Nostalgie, conjoncture et renouveau politique: l’Acadie à l’heure des choix – Rémi Frenette

-Rémi Frenette-

Une lettre d’opinion dans l’Acadie Nouvelle du 19 avril 2013 se termine ainsi : « Ah! Dommage qu’il n’y ait plus de Parti acadien… » Au fil des derniers mois, j’ai entendu cette réflexion un peu partout dans mon entourage : au Parlement jeunesse acadien, à l’université, sur les médias sociaux, au bar, au travail, en famille, entre amis. Bien qu’on semble actuellement assoiffés d’une Acadie plus politique, on paraît en même temps souffrir du réflexe de cogner vainement aux portes verrouillées du passé plutôt que de réinventer notre présent dans les bras ouverts du futur.

Qu’est-ce donc que la politique acadienne d’aujourd’hui? Qu’est-ce que l’Acadie politique? Poser ces questions, c’est comme y répondre : avec un point d’interrogation. Avec une pointe de nostalgie également, nostalgie tout aussi ambiguë qui nous ramène inlassablement au Parti acadien, cette pierre d’assise de notre mémoire qui inspire à la fois fierté et douleur, victoire et défaite, commencement et aboutissement.

Une fonction majeure de la mémoire collective consiste à définir l’appréhension du moment présent et donc, forcément, à orienter le futur. Par contre, il faut faire bien attention à ce qu’on retient et surtout, aux fonctions que l’on associe à ces morceaux de passé. Si la mémoire s’avère un catalyseur nécessaire de l’identité et de l’action politique collective, la nostalgie, quant à elle, pose le risque d’ancrage douloureux et contre-productif dans un passé révolu. Ultimement, la nostalgie – surtout politique – prend la forme d’un bâton dans les rouages de notre projet de société.

Loin de moi l’idée de critiquer les gens qui évoquent le Parti acadien avec une pointe de nostalgie. C’est tout à fait normal, voir même encourageant dans la mesure où cela témoigne d’un désir d’unité militante, de prise en main politique et de changement positif. Par contre, nous avons déjà été pendant longtemps un peuple martyr, les yeux rivés sur notre rétroviseur pseudo-national, nous éloignant continuellement d’une époque qu’on tentait paradoxalement de retrouver en marchant — malgré nous? — vers l’avant.

S’il est important qu’on se souvienne, il demeure impératif que ce soit fait dans une optique d’inspiration active, novatrice et concrète. Carburer au passé est une bonne chose, car nous ne sommes rien sans notre mémoire; mais une bonne chose seulement si cela se traduit par une motivation adaptée au présent, axée sur le futur et exempte de ce deuil paralysant.

Cette nostalgie est donc à la fois dangereuse, puisque risquant de nous immobiliser, et encourageante, puisque reflétant un vouloir collectif de nous mobiliser. C’est du moins ce que je perçois dans cette myriade d’appels au retour du Parti acadien. Pour le reste du présent texte, je mettrai l’accent sur le positif de ces discours puisqu’ils semblent émaner d’une conjoncture générationnelle particulièrement propice à une nouvelle forme de politisation acadienne. Cette conjoncture immédiate, parlons-en. En fait, tentons de mieux la comprendre en traçant ses origines depuis les années 1960 … sans tomber dans la nostalgie!

Les années 1960 ont été un formidable éveil culturel, identitaire, social et politique, en Acadie comme ailleurs. Les années 1970 en sont la conséquence directe. Le Parti acadien ainsi qu’une panoplie d’associations et d’organismes voient le jour en Acadie. On voit peu après l’apparition des collèges communautaires dualistes, de districts et d’écoles francophones, bref de la dualité linguistique telle qu’on la conçoit aujourd’hui. Parallèlement, les poètes, les musiciens, les intellectuels et les politiciens crient la langue et l’identité acadienne sous forme d’idées, de paroles, de discours, d’écrits et de chansons.

Il faut bien sûr replacer ces deux décennies dans un plus grand contexte socio-politique canadien, américain, occidental et mondial. Sans prétendre en dresser un portrait exhaustif, on peut en saisir l’idée générale : émancipation morale et culturelle, reconnaissance des groupes sociaux et des minorités ethniques, bref, prise de conscience et valorisation de la diversité humaine dans un élan de consolidation des tissus sociaux jusque dans l’arène juridico-politique.

