-Mathieu Judas W.-
J’aimerais pouvoir me limiter cette question. Je crois qu’elle dit tout. Asteure quoi?
« Atheure quoi »? C’est toujours la première question à poser quand on crée un nouvel espace, comme une revue : pour y dire quoi? Y faire quoi? Les bytes sont cheaps dans les Internets. Astheure sera un « espace de dialogue, de réflexion, de débat sur des enjeux acadiens ». C’est une noble utilisation de free bytes.
Il y a dans l’air un peu partout une volonté de dire, de se dire autrement que par les médiations officielles – les médias, les associations, l’État. Internet donne décidément le goût de l’immédiat, du contact direct de soi à soi, de soi aux autres et j’espère que cette revue saura canaliser adéquatement le désir que manifeste une certaine classe militante d’Acadien.nes de dire leur acadianité, d’en parler entre eux. J’espère qu’elle saura le canaliser, parce que l’immédiat n’est pas immédiatement libérateur. Il est au contraire souvent confus, futile et furtif. Incubateur anyone? Les bas-fonds des Internets pourrissent de shit de même. BIG DATA. L’or noir du 21e siècle… au moins quelqu’un s’enrichit.
« Astheure quoi »? Créer un lieu à la marge comme celui-ci – une tentative d’authenticité underground –, c’est un acte de rupture d’avec les lieux établis et c’est du même coup une tentative de redécoupage des frontières. « Disons l’Acadie autrement!! Place à la relève!! ». Permettez-moi, entre parenthèses, d’emmerder la relève. C’est une espèce de notion quétaine qui vide le concept de génération de son poids politique, qui naturalise le transfert générationnel et qui assoit les jeunes dans des catégories associatives ringardes toutes faites où ils reçoivent des subventions de Patrimoine. Je m’expliquerai peut-être un jour.
Depuis les balbutiements du néonationalisme dans les années 1960, chaque génération reformule les mêmes questions, affronte les mêmes problèmes : qui sommes-nous? Qu’est-ce que l’Acadie? Où allons-nous? Tout ça dans une absence apparente de mémoire des manifestations antérieures. Qu’avons-nous retenu des luttes et débats des 50 dernières années? Fuck all. Michel Roy, Jean-Paul Hautecoeur, Camille-Antoine Richard anyone? Voyez-vous que ça ne sert à rien la relève. Que ça ne sert peut-être à rien le débat (en Acadie).
Le défi avec tout espace acadien – above- ou under- ground – c’est qu’il cible un public délimité à l’avance, langue oblige, mais relativement impuissant, minorité oblige – et ne parlons pas de la diaspora, notre mauvaise conscience. Parler de l’Acadie, créer un lieu proprement acadien, c’est souligner le relief francophone sur un territoire anglophone (ou pire, c’est hugger un arbre généalogique aux branches éparpillées dans le monde (!) : CMA 2014, où l’Acadie se pavanera l’ancêtre et se comparera le LeBlanc). Ce public « acadien » est délimité à l’avance et ce dont il peut parler est restreint par nature. La culture, l’identité et la fierté, pretty much.
L’Acadie n’a pas de territoire, c’est connu même si c’est discutable, donc on passe son temps à se cartographier la langue, la culture et l’identité. National geographic, littéralement. Une géographie nationale.
Je ne suis pas particulièrement fier de l’identité acadienne. Je n’ai rien contre, je ne la renie pas, mais avouons que ses réalisations sont modestes et que ses lacunes sont importantes et qu’il y a d’autres chats à fouetter. La fierté acadienne est souvent abrutie tellement elle est superficielle et elle est parfois borderline dangereuse sans s’en rendre compte.
Fuck l’autoportrait, faisons des natures mortes, basically. Je m’explique.
Autoportraits
Depuis les années 1970, avec l’apparition des sciences sociales, de la littérature, de la musique et de l’art moderne en Acadie, l’identité est devenue problématique, elle s’est multipliée. D’Idée du Nord à Ode à l’Acadie ; de Moncton Sable à Tracadie Story. Elle est aussi devenue notre principal cri de ralliement. Nous affutons depuis quelques décennies notre distinction, notre singularité, notre « culture ». On s’enorgueillit à la longue.
Il suffit qu’un chroniqueur québécois critique la langue de Radio Radio pour que l’intelligentsia culturelle joue la vierge offensée et se rallie (ici, ici et ici) dans un cri de défense patriotique pour la dignité de notre différence (justifié, mais complètement démesuré). Il suffit qu’un.e Acadien.ne participe à Star Académie pour que des villages entiers se mobilisent pour le « sauver » de l’élimination ou pour l’accueillir en héros à son retour (avec raison, mais de façon démesurée ; Il y avait 4 fois moins de monde pour s’opposer à l’assurance-emploi). La fierté à ses raisons que la raison ignore.
« Chassés de l’histoire, nous entrons de force dans la chanson » (Michel Roy, L’Acadie perdue, p. 172).
Il s’ensuit une ribambelle de questions qu’on se pose depuis 40 ans : une artiste acadienne doit-elle habiter l’Acadie ou non pour être considérée comme acadienne? Un Acadien qui chante en anglais est-il toujours un chanteur acadien? Quel ratio de tounes francophones pour accéder à l’acadianité? Construire les frontières du « nous »… Finalement, fuck la culture, non? La question serait réglée.
