Mois de l’Histoire des Noirs : se souvenir de Pierre Caliste Landry (1841-1921) – Clint Bruce

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Les articles de La Filière Louisiane sont publiés grâce à un partenariat entre Astheure et Les Carnets Nord/Sud, blogue de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales (CRÉAcT) de l’Université Sainte-Anne. Cette série vise à faire mieux connaître les enjeux culturels de la Louisiane francophone et à favoriser le dialogue entre Acadiens et Louisianais.

Donaldsonville (Louisiane), 1er janvier 1874 : «Il n’y a rien que les gens de couleur [colored people] désirent plus que de cultiver des relations amicales avec les Blancs. Mais ces derniers doivent nous accorder un traitement juste et honnête. Ils doivent cesser de nous mentir et d’injurier nos dirigeants. Ils doivent nous consentir de bon cœur tous les droits et privilèges publics que les lois du pays disent être les nôtres. Et ensuite nous irons les rencontrer à mi-chemin et, en leur tendant la main de l’amitié, nous accepterons désormais de vivre dans l’harmonie[1]

C’est à l’occasion d’un rassemblement commémorant le onzième anniversaire de l’abolition de l’esclavage par décret du président Abraham Lincoln, que ces mots furent prononcés – en anglais – par Pierre Caliste Landry (1841-1921). Né dans l’esclavage, Landry faisait partie de cette génération dynamique et courageuse d’hommes politiques afro-américains qui émergea dans le sillage de la guerre de Sécession (1861-1865) et qui, aux côtés de leurs alliés progressistes blancs, mena un difficile combat pour l’égalité raciale. Quelques années plus tôt, en 1868-1869, ce Créole francophone avait été le premier Noir à occuper la mairie d’une ville des États-Unis.

Pierre Caliste Landry (1841-1921) à la fin du 19e siècle. (Source : http://www.pvamu.edu/tiphc/wp-content/uploads/sites/107/Pierre-Landry.jpg).

Comme le suggère son nom de famille, il avait aussi des origines acadiennes.

Alors que s’achève le Mois de l’Histoire des Noirs 2019, il fait bon se souvenir de Pierre Caliste Landry.

Au cœur des contradictions de «l’institution particulière»

Au 19e siècle on se sert de l’euphémisme de «peculiar institution», ou «institution particulière», pour parler de l’esclavage aux États-Unis. Les origines familiales et la jeunesse de Landry en illustrent les contradictions criantes. Sa mère, qui s’appelait Marcellite, était tenue en esclavage sur la plantation du docteur François Marie Prévost, paroisse de l’Ascension sur le Mississippi, où elle était cuisinière. C’est dans cette région autrefois nommée la Côte des Acadiens, ayant été colonisée par des réfugiés du Grand Dérangement au siècle précédent, qu’elle rencontra un ouvrier blanc, Rosemond ou Roseman Landry : c’est le père de Caliste. Bien qu’esclave, le petit garçon a l’avantage rare de fréquenter une école pour enfants de couleur car le docteur Prévost a, semble-t-il, l’intention de l’affranchir. Mais ça ne se passera pas ainsi.

Suite au décès de son maître en 1854, il est vendu aux enchères aux Bringier, de riches planteurs de sucre. Le prix : 1 665 $. Cette famille blanche a dû reconnaître immédiatement les aptitudes du jeune homme car il vient vivre dans le manoir de la plantation Houmas – que l’on peut visiter de nos jours – où il apprend le métier de pâtissier. D’autres responsabilités lui sont confiées : contremaître, majordome et gérant d’un magasin général. En 1862, en pleine guerre de Sécession, il est placé comme apprenti auprès du charpentier-mécanicien de l’habitation.

Bref, tout indique chez Landry des facultés intellectuelles, doublées d’un caractère industrieux, qui se révéleront pleinement pendant la période tumultueuse de l’après-guerre.

Une carrière politique sur fond d’une révolution sociale

À la fin de la guerre de Sécession, le Sud esclavagiste est défait. Alors commence une seconde lutte, celle du programme de Reconstruction qui durera jusqu’en 1877 : la nation américaine doit se recomposer, non seulement en réintégrant en son sein les États sécessionnistes mais aussi en intégrant dans sa vie politique et sociale les quatre millions d’affranchies et d’affranchis qui sortent de la servitude involontaire. Le caractère révolutionnaire de ce projet ambitieux est assumé par les uns, dénoncé par les autres. Et si la Reconstruction se soldera par un échec global, faisant naufrage entre le Scylla de la haine raciale et le Charybde des intrigues politiques, ce ne sera pas sans nous laisser des exemples d’efforts sincères au milieu de grands remous.

En 1866, Landry, ayant adopté le prénom de Pierre, s’installe à Donaldsonville, siège de la paroisse (civile) de l’Ascension. Il ouvre une boutique et, désireux de fonder une famille, épouse Amanda Grisby qui lui donnera douze enfants. Sinon, ses énergies sont vouées à l’organisation et à l’avancement de sa communauté. En plus de fonder deux écoles, il assume divers rôles grâce auxquels ses qualités de leadership se font de plus en plus apprécier, notamment comme avocat et magistrat. Il devient maire en 1868 sous la bannière du Parti républicain, pour un mandat d’un an.

Coupures du journal The Donaldsonville Chief. (Source : http://www.newspapers.com).

