« Je bégaie », ces mots prononcés d’abord avec une élocution parfaite, ouvrent la conversation publique de l’artiste Roch Bourque de Moncton précédant son vernissage du 9 février à la Galerie Nuance 3 située à l’Académie Sainte-Famille, à Tracadie. Puis, par bribes, de ruptures en retricotages, il aborde les méandres de son parcours et de sa démarche artistique. Il cherche sa voie lors d’études collégiales : il « flunke » communication graphique, excelle en dessin et flirte avec la joaillerie; puis il explore diverses techniques avant et pendant ses trois décennies de pratique. Sa véritable école est innée, celle qui lui vient naturellement et à laquelle il tient mordicus. Il a toujours dessiné, comme on respire.
Roch change de sujet au milieu d’une phrase, comme si c’était son cerveau qui bégayait et que l’espace-temps des idées exprimées changeait sans pré-avis. Si cela peut être épuisant pour l’auditeur, alors c’est toute autre chose pour le regardeur qui visite son exposition.

On entre dans les 3 salles de Nuance 3…
Ses tableaux (une vingtaine, tous peints à l’acrylique) sont chargés, mais jamais surchargés, jamais lourds. L’artiste créé des mondes étranges et colorés, aux textures évoquant tour à tour le règne végétal, le minéral, l’humain-animal de chair et d’os, l’air et ses poussières multicolores.

Les structures dépeintes sont denses et fort élaborées, selon une architecture toujours originale; elles sont parfois dans un équilibre fragile, même sur le point de s’écrouler ou de s’effacer dans le temps. Les formes qui les composent sont tantôt fortes et arrondies comme la pierre façonnée d’un sculpteur, tantôt aux allures aussi tenaces que des nœuds complexes de câble marin, ou encore simplement accotées les unes sur les autres. Certaines semblent taillées dans le roc ou le bois, d’autres tissées comme dans un tricot vu sous microscope, ou végétales et rebelles comme l’est une souche d’arbre. Enfin, dans la série de tableaux « diversion éclairée », les formes semblent fossilisées dans la matière mais toujours porteuses de vie.
Exposées dans les trois salles de la galerie, les toiles de Roch Bourque sont complexes, trompeuses aussi. De ce qui peut paraître abstrait au premier regard, émergent des yeux, des visages, des corps humains, des éléments de la nature et quelques objets fabriqués par l’homo sapiens moderne. Plus on regarde ces toiles, plus elles nous parlent de la condition humaine dans un environnement en transformation. On remarquera aussi que la vie est omniprésente dans ces toiles mystérieuses, même dans les plus troublantes, comme si l’artiste était aux aguets du vivant en toute chose et en toute circonstance.

Guidé par un imaginaire et un sens d’observation particuliers, ce travail rappelle l’art brut. On sent aussi une approche automatique, où l’artiste reste à l’écoute de l’œuvre – qui le fait bifurquer sur un sentier infréquenté, jusqu’à ce qu’une nouvelle clairière surgisse (jusqu’à la lumière) : tous ses tableaux sont curieusement lumineux. Riches en couleurs, en courbes et en détails minutieux, ils nous mènent ailleurs, vers l’Ailleurs. Comme une marche en forêt sauvage, rien de moins.
J’ai l’impression que Roch peint avec sa psyché et oui, avec son corps, ses tripes, ses muscles ET son bégaiement. Authentique à souhait.
À propos…
Homme de théâtre, directeur artistique de compagnies, metteur en scène, traducteur de pièces et travailleur culturel, Maurice Arsenault a plus de 30 ans d’expérience en Acadie et à Ottawa. Il a depuis toujours un vif intérêt pour les arts en général, les arts visuels en particulier. Collectionneur d’art, lecteur passionné, friand de films sur l’art et assidu visiteur de galeries, il suit le travail des artistes visuels avec une constante curiosité.