Et la majorité de nos sciences sociales sont tournées vers l’étude de nos frontières (nos national geographers). Les sociolinguistes codifient nos moindres variations régionales, les psycholinguistes définissent les facteurs qui contribuent à l’assimilation linguistique, les sociologues mesurent le taux de reproduction linguistique et déterminent les types d’arrangements institutionnels les plus favorables pour contrer les « transferts linguistiques », les juristes construisent nos frontières légales, défendent nos droits. On passe nettement plus de temps à se mesurer la langue qu’à se demander ce qu’on dit avec. À force de craindre la disparition, on se satisfait d’être là. Soyez fiers de qui vous êtes, comme disait l’autre.
Ça c’est l’approche classique, traditionnelle, nationaliste, caricaturale, mais à peine. On reconnaît facilement que ces discours sont acadiens, parce qu’ils parlent de l’Acadie ; l’Acadie est tellement floue en réalité qu’on passe son temps à la nommer rien que pour être sûrs que c’est d’elle qu’on parle. C’est à moitié de la sorcellerie rendu là, d’autres diraient une pathologie. Who knows?
Natures mortes
L’une des principales limites de penser l’acadianité, c’est que l’Acadie est tellement floue qu’elle détourne vers elle des phénomènes qui ne lui appartiennent pas et en masque une foule d’autres qu’elle juge étrangers à son destin et dont elle ne parle donc pas (tout ce qui ne touche pas à la langue, pretty much). L’Acadie, c’est comme une cataracte identitaire, ça brouille la vision, ça empêche de voir clair.
Le député du NPD Yvon Godin dit, à propos de la réforme de l’assurance-emploi, qu’il s’agissait d’une « deuxième déportation ». C’est une image puissante, mais qui n’éclaire en rien les réels enjeux, ni les motivations. Astheure, Lasik.
Dieppe peut se targuer d’être la « plus grande ville acadienne du monde » et d’avoir adopté son arrêté municipal régulant les langues d’affichage, mais comment son développement est-il pensé? Comment les Acadiens s’emparent-ils du défi démocratique de construire une ville/banlieue durable? (Avouons-le, Dieppe est moche et son « centre-ville » est une joke.) Mais c’est normal, les Acadiens ne sont pas habitués à la démocratie locale, et encore moins à la ville ; la majorité d’entre eux préfère en effet rester dans des DSL et renoncer à l’autonomie politique pour payer moins de taxes.
Quels sont les grands enjeux politiques au Nouveau-Brunswick? De quoi débat-on en Acadie (à part l’assurance-emploi)? Moncton veut construire un centre sportif multifonctionnel en plein centre-ville, en débattons-nous en Acadie ? L’exode, les défis économiques et démographiques des régions rurales, le vieillissement de la population, l’endettement des jeunes, l’étalement urbain, l’équité salariale, l’obésité, l’analphabétisme, la sécurité alimentaire, l’agriculture locale, urbaine, les fermiers internationaux qui cueillent nos pommes, la concentration des médias, la gestion des ressources naturelles, la piètre figure du N.-B. en matière d’accès à l’information, la culture 2.0, la crise économique, la mondialisation, le climat, ce sont des problèmes qui, s’ils touchent bien évidemment l’Acadie, ne sont pas acadiens. Pouvons-nous alors en parler? Et plus fondamentalement, peut-être, est-ce entre-nous, Acadiens, qu’il faut en parler? Est-ce suffisant? C’est sûr que c’est plus rassurant de rester entre nous, mais qu’accomplirons-nous dans notre underground minoritaire? Les bytes sont tellement cheap qu’on préfère souvent accumuler les espaces plutôt que de les consolider. Il existe la Moncton Free Press, le NB Media Coop, une myriade de groupes Facebook et d’organismes communautaires (anglophones, francophones, bilingues). Créer c’est facile, mais relier, voilà le réel défi auquel on fait face. Le pouvoir est dans les réseaux.
La voie que je tracerai cherchera à s’affranchir de l’Acadie sans y renoncer. Elle peut nous accompagner notre matriarche, mais il y a des chemins à débroussailler et des luttes à mener qui l’excèdent, où elle n’est pas nécessairement superflue, mais tout au plus complémentaire. Elle peut prêter main-forte, nous aider lorsqu’elle le peut, mais ce n’est pas un effort qu’elle a à mener seule.
Une identité doit servir le peuple et non l’inverse. So, Acadie, now what ? Es-tu up pour la ride? I guess qu’il y a des belles natures mortes along the way.
Acadia exists as an ancestral territory only and is very dear to all Acadian descendants. For me an Acadian is a person who is a direct descendant of an Acadian. We cannot identify with a political establishment anywhere. We cannot identify today solely with our ancestral culture because most of us have been forced out of that ancestral homeland and thus evolve as parts of our very different environments. We share a common historical heritage right up to the deportation after which we are forced to accept an uncertain future. Having been obliged to evolve in different places does not automatically strip Acadians of their historical heritage, we do not cease to be proud of that heritage. Acadians are not victims they are survivors Their identity is assured by the only thing not taken from them their memories. They are a (politically) a free people and are obliged to no one.