Puis arrivent les années 1980, 1990 et 2000. Comme une réponse naturellement polarisée par la ferveur collective des deux décennies précédentes, ces trente années constituent un véritable trou noir culturel. D’abord, la mort du Parti acadien. L’échec du référendum québécois. L’alliance aux États-Unis et en Angleterre, et donc partout en Occident, du néo-libéralisme au néo-conservatisme sous Reagan-Thatcher («There is no such thing as society»). Le collectivisme des années 1960 et 1970 déferle ainsi sur une nouvelle ère de fragmentation sociale, allant main dans la main avec la privatisation des institutions du secteur public. Peut-être cela s’est-il produit de façon moins prononcée au Canada mais n’ayez crainte : Stephen Harper se charge de nous faire rattraper le «retard».

Sans entrer en détail dans les années 1990 et 2000, sans vouloir non plus passer sous silence les avancées du peuple acadien durant cette période (je laisserai à d’autres la tâche de me nuancer), considérons que nous nous sommes en quelque sorte assis sur nos lauriers, que la vague individualiste des années 1980 ne s’est jamais véritablement calmée et que l’on n’a jamais retrouvé la ferveur collective d’antan.

De surcroît, depuis le rapatriement de la Constitution de 1982, toutes nos luttes semblent devoir passer par l’arène juridique. Puisque les minorités et les groupes sociaux sont désormais investis de protections légales, de droits défendables à coups de centaines de milliers de dollars devant les tribunaux, on a pu croire pour un temps que la mobilisation et la pression purement politique n’étaient plus nécessaires; toujours utiles, certes, mais plus nécessaires.

Tout ceci nous mène directement à cette fameuse conjoncture de la société acadienne. L’eau ayant passé maintes fois sous les ponts, la mémoire collective peut enfin cristalliser ce passé à tout le moins récent au cœur de notre identité et de nos aspirations. Et d’après ce que je perçois autour de moi, les planètes me semblent alignées pour une nouvelle forme de mobilisation politique foncièrement acadienne.

Dans un contexte plus large de retour en force de soif d’unité et de politisation des masses, mentionnons le printemps arabe, le mouvement Occupy et la grève étudiante québécoise. En Acadie, comme réactions directes aux conséquences du néo-libéralisme et du retrait de l’État face à ses responsabilités publiques, soulignons les innombrables manifestations contre la réforme de l’assurance-emploi et, plus récemment, cette nouvelle Fédération des étudiantes et étudiants du centre universitaire de Moncton (FÉÉCUM) qui a mobilisé des centaines d’étudiants contre la hausse des frais de scolarité. J’y étais : dans une solidarité historique entre étudiants canadiens et internationaux, nous pensions que l’édifice Léopold-Taillon allait s’écrouler sous la cadence passionnée de notre indignation.

La nostalgie d’un passé flamboyant est peut-être un réflexe naturel, mais d’un autre côté, il est indéniable que nous vivons un tournant historique et que tous les éléments sont en place pour donner lieu à un nouvel éveil collectif, un éveil social, culturel et politique, après trente années de fragmentation planétaire. Il est crucial d’en prendre conscience et surtout, de faire déboucher cette fenêtre historique en actions concrètes, novatrices et solidaires.

La prochaine question : comment canaliser l’énergie de cette conjoncture dans des opérations tangibles et productives? Devons-nous l’orienter dans la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) et les autres organismes acadiens provinciaux, dans la Société nationale de l’Acadie (SNA) et la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA)? Dans les partis politiques conservateur, libéral, néo-démocrate ou autre? Devons-nous faire revivre le Parti acadien?

Chose certaine, c’est qu’il faut d’abord constater pleinement et collectivement cette ouverture historique qui encourage plus que jamais un renouveau politique en Acadie. Les pistes d’action devront faire l’objet de réflexions et de débats sérieux. Pour l’instant, tâchons de prendre conscience de l’opportunité qui s’offre à nous.

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