez-le tout haut vous allez vois c’est plein de plaisir). Je vous lance aussi des recommandations de lecture. De la poésie acadienne. Parce que vous en parler, c’est bien beau, mais sans exemples à l’appui, comment arriver à tuer véritablement le mythe? Bonne lecture!

Recommandations

L’anthologie de la poésie acadienne des éditions Perce-Neige : sélection impressionnante et variée, un « best of » assez imposant, même si tout ne peut pas être là (textes à lire : Le miracle de Ronald Léger, Eugénie Melanson d’Herménégilde Chiasson, Mouvance et Une autre saison de Gérald Leblanc, C’était un soir de mi-novembre de Jean-Philippe Raiche, Tableau de back yard de Guy Arsenault, Phare de Dyane Léger, et tous ceux que j’oublie).

Cri de terre de Raymond Guy Leblanc. Le premier livre à être publié en Acadie et en français à l’extérieur du Québec. 1972. 41 ans passés. Fraichement réédité dans une version super sexy. À bien des égards, la littérature de chez nous commence là.

Acadie Rock de Guy Arsenault. J’en ai déjà parlé.

Alma et Amédée de Georgette Leblanc. Une des plus grandes poètes d’aujourd’hui. Elle écrit dans le parler de la Baie Ste-Marie, en Nouvelle-Écosse. Elle est pas juste bonne parce qu’elle remporte plein de prix. Elle est bonne, point final.

Mener du train de Dominic Langlois, Apprendre à tomber de Jonathan Roy, Hé! suivi de Icônes de Daniel Dugas

Je pourrais continuer, mais ça commence à être long. N’hésitez pas à me faire part de vos recommandations!

*sujet dont on se reparlera éventuellement

  À propos…

Gabriel Robichaud WEBGabriel Robichaud est né en 1990 à Moncton. Comédien avant tout, il est aussi poète, dramaturge et chanteur. Depuis sa sortie des études en avril 2011, il se promène un peu partout au Canada entre les scènes, les stages et les ateliers. Son premier recueil de poésie, La promenade des ignorés, est paru en avril 2011 aux Éditions Perce-Neige. Cet été, il joue au théâtre dans L’espérance de vie des éoliennes de Sébastien Harrison.

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3 réponses à “Le P de la peur – Gabriel Robichaud

  1. Hello Gabriel. De passage à Québec j’ai découvert Catherine Fortin et, en navigant à la recherche des poètes québécois, je t’ai trouvé. Simplement pour te dire que j’ai aimé ton commentaire sur la poésie parce qu’il est accessible et qu’il a éclairé ma journée. Merci et des becs.

  2. Au delà de la notion du beau, je pense que la poésie se distingue des autres formes littéraires par son format. À côté des romans qui sont rarement moins de 300 pages, les recueils de poésie semblent définitivement anorexiques. C’est justement que la forme poétique est un condensé de vie, un concentré d’émotions. Si certains écrivent encore en vers et sans ponctuation, c’est pour pouvoir dire autant, mais en moins de mots. La poésie est l’expresso des formes littéraires : courte et forte.

  3. Yeah! Go la poésie! C’est toujours impossible d’expliquer, je ne sais jamais quoi dire pour braguer la poésie. Souvent je leurs montre des poèmes plus le « fun ». Comme celui-ci de Robert Graves http://unix.cc.wmich.edu/~cooneys/poems/Graves.wanton.html

    Souvent personne ne veut essayer d’interpréter le poème. C’est pourquoi c’est toujours de la fun a donner le « punch » du poème.

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