La constitution louisianaise qui est adoptée en 1868, arc-boutée sur une législation fédérale robuste en matière de droits civiques, vient ouvrir la voie à une plus grande participation des Afro-américains – hommes, s’entend – à la sphère politique. Après avoir occupé diverses fonctions administratives au niveau local, Landry se présente aux élections législatives de 1872. Il est élu à la Chambre des représentants de l’État, puis au Sénat louisianais en 1874. Les notices biographiques à son sujet signalent sa contribution à la fondation de la New Orleans University, l’une des prédécesseures de l’actuelle Dillard University, à prédominance afro-américaine. À la fin de son mandat il siège à la convention constitutionnelle de 1879.

Un agent fédéral du Bureau des affranchis, créé au lendemain de la guerre de Sécession, tente de calmer les hostilités entre des foules de Blancs et de Noirs. Dessin d’Alfred R. Waud, Harper’s Weekly, 1868 July 25, p. 473 (Source : https://www.loc.gov/item/92514996/).

Or, la réaction raciste s’intensifie au cours des années 1870, y compris par le terrorisme. En 1877 sont retirées les troupes fédérales stationnées dans le Sud depuis une dizaines d’années : le glas de la Reconstruction a sonné. Les gains en matière de justice raciale seront battus en brèche, tendance dont le point culminant sera l’arrêt de la Cour suprême de 1896 (Plessy c. Ferguson) entérinant la ségrégation des races.

Pasteur et éducateur pendant un demi-siècle

Évincé du domaine politique, Landry concentre ses efforts sur le développement des institutions éducatives et sur son implication au sein de l’église afro-américaine. À l’instar de plusieurs Créoles de couleur francophones, il s’est converti au protestantisme après la guerre. En 1878 il est nommé pasteur de l’Église épiscopale méthodiste St. Peters à Donaldsonville. Le désir de réconciliation raciale continue d’orienter sa perspective. Lors d’un congrès ecclésiastique en 1881 à Shreveport – la ville natale de cet auteur – il s’enquiert du sentiment général dans le nord de la Louisiane et écrit :

J’ai […] trouvé chez les gens de couleur, pour une raison ou une autre, une condition de malaise et de méfiance. Les Blancs semblent être conscients de la situation et expriment des sentiments de sympathie dont j’espère qu’ils aboutiront à une aide matérielle [practical relief]. […] Je crois que les gens blancs pourront, s’ils le souhaitent, dissiper entièrement ces craintes et, par un traitement plus doux et plus juste, encourager les gens de couleur à s’établir définitivement dans cette région […][2].

Voilà un optimisme à toute épreuve!

Un peu plus tard Landry est affecté à Shreveport, où il déménage avec sa famille. Devenu veuf, il se marie avec Florence Simpkins ; deux enfants naîtront de leur union. De 1889 à 1891 il a la charge de l’église St. Paul, toujours à Shreveport, avant d’accepter un poste administratif à La Nouvelle-Orléans.

Le nouveau siècle venu, son engagement se tourne davantage vers la cause de l’éducation. Il est doyen dans plusieurs écoles, dont la Gilbert Academy à Baldwin de 1900 à 1905. Une nécrologie parue une semaine après son décès, le 22 décembre 1921, résume sa carrière dans ces termes :

Il fut ministre de l’Église épiscopale méthodiste pendant cinquante ans, mais il y a quelques années il a rejoint l’Église missionnaire baptiste. Il était membre des conseils d’administration de la New Orleans University, du Flint Medical College et du Gilbert’s Seminary. Il est dit qu’il aurait prêché devant un plus grand nombre de gens de sa race que tout autre homme de cet État[3].

Sa dépouille mortelle repose au cimetière de Carollton à La Nouvelle-Orléans. On assiste actuellement à une redécouverte de ce militant des droits civiques du 19e siècle.

Les contributions de Pierre Caliste Landry à la cause des droits civiques reçoivent de plus en plus d’attention. (Source : https://wgno.com/2017/05/08/mlk-50-pierre-landry-was-the-first-black-mayor-in-american-history/).

Un mot d’hommage

Pourquoi se souvenir de Pierre Caliste Landry?

Il y a beaucoup de raisons, à commencer par l’intérêt humain que présente la trajectoire d’un homme né esclave qui, affranchi, est devenu sénateur d’État. Il y a aussi dans sa biographie tout un pan de l’évolution de la Louisiane francophone, qui n’est pas forcément celle de la «résistance linguistique» mais plutôt de l’intégration des Créoles d’origine africaine après la guerre de Sécession. Il y a tout cela dans sa biographie – mais son histoire porte aussi des fruits pour le présent.

Le Mois de l’histoire des Noirs nous incite à nous pencher de plus près sur les questions relatives aux droits des minorités. Comme à l’ère de la Reconstruction, nous traversons une série de crises politiques ici et là où les préjugés sont exploités bassement au détriment du bien commun. La biographie de Landry et d’autres personnes célébrées chaque février nous montrent, certes dans un contexte particulier, de quoi sont faits l’engagement citoyen et le courage civique.

Plus que jamais, nous en avons besoin en Acadie et nous en avons besoin partout.

Pour en savoir davantage :

[1] The Donaldsonville Chief, 3 janvier 1874, p. 2

[2] «To and From the Louisiana Conference», The Donaldsonville Chief, 26 février 1881, p. 1.

[3] «Aged Negro Leader of Race Is Dead», The Herald (Algiers, Louisiane), 29 décembre 1921, p. 1.

À propos…

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales (CRÉAcT) à l’Université Sainte-Anne, Clint Bruce est originaire de la Louisiane et amoureux de l’Acadie. Parmi ses projets de recherche, il prépare un manuscrit de livre intitulé L’expérience acadienne au temps de l’esclavage : Désirée Martin et les siens en Louisiane créole.

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