Viens avec moi des Hôtesses d’Hilaire, un opéra rock qui déménage de Tracadie à Montréal – Virginie Daigle

Les Hôtesses d’Hilaire et le Théâtre du futur [mise en scène], Michel Fordin [scénographie], Kevin McIntyre [images]. Viens avec moi [Montréal, 1er novembre 2018].

NDLR : La tournée de l’opéra rock Viens avec moi se poursuit et sera présentée, entre autres, à Caraquet le 4 août dans le cadre du Festival acadien de Caraquet.

Pour le nouveau spectacle des Hôtesses d’Hilaire, Viens avec moi, le groupe de rock de Moncton s’est allié avec Le théâtre du futur. Cette compagnie résidente du Théâtre Aux Écuries de Montréal explore dans ses différentes œuvres le potentiel narratif de la chanson. On peut penser par exemple à leur spectacle La vague parfaite, qui racontait l’histoire post-apocalyptique d’un groupe de surfeurs hédonistes exilés sur une île et raconté exclusivement en chant classique d’opéra. On ne pouvait rêver d’une meilleure collaboration pour canaliser l’énergie singulière des Hôtesses d’Hilaire.

Crédit photo : LePetitRusse.

L’opéra rock se déroule selon deux trames narratives. D’abord, on assiste à l’histoire de Serge et des Hôtesses d’Hilaire, sorte d’autofiction joyeusement déjantée. En effet, dans le spectacle, Serge rêve de déverser sa soupe musicale acadienne sur le Québec en entier. Tout au long de cet opéra rock, le thème de la célébrité amène les questions de ce que signifie être vu, par qui, et surtout, par combien? Quand le band se lance dans la chanson «All in the bus» Serge expose ses stratégies afin de garantir, sinon le succès, la curiosité des gens envers son groupe : un bus entièrement réaménagé en tour bus, repeint en noir et décoré d’un immense homard. Les fameuses robes du chanteur font elles aussi partie de cette brillante stratégie de marketing. Au sein de toute cette célébration musicale plane toutefois la menace de perdre toute intégrité artistique dans cet «art de vendre son art».

En parallèle se déroule le parcours de Kevin, interprété par l’acteur et compositeur Robin-Joël Cool, une allusion minimalement voilée à un certain Wilfred LeBouthillier. Devant sa télé, Kevin regarde, complètement fasciné le concours de chant télévisé Pousse ta note. Pour Kevin et des millions d’autres comme lui, tout ce qu’il y a de beau et de sentimental dans le monde semble accessible uniquement à travers cette émission hautement manufacturée. L’humble pêcheur de crabe chante devant la télé son rêve de lui aussi pousser sa note devant le monde entier. On le retrouve plus tard dans le spectacle tentant sa chance sur le plateau du concours : seul avec son petit banjo, sous un unique projecteur qui l’inonde de lumière blanche, il entonne une version sentie et épurée du classique d’Angèle Arsenault «Moi j’mange». Cette version émotive des paroles «J’ouvre ma radio / Pis j’me fais un bon snack / J’écoute Ginette Reno / Pis j’mange du “Cracker jack”» permet à notre héros de remporter la première place de Pousse ta note. Kevin voit poindre la gloire et les foules adoratrices alors qu’entre en scène le personnage de Julia, interprété par Anna Frances Meyer, double grossier d’une Julie Snyder en plein délire capitaliste.

Crédit photo : LePetitRusse.

Commence alors la chanson «Post ta shit», critique virulente de la nécessité des artistes d’aujourd’hui d’être sur les réseaux sociaux s’ils souhaitent un tant soit peu exister dans l’univers culturel. Apparaît ensuite en immense projection, comme l’étrange soleil des Télétubbies, l’image de Lucien Francoeur, qui interpelle le pauvre Kevin au milieu de son ascension et lui ouvre la porte vers le paradis artificiel de la drogue. Le deuxième acte se termine ainsi, avec les chansons «L’éveil de Kevin» et «Microdosing», laissant craindre le pire pour l’âme autrefois pure du pêcheur acadien devenu star.

Le deuxième acte s’ouvre avec Serge en plein questionnement par rapport à ses choix de vie, craignant d’être allé trop loin dans sa transformation en mascotte de barbu en robe. Il chante la chanson «Fuck Shit Up!», pour exprimer une déchéance et une désillusion similaires à celles de Kevin. Serge en vient à quitter le groupe qui a fait sa gloire, laissant derrière lui, en symbole d’adieu, sa jolie robe bleue. Les autres membres du groupe, tout de blanc vêtus, la ramassent solennellement avant de se lancer dans «Comme un chum», façon Back Street Boys, avec magnifique chorégraphie quétaine à l’appui.

La narratrice de tout ce récit, la captivante Diane Losier, nous apprend ensuite que Kevin est retourné chez lui à Tracadie, où Julia lui rend visite, espérant récupérer sa poule maritime aux œufs d’or. En manteau rose à fourrure assortie, Anne-Frances Meyer livre une performance véritablement extraordinaire avec la chanson «Spread the Love», mais Kevin reste de marbre puisqu’il est désormais le chanteur remplaçant des Hôtesses d’Hilaire, heureux et comblé dans son Acadie natale. De son côté, Serge erre de cocktail en cocktail pour trouver quelqu’un à qui parler de lui-même et croise enfin sur son chemin la fameuse Julia. La productrice voit en ce dernier tout ce qui lui avait manqué en Kevin, et le spectacle se clôt par leur mariage rocambolesque où Serge arbore, bien évidemment, une immense robe de mariée blanche comme la neige. Cette célébration extravagante signe avec cynisme la victoire du marketing sur les nobles intentions de la musique.

Crédit photo : LePetitRusse.

Viens avec moi sait combiner avec brio les aspects du théâtre et du spectacle de musique pour en faire une œuvre bien liée et singulière dans le paysage musical actuel. Le spectacle témoigne d’un travail d’écriture réfléchi, d’une exploration de la forme de la comédie musicale, où les chansons, en plus d’informer sur les désirs profonds des personnages, font avancer l’action du récit. Toutefois, la narration à doubles voies s’égare parfois et la conclusion arrive un peu trop rapidement pour amener le spectateur à une réflexion plus profonde sur les thématiques du spectacle. De plus, on ne peut s’empêcher de déplorer que des interprètes aussi douées que les Hay Babies soient reléguées au simple rôle de choristes plutôt que d’avoir des personnages plus étoffés. Soulignons cependant que le travail scénographique de conceptions des décors et des costumes est tout simplement splendide et admirable.

Au final, le spectacle réussit le pari de conter l’histoire très spécifique de musiciens acadiens en quête de gloire pour toucher le thème universel de la quête de sens et de reconnaissance à travers l’art. Viens avec moi offre une bonne dose d’insolence et de questions pertinentes, le tout enrobé dans un divertissement de premier ordre : un peu comme la société des loisirs que cette œuvre cherche justement à critiquer.

À propos…

Née à Montréal de parents acadiens, Virginie Daigle possède un Baccalauréat en littérature française de l’Université McGill et non elle ne crève pas de faim, elle se nourrit très bien, merci de vous inquiéter.  En ce moment elle hésite entre devenir productrice, journaliste, actrice, poète, actrice-poète, et chanteuse de variétés. Entre temps, elle s’achète beaucoup de livres qu’elle n’a pas encore trouvé le temps de lire.

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