Ferland, Charles-Étienne, Dévorés, Ottawa, Les Éditions L’Interligne, coll. «Vertiges», 2018, 221 p.
Si le titre, court, simple et un peu fade ne se distingue pas du tout, l’illustration de la page couverture de Dévorés, premier roman de Charles-Étienne Ferland, vient équilibrer les choses puisqu’elle ne manque pas d’attirer le regard et de piquer la curiosité des lecteurs (dommage, d’ailleurs, qu’elle ne soit pas réapparue dans la deuxième impression toute récente du livre). Pour les amateurs de cinéma populaire, ce roman de science-fiction viendra éveiller quelques images familières.
Effectivement, c’est un roman qui porte (consciemment ou non?) de nombreux lieux communs, que ce soit en littérature ou, surtout, dans le domaine du cinéma. Les premières pages du deuxième chapitre, par exemple, ont le même goût que le début du film Arrival (L’Arrivée) du réalisateur québécois Denis Villeneuve. C’est-à-dire qu’elles tentent de donner aux lecteurs l’envie de pousser la lecture davantage en créant une ambiance de mystère. Au début du roman, comme pour les premières minutes du film Arrival, on sait que quelque chose de grave s’est produit, mais on ignore quoi et comment, au juste. Le voile se lève, au fur et à mesure que le narrateur pourvoit des éléments explicateurs de la situation. Pour les lecteurs qui s’étaient donné la peine de lire la quatrième de couverture, le voile était déjà moins opaque : on savait, avant d’entamer la lecture, que le roman portait sur un personnage nommé Jack et que le cadre du livre portait sur une terre attaquée par des insectes dangereux qui s’en prennent aux humains.
Bien vite, on apprend que l’insecte cauchemardesque (le roman décrit justement plusieurs cauchemars de Jack à son sujet) se révèle être une espèce de guêpe mutante. Vous l’aurez deviné, on songe ici immédiatement aux fameuses guêpes modifiées génétiquement, les «tracker jackers», des Hunger Games (que ce soit dans la série de livres ou de films : l’épisode est marquant dans les deux cas). Or, les guêpes de Dévorés se révèlent encore plus menaçantes que celles des Hunger Games, d’abord parce qu’elles sont géantes, ensuite parce qu’elles ne sont aucunement sous un contrôle humain et parviennent à réduire de façon assez phénoménale la population de la terre.
Les lecteurs se trouvent donc rapidement dans une atmosphère qui rappelle celle d’un autre film paru dans la même année que Dévorés, soit A Quiet Place (Un coin tranquille) de John Krasinski. Au tout début de ce film d’horreur, on voit un monde ravagé, un monde aux allures post-apocalyptiques. On ne connaît pas encore les détails des événements, bien que quelques pistes soient présentées au public. C’est exactement le genre d’image que présente Charles-Étienne Ferland dans son roman : un univers en débris, dont les rares personnages sentent le poids d’une menace constante planer sur eux. Si le film et le roman n’étaient pas parus presque en même temps, ce serait à se demander si le premier n’avait pas servi à inspirer le second. La menace n’est pourtant pas extraterrestre comme dans A Quiet Place : c’est plutôt, à la manière de la série de films Planet of the Apes (La planète des singes), une espèce terrestre qui parvient à se développer et renverser le monopole humain du pouvoir sur le globe. Le projet de Jack, de survivre de lui-même en se lançant, probablement seul, vers une île dans la nature pourrait, de son côté, évoquer le roman Hatchet de Gary Paulsen, par les thèmes de la survie et de la débrouillardise en pleine nature.
Est-ce que tous ces lieux communs sont un aspect positif ou négatif? Tout dépend du public… pour les adolescents qui n’aiment pas particulièrement lire, ces topoï permettront peut-être de les plonger dans la lecture : l’ambiance et les concepts qui peigneront pour eux un univers familier pourraient servir d’appas. Puis, le suspense du roman permettra de maintenir les lecteurs accrochés au développement de l’histoire. En effet, ce n’est pas l’originalité qui est le point fort du roman, mais bien la dextérité avec laquelle Ferland arrive à faire grandir le suspense et ensuite, à le manipuler à sa guise. C’est une lecture qui se fait rapidement, en raison de cet adroit suspense.
La plume de Ferland est habile et son vocabulaire riche. Si les lieux communs mentionnés ci-dessus sont peut-être accidentels, de nombreuses références culturelles et littéraires parsèment volontairement le texte et plairont sûrement au public. Certains passages manquent parfois de réalisme ou frôlent le cliché. On pardonnera néanmoins ces imperfections au texte pour connaître le sort des personnages, auxquels on s’attache.
En raison du contexte fictif d’une humanité en friche, l’auteur pose de nombreuses questions existentielles. Bien que quelques personnages y proposent des réponses, les questions restent, somme toute, ouvertes et permettent ainsi aux lecteurs d’émettre leur propres hypothèses et questionnements. C’est une autre force du roman.
En ce qui a trait à l’aboutissement de l’histoire, le dénouement laisse un peu à désirer : d’une part, parce que ce n’est pas un véritable dénouement. Le roman se termine sur une ouverture qui semble éloignée de l’intrigue principale. C’est alors probablement la seule occasion où la tentative de suspense de Ferland s’avère faible, étant donné qu’elle ne donne pas le goût de lire davantage et qu’elle est mal reliée à l’ensemble du texte. D’autre part, les derniers chapitres présentent une explication des insectes géants qui n’est pas à la hauteur des attentes et qui est plutôt… étrange.
De façon générale, le livre est bien construit, malgré quelques défauts. C’est un début littéraire très prometteur pour l’auteur franco-ontarien. Si une suite paraît éventuellement, elle sera sûrement bien accueillie. Si l’auteur s’engage dans la voie d’un autre genre (le roman à suspense, le roman d’horreur, le roman mystère), le succès sera peut-être encore plus grand : il serait intéressant de voir la facilité de Ferland à établir un suspense au fil des pages transposée dans une autre veine.
À propos…
Catherine Mongenais est une Franco-Ontarienne du Nord qui, plus précisément, a grandi à Kapuskasing. Elle a terminé une maîtrise en création littéraire à l’Université d’Ottawa et travaille maintenant en tant que coordinatrice de production aux Presses de l’Université d’Ottawa. Il va sans dire qu’elle aime la lecture et l’écriture passionnément, à la folie (et jamais pas du tout).